Quand une certaine gauche participe à la campagne de l'extrême droite contre Mamdani
Par Yorgos Mitralias
Par où commencer et où finir ? Dans nos pays, beaucoup de gens de gauche semblent ignorer ce que tout le monde sait, au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest. Que partout dans le monde, l'extrême droite, les néofascistes et les néonazis perdent les pédales rien qu'en entendant le nom de George Soros. Que plusieurs d'entre eux ont déclaré que le grand spéculateur Soros, âgé de 95 ans, est leur ennemi numéro un et le principal subversif du capitalisme. Que Netanyahou lui a déclaré la guerre, le qualifiant d'ennemi juré du sionisme et d'Israël, et de financeur des « terroristes » palestiniens. Que Trump accuse Soros d' avoir "causé de grands dommages au pays » et de « payer » les « psychopathes d'extrême gauche », qu'il s'agisse d'étudiants solidaires des Palestiniens, de citoyens engagés dans des mouvements de solidarité avec les migrants ou avec d'autres mouvements tels que Black Lives Matter, No Kings, etc. Que Netanyahou et Trump mettent leurs accusations à exécution par des poursuites (« pour terrorisme » !) et d'autres mesures répressives/punitives contre Soros et ses organisations...
Mais il ne s'agit pas seulement du duo Trump-Netanyahu. En fait, toute la fine fleur de l’ Internationale Brune en gestation s'acharne contre Soros, l'accusant de détruire leurs pays et de saper la « civilisation occidentale » et ses « valeurs ». Citons quelques-uns d'entre eux : en premier lieu, le « meilleur ami de Netanyahu et d'Israël », le Hongrois Orban, qui va jusqu'à voter une loi intitulée... « Stop Soros », tout en couvrant Budapest d'affiches reproduisant les clichés antisémites les plus extrêmes, avec en vedette un Soros tirant les ficelles d'une conspiration (évidemment juive) internationale. Et aussi le Britannique Farage, qui qualifie Soros de « plus grand danger auquel est confronté l'ensemble du monde occidental », l'Italien Salvini, qui accuse Soros de « vouloir remplir l'Europe d'immigrants qu'il considère comme ses esclaves », la Française Le Pen, qui le qualifie d'« ennemi de la France », les franquistes espagnols de Vox, qui accusent Soros de financer le mouvement indépendantiste catalan, mais aussi l'Indien Modi, qui le considère comme « l'ennemi numéro 1 de l'Inde », ainsi que Musk, qui voit Soros derrière la campagne contre ses voitures Tesla. Et bien sûr, Poutine qui, avant tout le monde, a pris des mesures contre lui, le qualifiant de « menace pour les fondements de l'ordre constitutionnel et la sécurité nationale de la Russie ».
Le délire d'extrême droite contre Soros est cependant sans fin et la liste des exemples pertinents pourrait remplir des pages entières... que nous n'avons pas à notre disposition. Nous clôturons donc ce chapitre en rappelant que l'extrême droite grecque, Aube Dorée en tête, a toujours eu comme passe-temps favori de dénoncer Soros, qu'elle qualifie volontiers de « pro-Skopjen » (c’est-à-dire pro-République de Macédoine), comme voulant détruire la Grèce. Sans oublier le voisin des Grecs Erdogan, qui attribue à Soros un plan diabolique similaire, à la différence près que dans son cas, Soros qui « envoie ses hommes partout dans le monde pour diviser et démembrer les nations », finance et dirige ses opposants turcs ...
Étant donné que la fabrique des mensonges et autres calomnies extravagantes contre Soros de l’extrême droite a une longue histoire de près de 30 ans et qu'il s'agit d'un travail bien rodé à tous égards, il n'est pas surprenant que son dernier « produit » soit l’invention et la diffusion de "l' information » selon laquelle Soros serait derrière l'élection du maire de New York, Zohran Mamdani. Cela n'est pas surprenant pour une raison simple : parce que Mamdani représente le casse-tête et l'adversaire numéro un de Trump, mais aussi de tout l'establishment d'extrême droite, qu'il faut donc discréditer et écraser ! Et pour cela, quoi de plus pratique et facile que d'avoir recours pour la énième fois à la recette éprouvée qui veut que Soros le satanique soit derrière tous les adversaires de l'extrême droite. Pour le reste, c'est-à-dire la diffusion maximale des « révélations » qui veulent faire passer Mamdani pour un simple homme de paille de Soros, s’en charge l'armée des grands et très grands médias contrôlés par l'extrême droite internationale à travers le monde...
Ce n'est donc pas surprenant pour la simple raison que l'extrême droite nord-américaine et internationale ne fait, dans ce cas, que son travail. Mais quel est le travail de ces gens de gauche, ou plutôt pour qui travaillent-ils quand ils s'empressent d'adopter (souvent mot pour mot !) et de répandre l'incroyable calomnie selon laquelle ce Mamdani, qui dénonce ses adversaires d'être financés par des milliardaires, est lui-même financé par un milliardaire, Soros ! Et tout cela sans la moindre preuve, mais uniquement sur la base de « on dit », « on entend dire » et « la rumeur veut que ». Et en même temps, avec un soulagement et une satisfaction manifestes pour la démythification du soi-disant vertueux et irréprochable Mamdani qui sème des innovations démocratiques et sociales qui ne sont pas de leur goût...
