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Par @youchenaneoff, pour Le Club de Mediapart
22 février 2025
C’est une vieille histoire d’amour-haine qui menace de tourner au fiasco retentissant. Entre Paris et Alger, le torchon brûle à nouveau, rallumé par l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en novembre 2024 et l’expulsion d’un influenceur algérien en janvier 2025. Mais derrière ces étincelles, ce sont des postures politiques qui attisent la braise : une extrême droite française drapée dans sa nostalgie coloniale, un gouvernement qui joue les matamores sous la férule de Bruno Retailleau, et un régime algérien qui préfère la répression à la main tendue. Si la rupture se consomme, les dégâts seront colossaux.
Le RN, croque-mitaine de la mémoire
Au Rassemblement National, on cultive un passé qui ne passe pas. Jean-Marie Le Pen, en 2012, crachait sur la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961, et ses héritiers, Marine Le Pen et Jordan Bardella, perpétuent la tradition. Leur obsession ? Torpiller toute idée de « repentance » – un mot que les Algériens rejettent, eux qui demandent juste que les crimes coloniaux soient nommés pour ce qu’ils sont. Avec ses scores électoraux historiques en 2024, le RN ne se contente plus de jouer les nostalgiques de l’Algérie française : il sème la haine anti-algérienne, pourrissant un peu plus des relations déjà au bord du gouffre. Et pendant ce temps, le gouvernement regarde ailleurs… ou pire.
Retailleau, le matador qui fait trembler la porcelaine
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, aime jouer les gros bras. Quand Alger renvoie un influenceur expulsé par les autorités françaises en direction de l'Héxagone, il hurle à l’« humiliation » et dégaine une menace : revoir l’accord migratoire de 1968. « Cynique ! », réplique un officiel algérien, tandis que la presse locale le baptise « ministre de la haine ». Exit la diplomatie feutrée du Quai d’Orsay : Retailleau se rêve en shérif des relations bilatérales, quitte à faire voler en éclats un équilibre déjà fragile. Où est passé l’élan de Macron, qui, en 2022 à Alger, parlait de réconciliation ? Enterré sous les rodomontades d’un exécutif qui préfère la posture à la raison.
Alger, le miroir peu flatteur
En face, l’Algérie ne fait pas mieux. Le Hirak, ce grand souffle démocratique de 2019-2021, s’est éteint sous les matraques. Cinq ans après, Amnesty International dénonce une répression qui ne faiblit pas. L’arrestation de Boualem Sansal, accusé d’atteinte à la sécurité nationale et jeté en prison, en est la preuve criante. Quant à la réconciliation avec la France, Alger la regarde de loin, préférant agiter le spectre colonial pour détourner les regards de ses propres échecs. Le rapport Stora de 2021 ? Un joli souvenir, rien de plus.
Une rupture aux allures de cataclysme
Si ce bras de fer aboutit à une rupture définitive, les dégâts seront un carnage – et la France en pâtira bien plus que l’Algérie. Économiquement, Paris perdrait un partenaire essentiel : l’Algérie, grand fournisseur de gaz, pourrait serrer les robinets côté français sans grand mal, vu que l’Espagne et l’Italie, ses principaux acheteurs, restent à l’affût. Les entreprises tricolores, TotalEnergies en tête, risquent de partir, laissant derrière elles des pertes colossales que l’Hexagone aura du mal à encaisser. Quant aux flux migratoires, rompre les accords de 1968 transformerait les expulsions en cauchemar logistique et humain, une épreuve lourde à porter pour Paris, quand Alger, lui, s’en tirerait presque sans dommage – son gaz trouve déjà preneur ailleurs, et ses soucis s’effacent. Dans cette confrontation, la France joue gros, l’Algérie se contente d’observer.
Culturellement, ce serait un désastre. La communauté franco-algérienne, ce pont vivant entre les deux rives, deviendrait un champ de bataille identitaire, livré aux surenchères du RN et aux rancœurs d’Alger. Les échanges étudiants, les projets artistiques – tout ce qui tisse encore des liens – s’effondreraient sous les décombres d’une mémoire malmenée. Et sur le plan géopolitique, la France s’isolerait un peu plus au Maghreb, laissant le champ libre à d’autres puissances, Russie ou Etats-Unis en tête.
Le sursaut ou le chaos
Ce n’est pas une crise, mais un avertissement. La France doit faire taire ses nostalgiques et remettre à leur place ses provocateurs, à commencer par Retailleau. Quant à l’Algérie, elle doit arrêter de se poser en victime éternelle et ouvrir, même faiblement, la porte à un dialogue réel. Sinon, les deux pays ne se contenteront pas de s’ignorer, ils se condamneront à l’impasse.