1918-2025: L'actualité brûlante de la
Première Boucherie mondiale !
Parce que nous n'oublions pas et parce que nous ne voulons pas oublier, nous republions ce texte écrit et publié pour la première fois en 1998 dans « Epohi », avec l'introduction qui l'accompagnait en 2016. À l'heure où, sous les yeux du monde entier, les villes d'Ukraine sont bombardees sauvagement et un massacre qui est la définition même du génocide est perpétré à Gaza, les mots sont superflus pour décrire « l'actualité insupportable de la Première Guerre mondiale »...
Yorgos Mitralias
Nous republions le texte « L'actualité insupportable du premier carnage mondial » pour au moins trois raisons :
1. Puisque l'énorme compte à régler avec les « éminences » responsables de la boucherie et l'obligation morale envers les dizaines de millions de leurs victimes ne peuvent être épuisés dans un simple rappel commémoratif du type « 1914-2014, il y a un siècle, la Première Guerre mondiale », comme cela s'est produit il y a deux ou trois ans. C'est pourquoi, non seulement en 2017, mais aussi en 2018, puis en 2019, et l'année suivante... jusqu'à ce qu'il y ait la grande Catharsis finale de la justice sociale, nous continuerons à nous souvenir et à rappeler le grand crime des « ceux d'en haut » et le grand massacre de « ceux d'en bas », qui nous a définitivement plongés dans l'époque contemporaine de la bestialité humaine et, en même temps, dans tous les dilemmes existentiels de l'humanité.
2. Parce que jamais auparavant, malheureusement, « l'actualité de la première e boucherie mondiale » n'avait été aussi insupportable qu'aujourd'hui, à l'heure où se multiplient les bains de sang des innombrables guerres « locales » qui nous entourent, où l'extrême droite, le néofascisme et le racisme le plus féroce balayent à nouveau l'Europe, et que sur la rive opposée de l'Atlantique, un Caligula d'extrême droite contemporain du nom de Donald Trump s'apprête à diriger la superpuissance américaine.
3. Parce que seule la prise de conscience et l'approfondissement de cette « actualité insupportable de la première boucherie mondiale » de la part des « ceux d'en bas » - et de leurs dirigeants - peut orienter de manière réaliste et efficace leurs choix politiques et autres, et définir leurs tâches immédiates à ce moment si critique de l'histoire de l'humanité.
1914-2014
L' insoutenable actualité de la première boucherie mondiale
par Yorgos Mitralias
Pourquoi une page de « Epohi » consacrée à la Première Guerre mondiale ? La question n'est pas posée correctement. Pourquoi une seule page sur la Première Guerre mondiale et uniquement dans Epohi ?*
Exagérations, dira le lecteur. Tout cela appartient désormais au passé, c'est de la pure nostalgie à l'ère de l'Europe unie. D'ailleurs, une telle guerre des tranchées serait aujourd'hui inconcevable, même si elle ressemble comme deux gouttes d'eau au massacre (très européen) de Bosnie.
Si seulement c'était le cas. Mais malheureusement, ce n'est pas le cas. Ne serait-ce que pour une seule raison : nous sommes tous, même si nous ne le savons pas, les véritables enfants de cette première grande horreur de quatre ans qui a hanté le siècle. Et parce que nous sommes les descendants de ces 10 000 000 d'adolescents morts avant d'avoir atteint l'âge adulte et des 20 000 000 de mutilés qui ont survécu, c'est pourquoi nous ne parviendrons jamais à « sortir de la préhistoire de l'humanité » si nous ne réglons pas d'abord nos comptes avec les assassins, légués en tout premier lieu par ce carnage sans précédent de 1914-1918.
Ne nous faisons donc pas d'illusions. Cette guerre est toujours d'actualité car elle reste la « mère de toutes les guerres », celles d'hier, celles d'aujourd'hui et, malheureusement, celles de demain. Pour les chercheurs impartiaux, elle est la matrice d'où est sorti le monde moderne, avec ses nouvelles superpuissances et ses nouvelles technologies révolutionnaires, avec ses avantages mais aussi ses défauts. Une sorte de baptême du feu dans lequel l'humanité a dû plonger pour entrer dans l'ère de ses grandes conquêtes.
Des paroles creuses, même si elles contiennent une part de vérité. Par-dessus tout, 1914-1918 marque l'entrée brutale de l'humanité dans notre barbarie actuelle. Dans la guerre « industrialisée ». Dans le grand stress du XXe siècle. C'est la première rencontre avec le cauchemar qui mène directement au dilemme existentiel toujours d'actualité de Rosa (et de l'humanité) : « socialisme ou barbarie ». Avant cela, nous étions innocents et naïfs. Mais après cela, personne ne peut plus prétendre ignorer que « ceux d'en haut » sont capables de tout ! Même de mener au massacre inutile de millions de paysans et de prolétaires pour une « raison insignifiante » dont personne ne se souvient plus. Hier, Sarajevo, aujourd'hui « notre » Boukephalas et MegAlexandros (1) ! Et demain, quoi ?
Mais au-delà de l'histoire, il y a aussi les gens ordinaires, en chair et en os. Les simples soldats. Cher lecteur, prends la peine de les imaginer en train de pisser dans leur culotte pendant que leur chef (français, allemand, italien, Anglais, Allemand, Italien, Américain ou Grec) leur ordonne de sortir de leur tranchée pour se suicider en se jetant sur les mitrailleuses ennemies qui les fauchent. Prends la peine de te mettre à leur place, ne serait-ce que quelques secondes. De ressentir tout leur désespoir dans la boue épaisse qui ne faisait qu'un avec les couches successives de cadavres. Leur horreur lorsqu'ils recevaient de plein fouet le « quart », c'est-à-dire une tête avec l'épaule et le bras. Leur rage lorsqu'ils comprennent que le fil de leur vie est coupé avant même d'avoir pu faire l'amour pour la première fois. Prends la peine de t' identifier aux milliers de « muins » imberbes au moment où ils sont exécutés par leurs généraux « pour l'exemple »... et souviens-toi que ces crimes sont voués à se répéter tant que l'engeance des assassins restera impunie.
Nous aimerions « illustrer » cette page avec l'une de ces photos de soldats monstrueusement défigurés que le mouvement anti-guerre de l'entre-deux-guerres utilisait pour «qu'il n'y ait plus jamais de guerre ». Mais on nous a dit que le spectacle serait insupportable, et ils ont probablement raison. C'est pourquoi nous avons recours à une page de l'album magistral que le grand dessinateur français Tardi a consacré à la « guerre des tranchées » que lui racontait son grand-père (ancien combattant et antimilitariste). Avec Tardi, nous concluons donc par les dernières lignes de sa brève introduction : « Chaque année, le 11 novembre, on medaille un « vieillard » (combien en reste-t-il ?). Lui aussi avait vingt ans en 1915 et on l'a dépossédé de sa jeunesse et de son avenir. Alors, te moque pas... ».
* Le texte ci-dessus a été publié pour la première fois dans « Epohi », en novembre 1998, à l'occasion du 80e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Nous pensons que sa republication aujourd'hui, 16 ans plus tard, se justifie par le fait qu'il est tout aussi, voire plus, d'actualité qu'à l'époque.
Note
1. Allusion aux visées expansionnistes grecques de l'époque sur des territoires ayant appartenu, il y a 25 siècles, a Alexandre le Grand et son cheval légendaire Boucephale.
Traduit du grec