En réalité, cela aussi n'a rien de surprenant. Cette convergence et cette alliance de fait apparemment paradoxales ne tombent pas du ciel. Elles ont des racines et un passé (tristement célèbre). Comme par exemple, il y a quelques années, lorsqu'une certaine gauche lancait une série d'attaques calomnieuses contre Greta Thunberg, avec des «arguments » et des « révélations » provenant directement de l’entourage d'extrême droite de Trump. À l'époque, nous nous étions contentés de révéler – « avec nom et adresse » – les inspirateurs, organisateurs et financeurs américains d'extrême droite de cette campagne ignoble contre Greta, (1) tout en évitant délibérément de mentionner les gens de gauche qui ont reproduit, et certains continuent de reproduire, ces calomnies monstrueuses dans nos pays. Mais aujourd'hui, nous ne pouvons plus faire de même. Aujourd'hui, la situation est complètement différente et bien plus critique, et l'enjeu est autrement plus important, avec une extrême droite internationale qui a monté en flèche jusqu’à constituer aujourd’hui une menace existentielle pour l'humanité et la planète. Et qui a dans son viseur en toute priorité un Zohran Mamdani, qui incarne aux yeux de millions de ses compatriotes mais aussi de citoyens du monde entier, le principal espoir de résistance massive et de contre-attaque de ceux d’en bas au cœur même de la bête néofasciste, aux États-Unis d'Amérique de l’apprenti dictateur Donald Trump !
Pour appeler les choses par leur nom, la présente campagne de dénigrement contre Mamdani, menée par une certaine gauche qui emprunte ses « arguments » à l'extrême droite américaine et internationale, n'est ni fortuite ni occasionnelle. En réalité, elle constitue le dernier maillon de la chaîne de cette lamentable « convergence » observée depuis des années, et elle se fonde sur les affinités sélectives qui existent et se renforcent avec le temps entre cette gauche et l'extrême droite internationale de nos temps. Des affinités sélectives et des prises de position souvent identiques sur des questions et des événements d'une importance absolument capitale, tels que la catastrophe climatique que tant l'extrême droite que « une certaine gauche » nient catégoriquement, la qualifiant même de « plus grande escroquerie de l'impérialisme » pour les uns et simplement de « plus grande escroquerie » tout court pour les autres, de la bouche même de Trump lui-même. La cause profonde de cette position identique est visible à l'œil nu : l'extrême droite et cette « gauche » servent les intérêts du grand capital et des régimes qui ont lié leur destin aux combustibles fossiles, en Occident pour les uns et en Orient pour les autres. Et c'est d'ailleurs la raison profonde et très matérielle pour laquelle tant l'extrême droite que cette gauche haïssent à mort Greta et son mouvement de jeunes… lequel leur rend la pareille !
Ce qui fait que les uns et les autres partagent à peu près les mêmes positions sur des questions cruciales comme, par exemple, la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine. Dans ce conflit, tous deux se rangent du côté de l'agresseur Poutine, contre le peuple ukrainien agressé et bombardé sans merci, auquel ils exigent des concessions territoriales et autres au nom de... la paix. Tout comme ils se sont tous deux rangés du côté du dictateur Assad contre le peuple syrien en révolte, certains de ces gens de gauche allant même jusqu'à manifester -dans le centre d'Athènes- en faveur de celui qui est à juste titre considéré comme le tyran le plus sanguinaire de notre époque.
Le dénominateur commun de toutes ces alliances de fait cyniques et immorales est le mépris que les uns et les autres affichent pour les droits humains et les libertés démocratiques. Rien d'étonnant pour l'extrême droite, qui a pour tradition de violer les droits individuels et collectifs les plus élémentaires. Mais quelle surprise et quelle déception de voir des gens de gauche, avec lesquels on a souvent eu l'occasion de lutter ensemble pour défendre ces droits fondamentaux dans son pays, fermer obstinément les yeux, garder le silence et refuser leur soutien, par exemple aux citoyens russes condamnés à de longues peines de prison pour avoir critiqué la guerre de Poutine ou tenté de créer un syndicat sur leur lieu de travail...
Nous nous arrêtons ici, car nous constatons que cette convergence et cette alliance de fait entre ces -bien bizarres- gens de gauche et l'extrême droite internationale conduit déjà certains d'entre eux à suivre l’exemple de leur chef de file, l'Allemande Sahra Wagenknecht, et à faire le pas décisif qui les éloigne définitivement de la gauche et les pousse dans les bras de l'extrême droite. Ils ne peuvent provoquer que la nausée. Et aussi la colère. Quant à Mamdani lui-même, et à ceux qui aimeraient bien le voir trahir ses promesses et son mouvement de masse, nous n'avons d'autre choix que de leur offrir un petit aperçu de ce qu'il fait non pas avant, mais maintenant, après son triomphe électoral. Nous mettons donc à leur disposition la vidéo suivante, qui présente certaines des actions quotidiennes de Zohran Mamdani en tant que maire élu de New York. Que ceux et celles dont le cœur bat vraiment à gauche, s’en régalent : https://www.youtube.com/watch?v=rTWxRrcJrTI
Notes
1. La haine contre Greta : voici ceux, avec nom et adresse, qui la financent ! : https://www.cadtm.org/La-haine-contre-Greta-voici-ceux-avec-nom-et-adresse-qui-la-financent