Youcef Benzatat, Le 12 mars 2019
L’annonce de Bouteflika d’annuler les élections présidentielles et de prolonger le quatrième mandat à une date indéfinie, conditionnée par l’aboutissement des travaux d’une conférence nationale, qui devrait mettre en œuvre des réformes institutionnelles et constitutionnels devant aboutir à l’organisation d’une élection présidentielle libre, s’apparente à un coup de force constitutionnel, puisque la constitution ne prévoit pas un tel cas de figure dans la conjoncture actuelle. Qui s’appliquerait plutôt si le pays était en guerre.
Dans ce cas, où le report des élections étant anticonstitutionnel, la démarche entreprise par le pouvoir se présente dès lors comme une démarche arbitraire, qui pourra déboucher sur l’inconnu et en violation de la promesse tenue par sa proclamation. Car cette promesse fut décidée unilatéralement par le pouvoir et sans aucune garantie.
Alors que la revendication principale du peuple était sa volonté d’en finir radicalement avec le système de pouvoir en vigueur et la refondation de l’Etat et des institutions, pour une véritable transition démocratique, où il sera le principal acteur de ce processus, le pouvoir persiste dans son autisme à vouloir conduire unilatéralement cette promesse de transition incertaine et sans garanties.
Ce coup de force constitutionnel apparait d’emblée comme inutile, car le peuple a déjà pris possession de l’espace publique de façon irréversible et par conséquence, ayant déjà pris le pouvoir symboliquement. Se trouvant désormais en position de force par sa détermination à s’emparer de l’espace public, il est en mesure de retirer définitivement sa confiance au pouvoir face à une promesse qui ne répond pas à ses attentes. D’autant que le retrait de cette confiance fut la principale motivation qui l’a poussé à s’approprier l’espace public, pour les motifs de corruption et de détournement des biens publics, de fraude électorale, de violation de la constitution, de destruction du système éducatif, sanitaire, économique, industriel et agricole, ainsi que tous les secteurs vitaux de la nation, malgré une manne pétrolière dépassant les 1200 milliards de dollars.
Une confiance déjà entamée par des soupçons de trahison contre la nation, visant particulièrement le Président Abdelaziz Bouteflika. Comme le néo colonialisme n’aime pas beaucoup voir des pays riches du sud comme l’Algérie entre les mains de démocrates, jaloux de leur souveraineté, comme le Venezuela de Hugo Chavez à Nicholas Maduro, ils sortirent de leur chapeau la carte Bouteflika qu’ils suggérèrent aux décideurs algériens. Un homme assoiffé de pouvoir et de plus avec une vengeance à solder contre son pays. Celle de l’avoir privé de la succession de Boumediene en 1978. A un moment où la chaine de commandement de l’armée était menacée par la cour pénale internationale (CPI) pour accusation de crimes contre l’humanité pendant la décennie rouge, qui a fait plusieurs milliers de morts et disparus dans son combat contre les terroristes islamo-fascistes, pourtant financés et soutenus par ces mêmes puissances néocolonialistes et leurs alliés, les monarchies arabes. Bouteflika se présentant à ce moment comme l’homme qu’il fallait pour sortir le pays de la crise induite par la décennie rouge, il fut adopté par les décideurs comme une solution de choix. A ce moment, l’armée croyait miser sur un homme d’expérience autour duquel pouvait se nouer un consensus de réconciliation nationale et redresser le pays après la tragédie qu’il a connu.
Mais Bouteflika n’était pas l’alibi qu’ils croyaient. Ils ne s’étaient rendu compte, qu’il a été introduit au palais présidentiel comme un cheval de Troie, que lorsque la CPI commença à frapper à leur porte. Pendant ce temps, Bouteflika dû vendre le Sahara sous forme de concessions aux Américains et le gaz bradé à l’Europe. L’Algérie perdra sa souveraineté au cours des deux premiers mandats de Bouteflika et le pays plongé dans l’arbitraire et l’autoritarisme. En échange, il bénéficia d’une protection et d’un soutien néo colonialiste à outrance. Les accusations de crime contre l’humanité à l’encontre des généraux continuaient à être instrumentalisées comme un baromètre de maintien de la pression contre eux sans relâche. Ce qui les rendra impuissants d’agir contre lui sans subir la foudre de ces puissances. Ce dernier a fini par les éliminer l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à reconstituer la structure pyramidale du pouvoir, qu’il aurait dû hériter à la mort de Boumediene. Même les services (DRS) subiront le même sort et leur patron, Mohamed Mediène, dit Toufik, mis à la retraite forcée. Le viole de la constitution pour pouvoir aller au-delà de deux mandats ne rencontra dès lors aucune résistance significative. Comme l’appétit vient en mangeant, comme dit l’adage, le système de mandats fut transformé en présidence à vie.
