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Les oubliés de la Petite Enfance
Le secteur de la petite enfance traverse une crise majeure : pénurie de personnel, épuisement des équipes, sous-financement des structures. Mais un fléau plus silencieux frappe celles et ceux qui aspirent à devenir Éducateurs de Jeunes Enfants, Auxiliaires de Puériculture ou Accompagnants Éducatifs Petite Enfance : l’accès difficile aux stages, pourtant indispensables à la validation de leur formation.
Et même lorsqu’un établissement accepte de les accueillir, les conditions ne leur permettent pas toujours de se former dans le respect de leur rôle, ni dans celui de leur dignité.
Des stages soumis à un tri arbitraire
De plus en plus d’établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) pratiquent une sélection rigide des stagiaires. Ce tri, loin d’être toujours fondé sur des critères pédagogiques, semble répondre à des logiques internes :
- Préférences personnelles ou institutionnelles : certains profils sont jugés « trop questionnants » ou « trop engagés ».
- Refus des regards neufs : on attend des stagiaires qu’ils s’alignent sans poser de questions.
- Manque de transparence : les refus sont rarement justifiés, installant un sentiment d’exclusion.
Une posture d’invisibilisation sur le terrain
Un témoignage marquant m’a été confié par une stagiaire que j’ai accompagnée récemment :
« Ils ont accepté de m’accueillir au sein de la crèche, mais cela a été difficile. Lors de mon premier jour, on m’a expliqué que je ne devais pas poser trop de questions, éviter de déranger les professionnelles, et faire ce qu’ils me disaient sans forcément donner mon avis. »
Ce retour illustre une réalité récurrente : le stagiaire est perçu non comme un futur collègue à former, mais comme un élément perturbateur à canaliser.
Voici d’autres témoignages qui révèlent l’ampleur du malaise :
« Je devais rester en retrait et ne pas interagir avec les enfants pendant l’accueil du matin ou pendant les temps de jeux libres… Je me sentais inutile. On m’a également interdit de participer aux temps de lecture, alors que les enfants me sollicitaient spontanément. »
« Mon rôle se limitait à ranger des jeux et assister de loin aux transmissions, sans pouvoir proposer une activité, même validée par ma formatrice. »
« J’ai été découragée de parler aux familles, car ce n’était pas le rôle d’une stagiaire, alors que la communication est au cœur de notre métier. »
Ces postures vont à l’encontre du décret Petite enfance de 2025, qui encourage la co-construction des pratiques, le respect du développement de l’enfant et la reconnaissance du rôle éducatif des stagiaires.
Pourtant, dans la réalité, beaucoup sont réduits à des exécutants silencieux.
Une culture de l’opacité et du silence
On ne peut ignorer la responsabilité collective :
- Des directions qui ferment les yeux sur les postures toxiques de certaines équipes.
- Des professionnels épuisés qui, faute d’accompagnement, rejettent inconsciemment le rôle d’instructeur.
- Une culture du « ne dérangez pas » qui entrave l’apprentissage, la réflexion et la transmission.
Ce n’est pas une critique contre les structures, mais un appel à reconnaître qu’une amélioration est possible.
Pour des stages formateurs, pas formatés
Il est temps de changer les pratiques :
- Créer une charte de stage commune à tous les EAJE, inspirée des principes du décret 2025.
- Mettre en place un observatoire indépendant, garant des bonnes pratiques, avec un droit d’alerte pour les stagiaires.
- Former les professionnels au tutorat pour qu’ils puissent transmettre dans un cadre bienveillant, ouvert et respectueux.
Les stagiaires sont des acteurs à part entière
Ils apportent leur regard neuf, leur motivation, leur envie d’apprendre. Ils ne doivent plus être réduits à des silhouettes silencieuses. Leur accompagnement doit devenir une priorité, car investir dans leur formation, c’est investir dans l’avenir du secteur.
Ce texte n’est pas une dénonciation. Il est un signal, une ouverture, un pas vers un dialogue nécessaire. Pour que l’apprentissage retrouve du sens. Pour que l’accueil devienne réellement formateur. Et pour que chaque stagiaire soit reconnu dans son humanité, sa voix et sa vocation.
Youcef Amrouche,
Éducateur de Jeunes Enfants,
consultant & formateur petite enfance