Les alertes ont été nombreuses, au cours du premier quinquennat déjà, à l’issue d’une (courte) lune de miel, nombreuses et de plusieurs types, sur la surdité, la déconnexion, voire le mépris du prodige devenu président. Son intelligence hors normes, ses fulgurances, et le déguisement de « newbie » (petit nouveau pour les puristes) si bien brodé lui ont assuré un pouvoir de séduction d’une efficacité redoutable auprès d’une France qui se sentait vieillissante et en déclin.
L’histoire d’amour commençait sous les meilleurs auspices : déclarations enflammées, miroir flatteur, serments l’œil humide en citant Gide et René Char… une conquête en bonne et due forme concrétisée par l’officialisation du statut FB en mai puis juin 2017 : la France est passée de « c’est compliqué » à « en couple » (coeur, cœur, poudre de paillettes).
Les députés tous neufs, fringants, incarnation de cette France portée sur les ailes de l’amour naissant, passaient alors des heures à s’apprêter dans la salle de bain et jamais leur amoureux transi ne manquait à son devoir de compliment… vous êtes le nouveau visage de la politique, vous êtes les élus (passion Matrix), je suis formidable et je vous ai choisis, vous me ressemblez, ensemble nous allons rendre la vie belle et bonne… une idylle était née. Nous sommes d’incorrigibles romantiques.
Traités par ceux sur qui le charme ravageur n’avait pas opéré de naïfs, de Playmobils, de godillots, nos fiers représentants n’avaient pourtant d’yeux que pour leur adoré qui entretenait avec virtuosité l’exclusivité de l’attachement à coups de regards complices et de textos tardifs… tous les bons pêcheurs vous le diront, une fois la proie attirée, il est nécessaire de la ferrer et rien n’est plus efficace pour ce faire que de soigneusement l’isoler dans un monde où la seule issue devient le regard du prédateur.
Vite, très vite, une fois les défenses tombées, quelques voix se sont élevées pour alerter notre assemblée rosissante sur les risques d’aveuglement que sa passion naissante lui faisait encourir. Des voix ennemies d’abord, vite rendues illégitimes par leur tendance à brailler, des voix amies ensuite, des voix internes aussi, ces petites alertes qu’on balaie d’un revers de main trop occupé à espérer la prochaine caresse, à éviter coûte que coûte le froncement de sourcil de l’amoureux.
Très vite, tellement vite, les reproches à peine voilés sont arrivés, toujours alternés avec quelques doux baisers, les froncements de sourcils sont devenus plus nombreux, les procès en déloyauté et les placardisations ont commencé à se faire plus fréquents, les manipulations aussi… c’est vrai que mon poulet (présenté à la table de BFM) était trop cuit, je suis nulle en cuisine (politique), il a raison, il a tellement de choses à m’apprendre (cœur, cœur, poudre de paillettes encore).
Puis, la première gifle est arrivée… quand était-ce ? Difficile de la dater tant d’autres se sont succédé ensuite. Peut-être quand notre gendre idéal a pleinement assumé un coup de canif dans le joli contrat en s’affichant sans frémir au bras d’un certain Benalla. Peut-être…
La première gifle. Celle qu’on ne doit pas laisser passer. Mais avec elle, la peur d’être quitté qui s’insinue, la culpabilité soigneusement entretenue de n’être pas à la hauteur, le besoin pathologique de la reconnaissance, de la validation du seul regard qui soit : le Sien.
Permettez-moi de nous épargner collectivement la longue liste des signes de la lente descente aux enfers amorcée par notre Assemblée, de plus en plus terne, de plus en plus exsangue, et paradoxalement de plus en plus prompte à défendre l’indéfendable contre le reste du monde. La victime du pervers narcissique est bien souvent sa plus fervente avocate, déployant des trésors d’imagination et de mauvaise foi pour justifier mieux que quiconque la tout puissance du dieu vivant.
D’élections en projets de loi, de remaniements en castings improbables, de crise en crise, de coup en coup, le filet de voix de l’esprit critique est devenu absolument inaudible. Tant et si bien que même le fait de draguer ouvertement, en fin de soirée, à la vue et au su de tous, un groupe LR plus très frais, dont la robe a perdu quelques sequins mais dont on sait qu’il n’est pas farouche, bien qu’il minaude un peu, passe comme une lettre à la poste.
Par peur d’être quittée, la « gauche de la macronie » accepte une fois de plus l’humiliation d’être l’idiote utile et camoufle les bleus à coups de fond de teint maladroit… et, quand nous ne détournons pas pudiquement les yeux, nous regardons impuissants chaque nouveau clou planté dans le cercueil avec méthode. La cendre a remplacé la poudre de paillettes.
Les coups pleuvent, méticuleusement, bien cachés derrière les pudiques paravents constitutionnels. Puis, en ce funeste 10 mars 2023, c’est la goutte d’eau, le coup fatal d’un 49.3 de plus qui finit de mettre à terre notre Assemblée déchue. Tous les regards extérieurs l’enjoignent à enfin déposer une plainte, à quitter même si c’est dur, à se donner les moyens de se sauver… mais rien n’y fait. Elle n’a plus la force, elle n’a plus le courage. C’est compliqué de quitter, et puis il y a la maison, comment je vais faire moi, toute seule, pour assumer le loyer d’un studio ?
Et le scénario immuable de la violence se répète ad nauseam, elle abandonne et retire sa (motion de censure) plainte dès le lundi, le dieu et maître du logis balbutie vaguement quelques excuses qui n’en sont pas, invite à déjeuner, à dîner, dès le mardi pour dire qu’il va changer, allume quelques chandelles pour dire qu’il aime encore, remercie avec quelques fleurs qui ressemblent de plus en plus à une couronne mortuaire… et finit, ce mercredi à 13h, par le prévisible, magistral et paternaliste « c’est un malentendu… ce sont votre ingratitude et votre irresponsabilité qui m’obligent à être un peu ferme pour vous remettre sur le droit chemin et que ce ne soit pas le bordel à la maison ».
C’est bien connu, le pater familias se doit d’être sévère mais juste avec son écervelée d’épouse et sa marmaille qu’elle n’est même pas capable de tenir… c’est pas possible, faut tout faire soi-même ma brave dame.
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est parce que j’ai le plus grand respect pour chacune des victimes que j’ose cette métaphore. Elle me crève les yeux et le cœur. Chaque histoire de violence conjugale nous laisse un goût amer tant les mécanismes sont désormais connus… la démocratie en général et la république française en particulier, nos institutions, fortes et fragiles, méritent qu’on ne les laisse pas s’abîmer sous les coups d’un bourreau pétri d’un sentiment adolescent de toute puissance et un temps déguisé en gendre idéal.
Nous n’aurons alors plus que nos yeux, trop longtemps fermés, pour pleurer. Une fois de plus, il sera trop tard. Respectons-nous !