Famille, je vous hais... Ce début de citation d’André Gide, nous le connaissons tous et nous avons tous eu envie de le hurler un jour ou l’autre. Mais, le plus souvent, nous revenons très vite sur ce cri du cœur, un peu honteux qu’il nous ait échappé, vite rattrapés par notre besoin viscéral d'être partie d'un groupe, pour s’accorder, à l’unisson du chœur des hommes, à dire que la famille (comme la santé dans la première semaine de janvier) c’est le plus important. Rien d’étonnant alors dans le fait que les courants politiques se soient saisis, tous, sans exception et de tout temps (tiens, j’ai l’impression d’avoir été télé transportée dans une copie de terminale… ou dans une note administrative), de ce mot pour l’appliquer à leurs organisations. On respecte collectivement la famille et, par dessus tout, on loue la loyauté comme valeur cardinale. C’est ainsi, ce n’est pas à discuter. Examinons un peu ce parallèle… usurpation ou évidence ?
En période électorale, cette assimilation entre organisation politique et famille est encore plus présente. On organise des repas et des fêtes de famille (réunions et meetings), des conseils de famille (commissions d’investitures), des cousinades (alliances et autres « nupes/ensemble»). On montre son meilleur visage lors des rencontres scénarisées avec les pièces rapportées qui, pour intégrer la famille (ou pas, le Printemps Républicain en a fait les frais ces dernières semaines…) ont revêtu leurs plus beaux atours dans l’espoir d’obtenir une place à table à la droite du patriarche. On jure, main sur le cœur, fidélité et loyauté à la famille, dont chacun de nous a désespérément besoin pour se sentir moins seul. Souvent, on balaie d’un revers de la main, et la famille nous y aide soigneusement, les petits doutes vicieux qui s’insinuent dans nos cerveaux taquins…
« Il vaut mieux être pendu par loyauté que récompensé pour trahison. »
Nous sommes tous d’accord pour louer la fidélité et conspuer les traîtres. Alors quand la « trahison » survient, on coupe des têtes et on renie en toute bonne foi. La trahison des valeurs, des idées est acceptable, la trahison du chef impardonnable. On s’accorde à dire que « le linge sale se lave en famille » et qu’on n’étale pas ses désaccords en place publique. Bien…
La citation précédente, à laquelle, j’en suis sure, vous avez adhéré sans même y réfléchir, nous a été livrée par un grand humaniste s’il en est : Vladimir Poutine.
Oui la politique et la famille se ressemblent. Terriblement. Amèrement. Dans ce qu’elles ont de plus laid.
Elles bâillonnent, elles enferment, elles mentent et elles étouffent et elles enrubannent tout cela dans un joli emballage d’unité et de morale que les victimes de la « famille » n’oseront jamais abîmer. Le candidat malheureux à l’investiture qui a supporté des années les couleuvres au petit déjeuner et les coups de trique au dîner et s’est finalement vu préférer le petit nouveau du village d’à côté, parce que ses blagues feront plus rire les convives du prochain déjeuner du dimanche, n’est pas supposé défier la décision patriarcale et se présenter tout de même au suffrage de ses pairs (dédicace toute particulière à un ami de l’Hérault !). S’il a le malheur de le faire, il est est banni illico presto avec, en prime, le goudron et les plumes de celui qui a fauté. Ce qui explique d’ailleurs le nombre hallucinant de victimes du syndrome de Stockholm qu’on croise en politique, se convaincre qu’on aime son bourreau, c’est quand même la meilleure (et la seule parfois) façon de survivre à la maltraitance. Celui ou celle qui parle, celui ou celle qui rend visibles les humiliations, les petits arrangements et les grandes injustices, les dessous plein de cambouis d’une mécanique sans pitié et sans plus aucun lien avec les valeurs qui trônent fièrement au fronton de la demeure familiale, celui ou celle-là portera à jamais la marque de la honte.
Est-ce si différent de ce que subissent les victimes d’inceste dont les bourreaux et leurs complices construisent patiemment le sentiment de culpabilité en les convainquant qu’elles seront les responsables de la destruction de la famille si elle parlent ?
Le parallèle vous choque ? Tout de même, elle exagère, cela n’a rien à voir, il faut raison garder….
Ayant été à la fois victime de l’une et l’autre situation, je vous jure que les mécanismes sont exactement les mêmes et je n’ai plus peur de le dire, libérée que je suis du besoin viscéral d’une "famille". La loyauté à la famille, la peur panique d’être celui ou celle qui détruit la jolie maison, la solitude immense qui accompagne immanquablement celui ou celle qui a eu l’outrecuidance de s’évader… tout est du même ordre ici, seule la profondeur de la souffrance diffère.
Rien d’étonnant alors à voir les deux situations se croiser dans un cross over dont même Netflix n’aurait pas voulu. Stanislas Guerini, patron pantin mais on ne peut plus fidèle du seul, du vrai, du grand patron de la République en Marche qui renaît sans changer d’un iota, défend le mercredi sur un plateau télé, à grand renfort de contorsions, un membre de la famille qui « est dans la tourmente », magnifique euphémisme pour dire qu’il a quand même tapé sur la gueule de sa femme (dont Stan prend bien entendu la peine de nous rappeler qu’elle n’était pas une sainte non plus hein… sa jupe devait sans aucun doute être un peu courte). Cette intervention fraternelle, effectuée la larme a l’œil et la main sur le cœur, n’obtient pas les effets escomptés (tu m'étonnes...), l’aveuglement populaire ayant manifestement été un peu surestimé. Qu’à cela ne tienne, la famille doit parfois se résoudre à sacrifier un de ses membres dysfonctionnant, fidèle mais pas assez discret. M.Peyrat, ancien conseiller du patriarche, sera donc exclu, à contre cœur parce qu’il n’existe plus de mensonge ou de contournement acceptable. Mais, parce que la famille se doit de réaffirmer toujours sa légitimité contre les vents et marées des traîtres qui tentent de l’abîmer et de la déstabiliser alors qu’elle n’est que cocon de joie et de tendresse protecteur, Stan Guerini deviendra ministre deux jours plus tard, sa loyauté poussée jusqu’au limites du ridicule et de la nausée ainsi récompensée. Que les Capulet/Nupes ne se réjouissent pas trop vite de cette déconvenue des Montaigu/LREM… je pourrais leur rappeler quelque anecdote bouhafsienne presqu’aussi dérangeante…
La politique gagnerait probablement, des électeurs et un peu de dignité, à sortir de cette logique de clan mafieux, biberonnée aux liens du sang factices et à la moraline. Papa nous l’avait promis en 2017 mais bon… il nous avait aussi dit que le père Noël et la petite souris étaient nos meilleurs amis si on était bien sages.