Algérie : L’armée n’est pas la solution à la crise, c’est le problème
Youcef Benzatat, Le 11 mars 2019

L’armée algérienne a su tracer une ligne rouge que personne n’ose approcher sous peine de représailles fatales. L’expression dictature militaire doit être bannie du langage public, que ce soit pour « l’opposition politique », les médias dits libres où pour tout militant s’exprimant en public. On inventa alors l’expression « le système de pouvoir », appelé communément « le système », d’où l’expression « système dégage ». C’est impersonnel et ambiguë. C’est plus commode et moins compromettant. On l’emploi généralement à toute occasion pour critiquer la dictature, afin de ne pas subir les foudres des dictateurs.
La dictature militaire algérienne a connu deux étapes principales. La première était structurée sous forme pyramidale, dont le chef était Houari Boumediene. A sa mort, cette structure pyramidale s’était effondrée pour donner naissance à une structure horizontale, clanique, où la décision était prise collégialement et consensuellement. Selon l’aveu de l’ancien Président, Chadli Bendjedid, la cohésion était régie par un code d’honneur, qui impose aux membres de la chaine de commandement de l’armée de lui rester fidèles quelque soient les circonstances, sous peine d’être bannis comme un renégat. Le Général Liamine Zeroual, qui est devenu Président, après avoir été plébiscité par le peuple, en a fait les frais pour avoir enfreint ce code d’honneur en voulant en finir avec cette dictature militaire.
Comme le néo colonialisme n’aime pas beaucoup voir des pays riches du sud comme l’Algérie entre les mains de démocrates, jaloux de leur souveraineté, comme le Venezuela de Hugo Chavez à Nicholas Maduro, ils sortirent de leur chapeau la carte Bouteflika. Un homme assoiffé de pouvoir et de plus avec une vengeance à solder contre son pays. Celle de l’avoir privé de la succession de Boumediene en 1978. A un moment où les barons de l’armée sont menacés par la cour pénale internationale (CPI) pour accusation de crimes contre l’humanité pendant la décennie rouge, qui a fait près de 200 000 morts, tués ou disparus pour venir à bout des terroristes islamo-fascistes, pourtant financés et soutenus par ces mêmes puissances néocolonialistes et leurs alliés, les monarchies arabes.
Bouteflika était l’homme qu’il fallait pour tous ceux qui n’aiment ni le bonheur du peuple algérien, ni sa liberté. L’armée en premier. Elle croyait détenir l’épouvantail idéal pour éloigner les démocrates du champ politique et nettoyer l’entourage de Liamine Zeroual, pour régner en dictateurs absolu dans l’ombre. La tâche était aisée contre ce dernier et son entourage, car c’était un véritable patriote, qui ne bénéficiait d’aucun soutien étranger et qui n’hésitait pas à manifester son mécontentement contre tous ceux qui avaient soutenus les terroristes des G.I.A. dans leur œuvre de destruction et de massacre en Algérie. Mais Bouteflika n’était pas l’alibi qu’ils croyaient. Ils ne s’étaient rendu compte, qu’il a été introduit au palais présidentiel comme un cheval de Troie, que lorsque la CPI commença à frapper à leur porte. Pendant ce temps, Bouteflika dû vendre le Sahara sous forme de concessions aux Américains et le gaz bradé à l’Europe. L’Algérie perdra sa souveraineté au cours des deux premiers mandats de Bouteflika. En échange, il bénéficia d’une protection et d’un soutien néo colonialiste à outrance. Le procès interminable contre le Général à la retraite Khaled Nezar, sur lequel est focalisé l’accusation de crime de masse est à ce jour instrumentalisé comme un baromètre de maintien de la pression contre les généraux depuis le début de l’exercice du pouvoir par Bouteflika. Ce dernier a fini par les éliminer l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à reconstituer la structure pyramidale de la dictature militaire initiale, qu’il aurait dû hériter à la mort de Boumediene. Même les services (DRS) subiront le même sort et leur patron, Mohamed Mediène, dit Toufik, mis à la retraite forcée. Le viole de la constitution pour pouvoir aller au-delà de deux mandats ne rencontra dès lors aucune résistance significative. Comme l’appétit vient en mangeant, comme dit l’adage, le système de mandats fut transformé en présidence à vie. Quelques clans ont essayé de se reconstituer, sans succès. Une escarmouche avait même été tentée et a été vouée à l’échec à son tour. Les principaux instigateurs, le chef de la police, le Général Abdelghani Hamel et quelques Généraux furent traités comme de vulgaires malfrats après avoir été désignés comme les principaux coupables. Le Général Hocine Benhadid qui osa s’attaquer ouvertement et publiquement de front à Bouteflika payera cache un séjour en prison. Le dernier en activité d’opposition à l’hégémonie de Bouteflika, le Général à la retraite Ali Ghediri, est monté au front électoral, en se présentant aux élections présidentielles de 2019, avec l’intention de s’attaquer à la dictature sans la nommer, se contentant de la désigner par le terme de système, probablement sans trop vouloir se mouiller ou par calcul post électoral, s’il devait composer avec une partie de l’armée en cas de victoire. Pourtant, sa campagne électorale s’articule autour de deux principes : la fin du « système » et la restitution de la souveraineté nationale. C’est dire que son objectif serait de s’attaquer aux protecteurs de Bouteflika. Il reconnait lui-même qu’il se présente comme un candidat suicidaire : « j’irai jusqu’au bout de mon engagement dans les élections présidentielles même si on doit me tuer ». Ali Ghediri restera l’énigme de la crise qui secoue aujourd’hui l’Algérie.
