Une tragédie italienne à l’ancienne
La Lega pogromiste de Salvini triomphatrice des élections italiennes!
Par Yorgos Mitralias
Jours de 1922? Pas encore mais l’Italie est sur la bonne voie pour “fêter” dans quatre ans le centenaire de la montée de Mussolini et de son mouvement fasciste au pouvoir avec un régime qui lui ressemblera -presque- comme deux gouttes d’eau!
Pourquoi cette introduction plutôt atypique quand tout le monde ne parle que de la victoire des “populistes”, du triomphe des “eurosceptiques”, de la défaite du “centre-gauche” et évidemment, du chaos post-doctorale et de la probable “ingouvernabilité” de l’Italie? Tout simplement parce que nous préférons regarder un peu plus loin que le bout de notre net, pour voir non pas les épiphénomènes mais l’essence des choses au moment où en Italie sont en gestation des développements qui vont marquer notre vie ici aussi en Grèce!
Alors, qui a gagné les élections italiennes? Manifestement, la Lega de Salvini. Non pas la “Lega du Nord” qui n’existe plus, mais la Lega tout court de toute l’Italie, qui lui a succédé. Et pas parce qu’elle a augmenté de façon spectaculaire son résultat électoral ou parce qu’elle a dépassé son allié et partenaire Silvio Berlusconi, mais surtout pour les raisons suivantes bien plus substantielles et ...redoutables:
• Parce que la Lega de Salvini est bien plus qu’un parti puisqu’elle possède toutes les caractéristiques (influence de masse et une base bien organisée) qui font qu’elle soit peut être le plus important mouvement organisé de masse de petits-bourgeois racistes et enragés et autres éléments plébéiens désespérés dans l’Europe d’aujourd’hui.
• Parce qu’elle est la force politique italienne qui monte en flèche car elle va bénéficier en toute priorité de l’inexorable déclin de son allié Forza Italia de Berlusconi, mais aussi parce qu’elle va profiter des faiblesses criantes du -pour l’instant triomphant- Mouvement 5 Étoiles, surtout si celui-ci va se trouver au gouvernement contraint de gérer la profonde crise économique et sociale italienne.
• Parce que la Lega sait plus que tout autre ce qu’elle veut et n’a le moindre scrupule (moral ou démocratique) pour réaliser ses projets en usant les plus répugnants des moyens immoraux et inhumains.
• Parce que l’état actuel de la société italienne ainsi que l’effondrement de la gauche, du centre-gauche et plus généralement, du mouvement ouvrier italien poussent les masses des travailleurs et des gens de gauche désespérés, déboussolés et désormais politiquement “orphelins”, à la recherche de nouvelle représentation politique... laquelle leur est offerte en toute priorité par cette Lega démagogique et “anti-système”. Et ce n’est pas un hasard si dans ses premières déclarations après les élections, Salvini s’est adressé exactement à ces “orphelins” de gauche qui ne sont pas allés voter, pour les inviter à rejoindre son parti...
• Parce que le Mouvement 5 Étoiles qui pourrait concurrencer la Lega de Salvini, est en train d’abandonner son radicalisme “anti-systémique” afin de devenir au plus tôt acceptable par les centres de décision italiens et internationaux. Comme s’empresse de déclarer si éloquemment, seulement trois jours après les élections, son fondateur et -toujours- homme fort Beppe Grillo: “Nous sommes un peu chrétiens démocrates, un peu de droite, un peu de gauche, un peu centristes… nous pouvons nous adapter a n’importe quelle chose”!…
• Enfin, parce que la Lega de Salvini est favorisée en tout priorité par la montée en flèche de l’extrême droite presque partout en Europe et même au delà.
