Youcef Benzatat

Abonné·e de Mediapart

40 Billets

0 Édition

Billet de blog 27 février 2019

Youcef Benzatat

Abonné·e de Mediapart

En Algérie, la révolution blanche est en marche

Le peuple algérien entre dans une dissidence irréversible. Après la démonstration du 22 février où des centaines de milliers de manifestants ont investi la rue dans la quasi-totalité des villes, le 26 février, ce fut le tour des étudiants de manifester par centaines de milliers à travers le territoire national.

Youcef Benzatat

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Algérie la révolution blanche est en marche

Youcef Benzatat, Le 26 février 2019

Le peuple algérien entre dans une dissidence irréversible. Après la démonstration du 22 février où des centaines de milliers de manifestants ont investi la rue dans la quasi-totalité des villes, suivis les jours d’après par des rassemblements initiés par l’opposition politique, des sit-in par des avocats, la fronde de quelques journalistes des médias publics, le 26 février, ce fut le tour des étudiants de manifester à leur tour par centaines de milliers à travers le territoire national. Les appels à manifester les jours à venir sont incessants, y compris les femmes qui projettent d’occuper la rue également le 8 mars, journée symbolique de la femme, dont les droits sont bafoués par le système de pouvoir en place. Le peuple s’installe désormais dans la rue et un groupe important d’intellectuels et d’universitaires ont fait une déclaration commune de soutien et d’adhésion à ce soulèvement populaire sans précédent depuis l’accession de l’Algérie à son indépendance.

Pendant ce temps, le pouvoir et ses clients et intéressés, médias compris, tentent désespérément de minimiser l’ampleur des manifestations en réduisant les revendications du peuple au simple rejet du 5° mandat du Président sortant Abdelaziz Bouteflika. Occultant volontairement sa détermination de rupture avec le système de pouvoir en vigueur dans son intégralité et sa volonté de table rase, par la refondation de l’Etat et des institutions dans la perspective de l’édification d’une deuxième république. Le slogan relatif au rejet du 5° mandat est suivi dans tous les cas, immédiatement, par celui qui demande au pouvoir de partir « système dégage ». Le nom du premier ministre Ahmed Ouyahia et quelques autres noms jouant un rôle important dans le premier cercle du pouvoir sont systématiquement associés en récurrence avec celui du chef de l’Etat dans cette circonstance, dont le frère du Président, Saïd Bouteflika et le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), vice-ministre de la défense, Ahmed Gaïd Salah, principal soutien de la candidature de Bouteflika et du maintien du système de pouvoir en vigueur aux commandes de l’Etat.

Cette obstination du pouvoir à vouloir se maintenir aux commandes de l’Etat, malgré sa disqualification et son rejet explicite par le peuple, notamment en opposant le droit constitutionnel qui autorise Bouteflika de se représenter pour un 5° mandat, ou en qualifiant les manifestants de manipulés par des entités occultes, traduit sa ferme volonté de résister à la révolte du peuple et fait craindre le pire pour la paix civile. Car autant de signes laissent croire que le mouvement de révolte du peuple n’est pas prêt à s’essouffler de sitôt. C’est tout le contraire qui se dessine en perspective. Nous ne sommes plus dans la configuration d’octobre 1988. On a affaire aujourd’hui à une révolte qui couve depuis près de deux décennies, avec un peuple mur et responsable. Une période suffisamment longue pendant laquelle il a tourné définitivement le dos au pouvoir, affirmé à chaque convocation électorale par une abstention de plus en plus massive. Lui signifiant sa fin de non-recevoir sur la légalité des scrutins organisés en violation de la constitution et validés sur fond de fraude électorale.  

C’est ce bras de fer qui se dessine en perspective qui fait craindre le pire pour la paix civile. Car, ni le peuple, ni le pouvoir ne semblent prêts à céder sur leurs positions. Il est inutile de s’étaler sur le bien fondé des revendications du peuple, tout à fait légitimes, de vouloir prendre leur destin en main et élire un pouvoir qu’ils auront choisis et non plus imposé par un système qu’ils considèrent illégitime.

Il va sans dire que nous nous dirigeons vers un pourrissement de la situation, si le pouvoir ne revient pas sur son obstination et qu’il refuse de s’engager à rendre sa souveraineté au peuple. A ce jour, rien ne présage du contraire. Le pouvoir s’est installé dans une posture défensive, en multipliant menaces et intimidations par des arrestations et l’usage abusif de gaz lacrymogènes de dispersion des manifestants. L’irruption de la violence dans ce cas sera néfaste pour le pays et pour son avenir. C’est pour cela que le peuple, conscient de l’éventualité de cette dérive de la part du pouvoir, multiplie les slogans envers le caractère pacifique de l’expression de sa révolte, tout en mettant le cap sur l’irréversibilité de ses objectifs avec une détermination sans failles. Dans ce cas, toute tentative d’intermédiation étrangère intéressée ou de forces occultes manipulatoires de l’intérieur sont inutiles et vouées à l’échec. Le peuple a muri et ses objectifs sont clairement arrêtés. Le peuple laissera certainement quelques plumes, mais il s’en sortira à moindre frais.

En tout cas, on y est. La révolution blanche est déjà en marche. Le peuple appelle sans nuance à l’avènement d’un nouvel Etat et d’une nouvelle république, la sienne. Une nouvelle république pour un peuple émergent, contre une ancienne république d’oligarques où la population était exclue et l’avènement du peuple empêché. La simulation de l'enterrement de l'ancienne république par l'exhibition d'un cercueil recouvert de l'emblème national lors de la manifestation des étudiants le 26 février en est la démonstration, en même temps que celle du 5° mandat et du système de pouvoir qui le soutient. Une nouvelle république fondée sur le principe de la table rase. Tout doit être envisagé sur la base de nouveaux principes. A commencer par la réécriture de la constitution et de l’histoire sur une nouvelle page blanche.

Y.B.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.