Aujourd’hui l’armée est soumise au dictat de Bouteflika, qu’il instrumentalise pour exercer sa dictature sur le peuple algérien, mais une fois disparu, le pouvoir lui reviendra naturellement. La dictature militaire reprendra son droit comme auparavant. Dans la conjoncture actuelle, où le peuple a fait une irruption massive et déterminée dans l’espace public, rejetant Bouteflika et sa dictature, les puissances néocolonialistes ne le voient plus d’un bon œil, sa mission semble être terminée à leur yeux, d’autant qu’il apparait en fin de vie. Il vat falloir le remplacer avec la complicité de l’armée, toujours sous le couperait de la CPI, pour des accusations de crimes de masse et corruption. Notamment l’argent supposé blanchi dans leurs banques et extirpé au peuple algérien des caisses de l’Etat ou amassé dans les « égouts » de la corruption internationale.
Dans ces conditions, le processus révolutionnaire en cours ne pourra aboutir que si cette ligne rouge, qui a généré un climat de terreur et inhibé l’expression publique chez les élites, opposition politique et médias dits libres, sera dépassée et la dictature militaire affrontée frontalement, sans peur et sans ambiguïté. Le combat à mener aujourd’hui est celui pour la souveraineté nationale. Celui contre le néo colonialisme. Empêcher l’armée de négocier la sortie de crise avec les puissances néocoloniales sur le dos de la souveraineté législatrice du peuple, en imposant un Président à leur convenance, comme avec Bouteflika. Le peuple doit prendre son destin en main et ne le déléguer à quiconque. Amener l’armée à laisser le peuple s’organiser par ses propres moyens et ne pas s’ingérer dans le processus révolutionnaire en cours. Il en a démontré la maturité et la conscience patriotique. Il appartient à la jeune génération d’officiers de prendre la relève, après un départ à la retraite responsable des plus âgés. L’armée doit accompagner le processus de transition en le sécurisant et non pas se poser comme obstacle.
Il faut veiller à ne pas tomber dans le piège, qui consiste à révoquer Bouteflika pour calmer la révolte du peuple et affaiblir sa détermination. Ils ont déjà sévi, par ailleurs, lors des manifestations du 8 mars, où ils ont lâché leurs casseurs pour vandaliser un musée et attaquer des policiers, pour casser l'image pacifique des manifestations et semer la confusion. Il faut également dénoncer activement tous ceux qui appellent à suivre le mot d'ordre de la grève générale, pour diviser l’union du peuple afin de préserver le système pour les uns et semer le chaos pour d’autres. Si la grève est un moyen de pression sur le pouvoir, il ne faut pas que cela contribue à l’implosion de l’unité du peuple, notamment en encourageant les secteurs vitaux à observer cette grève, tels que les hôpitaux, les secours, le transport, le commerce et surtout les services de sécurité, ect. De même pour l’encouragement de la désobéissance civile anarchique et précoce, vecteur de la potentialité de l'effondrement de l'Etat. Comme le font certains intellectuels sur les plateaux de télévision de lobbys colonialistes et fascisants où d’industriels aigris, par la fermeture de leurs unités de production et de distribution de produits de première nécessité, en provoquant des pénuries catastrophiques pour l'unité du peuple, comme au Venezuela.
C’est le destin commun des pays du Sud, dont beaucoup sont vent debout, soit en Amérique du sud, soit en Afrique. Si le XX° siècle fut celui de la lutte contre le colonialisme, le XXI° siècle sera celui de la lutte contre le néo colonialisme. L’enjeux est le même. L’autodétermination des peuples. A la différence, aujourd’hui le combat est contre soi-même. Contre l’obscurantisme, le tribalisme, l’ethnicité et surtout contre l’autoritarisme et la dictature militaire, sources de nos vulnérabilités et de notre colonisabilité et armes fatales des puissances néo colonialistes.
Y.B.