Si le grand vainqueur des élections italiennes est donc la Lega de Mateo Salvini, le grand perdant est sans doute le centre-gauche du Parti Démocrate (PD) de Mateo Renzi. Ce n’est pas seulement que son effondrement électoral ait dépassé même les prévisions les plus pessimistes, ni qu’il n’atteint même pas 19% des voix ou que la Lega, jusqu’à hier parti régional, le talonne désormais et n’est plus qu’a 1% de lui. C’est surtout que le PD est en train d’éclater puisqu’une partie de ses députés s’orientent vers le soutien à un éventuel gouvernement Di Maio du Mouvement 5 Étoiles, tandis que se multiplient les départs de ses cadres et ses membres déçus et désorientes semblent vouloir se replier sur eux-mêmes. Et tout ça pendant que Renzi déclare démissionner et “geler” sa démission plusieurs fois par jour (!) et donne l’impression d’avoir divorcé avec la réalité quand il fait preuve d’une arrogance sans limite en faisant sans cesse l’éloge ...de lui-même!
Pourtant, ce Renzi post-électoral devenu la risée même de ceux qu'hier encore faisaient ses louanges, est le même Renzi qui, des années durant, était présenté par les ponces des médias internationaux comme le plus talentueux jeune dirigeant Européen et celui qui incarnait le mieux la nouvelle gauche européenne. Malheureusement pour eux ainsi que pour les partisans de la gauche dite “réaliste”, leur extase pour le “phénomène” Renzi n’a pu empêcher la révélation de l’impitoyable réalité: Leur favori n’était qu’un fanfaron égocentrique totalement insignifiant dont l’exploit majeur a été qu’il a contribué comme nul autre à l’effondrement et peur être à la disparition de la transcroissance centriste et néolibérale des restes de ce qui a été jadis le si puissant parti Communiste italien!
“Quelle fin tragique de la gauche italienne et de son leader de gauche!” se lamentent maintenant en chœur les médias internationaux suivis par tous les états-majors politiques qui ont n’ont cessé de faire l’éloge du “réalisme” et de l’avenir radieux de la nouvelle gauche italienne. Mais, de quel leader de gauche parlent-ils quand Renzi lui-même n’a jamais été membre d’un parti ayant même un rapport lointain avec la gauche, vu qu’il a toujours été...démocrate chrétien? Comme d’ailleurs ont été des démocrates chrétiens au passé riche en postes gouvernementaux, tant d’autres dirigeants de ce PD dit de “centre-gauche”. Un parti devant lequel d’anciens dirigeants de la vieille Démocratie Chrétienne italienne (DCI) comme, par exemple feu Aldo Moro, feraient figure de...bolcheviques. Triste conclusion: Même après coup, tous ceux (journalistes et autres politiciens) qui ont fait nom et carrière en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes de gauche devraient maintenant avoir la décence de demander pardon pour leur incroyable escroquerie…
Finalement, seuls des naïfs impénitents pourraient qualifier le résultat des élections italiennes et ses conséquences tragiques d’“énorme surprise” et de coup de tonnerre dans un ciel bleu. En réalité, ce résultat constitue l’aboutissement logique de la longue période de décomposition méthodique -sinon planifiée- de la gauche italienne, qui a ouvert la voie d’abord à l’apparition et ensuite au développement fulgurant de l’extrême droite. Dans ce cadre général, le tournant d’importance historique a été la participation du parti de Rifondazione Comunista, alors en pleine ascension, au gouvernement néolibérale de Romano Prodi (2007). Cette participation a scellé non seulement le déclin irrémédiable de cette formation de la gauche radicale, mais aussi le début de la fin des puissants mouvements sociaux italiens, lesquels il y a seulement 13-14 ans, étaient la locomotive d’un mouvement radical européen en plein épanouissement.
La conclusion n’est pas du tout optimiste: L’extrême droite pogromiste de la Lega de Salvini, mais aussi les plus petites organisations néofascistes, semblent s’enraciner dans une société italienne défaite et déboussolée, depuis longtemps rongée par le “berlusconisme”, et qui devient la proie facile des populistes sans scrupules et autres racistes d’extrême droite qui se revendiquent souvent du passé fasciste! Une raison de plus qui fait que la solidarité active aux mouvements sociaux italiens et à la refondation de la gauche radicale italienne soit d’importance vitale non seulement pour le pays voisin mais aussi pour toute l’Europe...
Athènes, le 7 Mars 2018
Traduit du grec