Aujourd’hui l’armée est soumise au dictat de Bouteflika, qu’il instrumentalise pour exercer sa dictature sur le peuple algérien, Dans la conjoncture actuelle, où le peuple a fait une irruption massive et déterminée dans l’espace public, rejetant Bouteflika et sa dictature, les puissances néocolonialistes ne le voient plus d’un bon œil, sa mission semble être terminée à leur yeux, d’autant qu’il apparait en fin de vie. Il va falloir le remplacer avec la complicité de l’armée, toujours sous le couperet de la CPI.
Dans ces conditions, le processus révolutionnaire en cours ne pourra aboutir que s’il s’inscrit dans la lutte pour la souveraineté nationale. Celui contre le néo colonialisme. Empêcher le pouvoir de négocier la sortie de crise avec les puissances néocolonialistes sur le dos de la souveraineté législatrice du peuple, en imposant un Président à leur convenance, comme avec Bouteflika en 1999, reviens à rejeter la démarche entreprise par le pouvoir, qui semble dictée par ces puissances intéressées pour que rien ne change.
Le peuple doit prendre son destin en main et ne le déléguer à quiconque. Amener l’armée à laisser le peuple s’organiser par ses propres moyens et ne pas s’ingérer dans le processus révolutionnaire en cours en soutien du clan Bouteflika. Elle peut compter sur le peuple qui a démontré sa maturité et sa conscience patriotique responsable pendant les manifestations en cours. L’armée doit accompagner le processus de transition en le sécurisant et non pas se poser comme obstacle.
Il faut veiller à ne pas tomber dans le piège, qui consiste à révoquer Bouteflika pour calmer la révolte du peuple et affaiblir sa détermination. Ils ont déjà sévi, par ailleurs, lors des manifestations du 8 mars, où ils ont lâché leurs casseurs pour vandaliser un musée et attaquer des policiers, pour casser l'image pacifique des manifestations et semer la confusion. Il faut également dénoncer activement tous ceux qui appellent à suivre le mot d'ordre de la grève générale, pour diviser l’union du peuple afin de préserver le système pour les uns et semer le chaos pour d’autres. Si la grève est un moyen de pression sur le pouvoir, il ne faut pas que cela contribue à l’implosion de l’unité du peuple, notamment en encourageant les secteurs vitaux à observer cette grève, tels que les hôpitaux, les secours, le transport, le commerce et surtout les services de sécurité, ect. De même pour l’encouragement de la désobéissance civile anarchique et précoce, vecteur de la potentialité de l'effondrement de l'Etat. Comme le font certains intellectuels sur les plateaux de télévision de lobbys colonialistes et fascisants où d’industriels aigris, par la fermeture de leurs unités de production et de distribution de produits de première nécessité, en provoquant des pénuries catastrophiques pour l'unité du peuple, comme au Venezuela.
C’est le destin commun des pays du Sud, dont beaucoup sont vent debout, soit en Amérique du sud, soit en Afrique. Si le XX° siècle fut celui de la lutte contre le colonialisme, le XXI° siècle sera celui de la lutte contre le néo colonialisme. L’enjeux est le même. L’autodétermination des peuples. A la différence, aujourd’hui le combat est contre soi-même. Contre l’obscurantisme, le tribalisme, l’ethnicité et surtout contre l’autoritarisme et l’arbitraire politique, sources de nos vulnérabilités et de notre colonisabilité et armes fatales des puissances néo colonialistes.
Y.B.