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Billet de blog 11 août 2025

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« No Kids Places » : une exclusion symptomatique, révélatrice d’un recul sociétal

Une société qui exclut les enfants de certains lieux publics sous couvert de confort adulte révèle une intolérance croissante à leur fragilité. Cette tribune dénonce les « No Kids Places » comme un recul collectif et appelle à redonner aux plus jeunes leur place légitime dans l’espace commun.

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« No Kids Places » : une exclusion symptomatique, révélatrice d’un recul sociétal

Tribune d’un Éducateur de Jeunes Enfants, consultant & formateur en petite enfance

Quand l’enfant devient indésirable
Ces dernières années, une tendance pour le moins perturbante s’installe dans nos environnements sociaux et commerciaux : l’émergence des « No Kids Places » ou « espaces sans enfants ». Derrière cette terminologie se cachent des lieux - restaurants, hôtels, cafés, espaces de loisirs - qui refusent la présence des enfants au nom du calme, du confort ou de la qualité de service. Présenté comme une réponse à des attentes d’adultes, ce phénomène révèle surtout une profonde intolérance à la fragilité infantile - une exclusion silencieuse mais lourde de sens.

Un recul historique préoccupant
La place de l’enfant dans la société n’a jamais été figée : elle est le reflet des époques, des valeurs et des choix politiques. Autrefois intégré au tissu communautaire, le jeune enfant vivait aux côtés des adultes - à la ferme, au marché, dans les rues du village - participant, observant, partageant.
Avec l’industrialisation et l’émergence du modèle scolaire, il a progressivement été isolé : d’abord dans les crèches, puis dans les écoles. Cette séparation visait sa protection, mais elle a aussi créé une distance entre l’enfant et le reste du monde. Ce cloisonnement a fragilisé les relations intergénérationnelles et réduit les occasions de transmission directe des savoirs, qui se faisaient autrefois au sein de la famille ou de la communauté.
Aujourd’hui, avec les « No Kids Places », cette mise à l’écart franchit un nouveau cap : le bannissement pur et simple de certains lieux publics.
Nous sommes passés d’un enfant « à part » à un enfant « mis à l’écart ».

L’enfant : un être fragile, mais indispensable
En tant qu’Éducateur de Jeunes Enfants (EJE), formateur en petite enfance, je peux l’affirmer sans réserve : la fragilité de l’enfant est sa nature, mais aussi sa richesse. Il ne maîtrise pas encore les codes, les volumes, les rythmes imposés par les adultes … et heureusement.
Car c’est justement dans sa spontanéité, sa maladresse et sa curiosité que se trouve sa capacité à découvrir, apprendre et nouer des liens.
Exclure cette fragilité revient à rejeter l’imprévu et l’inconfort que suppose le développement humain, à oublier que tout adulte a été un enfant maladroit, bruyant et ébloui, à nier leur droit fondamental à exister dans l’espace commun.

Le phénomène « No Kids Places » en quelques points
Ces établissements ont émergé dans un contexte fortement influencé par le marketing ciblé. Ils visent une clientèle adulte dite "premium", perçue comme plus rentable et moins susceptible de perturber l’expérience offerte. En parallèle, notre culture contemporaine s’est construite autour de l’idée que le silence, l’ordre et la maîtrise sont les repères du confort et de la qualité, au détriment de la richesse des rythmes et des expressions propres à l’enfance.
Mais au-delà du commerce et des habitudes, ces espaces véhiculent un message symbolique fort : celui que l’enfant n’est pas un citoyen légitime du monde social, mais une source de dérangement qu’il convient de neutraliser. C’est cette logique qu’il faut interroger et remettre en cause.

Un appel à la mobilisation
L’enfant n’a pas besoin d’être toléré : il a besoin d’être accueilli, reconnu et respecté.
Ce que nous vivons avec les « No Kids Places » est le symptôme d’un abandon de notre responsabilité collective envers l’enfance. La société ne peut pas être uniquement conçue par et pour des adultes ajustés à des logiques commerciales.
Il est temps de dénoncer avec force ces mécanismes d’exclusion et de rétablir la place du jeune enfant dans la vie publique - une place juste, légitime et vivante.

En conclusion
Oui, l’enfant est fragile. Oui, il dérange parfois. Mais sa présence est une invitation à repenser nos espaces, nos usages, nos manières d’être ensemble.
En tant qu’experts de la petite enfance, en tant d’adultes responsables, nous ne pouvons rester indifférents face à une pratique qui, sous des apparences inoffensives, changent profondément notre rapport à l’humain. Réapprenons à vivre avec les plus jeunes - pas à leur place, mais avec eux, dans une société qui reconnaît enfin que la fragilité est aussi une dignité.

Youcef Amrouche,
Éducateur de jeunes enfants,
consultant & formateur petite enfance

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.