Entre 1905 et 1907, des relevés géologiques ont confirmé la richesse des gisements de fer à proximité de Melilla. Après cette découverte, les espagnols ont entamé les travaux d’une voie ferrée dans la région de Melilla. Après plusieurs manifestations de la part de la population locale, six agents des chemins de fer sont tués par les rifains, qui signèrent ici l’une de leurs premières victoires sur l’envahisseur ibérique, lors de l’été 1909. Depuis, l’Espagne connait défaite sur défaite face a un peuple qu’elle méprise.
« J’étais à l’origine plein d’enthousiasme et d’espoir, et je m’employais tout comme mon père à faire admettre aux rifains, l’intérêt d’accueillir les espagnols afin qu’ils nous apportent le progrès et le développement »
Le 30 mars 1912, Le Traité de Fès est établi entre le Maroc et la France. En le signant, le sultan Moulay Abd El-Hafid acceptait le protectorat de la France sur le royaume chérifien. Dans le même temps, les mines du Rif continuent d’alimenter en fer le Royaume Uni et l’Allemagne. C’est alors qu’un ex-journaliste au quotidien de Melilla fraichement nommé cadi-chef de Melilla en 1915, est emprisonné en 1917 pour s’être opposé à l’expansion de la domination espagnole dans le nord du Maroc. Après avoir quitté la prison en 1919, le dénommé Abdelkarim El Khattabi rejoint sa ville natale Ajdir, où il entreprend, avec le soutient de son frère, d’unir les tribus du Rif dans le cadre d’une République du Rif indépendante.
« Comme il n’y avait plus rien à attendre d’eux, je me déclarais favorable à l’indépendance du Rif. On me jeta alors en prison pendant 11 mois, sous prétexte que je complotais avec l’Allemagne »
Charismatique, doté de sang-froid, pondéré, stratège… El Khattabi avait tout pour s’imposer en tant que meneur d’hommes et leader de la résistance rifaine. Pendant ce temps-là, le Roi Alphonse XIII se renseigne auprès de l’Allemagne par rapport aux armes chimiques. En 1919, le Comte de Romanones -chef du gouvernement espagnol- annonce la nouvelle impulsion donnée à la guerre au Maroc.
En 1921, l’un des moments les plus historique de cette guerre est sur le point d’avoir lieu. Sylvestre -général espagnol- approche Anoual afin de placer les bases de ses futures opérations. Sous-estimant les forces d’Abdelkarim, l’Espagne enregistre alors ses premières défaites contre des tribus qui se renforçaient de jour en jour. Dans la nuit du 21 juillet 1921, le général Sylvestre réclame des renforts immédiats. Ce soir-là, El Khattabi emploie des tactiques qui contraignent l’armée espagnol à se replier dans la ville de Melilla à l’aube. Le scenario espagnol tourne alors au cauchemar. Prisonniers et décès, les espagnols sont épouvantés par l’étendu du carnage, qui était de trois mille cadavres environs. Cette bataille marquera les esprits, représentant la première défaite d’une puissance coloniale européenne face à une armée de « seconde zone ». La crise politique provoquée par cette défaite fut la cause directe du coup d'État et de la dictature de Miguel Primo de Rivera. La Bataille d’Anoual marquera par ailleurs le début de La Guerre Du Rif.
« En ce qui concerne la débâcle d’Anoual, elle nous a rapportée en plus des prisonniers, cent cinquante canons, dix mille fusils, d’incalculables stocks d’obus et des millions de cartouches, des automobiles, des camions, des médicaments, ainsi que des matériels de campement. Pour ménager une porte à la négociation et épargner nos vies humaines, je faisais en sorte de ne pas occuper Melilla et je libérais les femmes et les enfants »
Afin d’effacer l’humiliation d’Anoual, les espagnols réalisent de radicaux changements, avec par ailleurs la multiplication du budget militaire par trois. En novembre 1921, une usine d’armes chimiques allemandes est fondée à Madrid. Le devoir de civiliser le rifain, cède la place à celui de l’exterminer par tous les moyens.
Se sentant alors menacé, Abdelkarim El Khattabi envoie des émissaires en Grande Bretagne, demandant de l’aide sanitaire et la rupture des contrats avec Madrid. Cependant le gouvernement britannique refuse de négocier avec des rebelles.
« Les espagnols croient que l’Europe les a chargés de civiliser le Rif, mais les rifains demandent : Est-ce que la reforme consiste à détruire des maisons en utilisant des armes interdites ? Il est tant que l’Europe qui a proclamé au début du XXème siècle sa volonté de défendre la civilisation fasse passer ses nobles principes de la théorie à la pratique »
En juillet 1923, les prisonniers d’Anoual sont libérés aux conditions initiales. Au lieu des six cents prisonniers initiaux, seuls trois cents soixantaine sept reviennent, les autres étants morts de faim ou de maladie. Lors de ce même mois, Abdelkarim met enfin en œuvre La République du Rif, proclamée un an auparavant. En effet, le leader rifain présenta une assemblée où siègent les représentants de quarante et une tribus, d’un gouvernement, de ministres, d’une monnaie, d’une banque d’état, ainsi que d’une justice moderne et indépendante. Les infrastructures routières et les ponts apparaissent a leur tour, suivis par le téléphone et le télégramme. Abdelkarim réclame ainsi l’indépendance de la nouvelle république, et ce, dans le respect du droit international.
Lors de cette même année, Alphonse XIII confie à Franco les clés de la légion -troupe d’élite du Rif-. Le général Primo de Rivera profite de l’instabilité politique et sociale afin de s’emparer du pouvoir avec le soutien du roi. En septembre 1923, il suspend la constitution, instaure une dictature militaire et s’empresse de décréter une pause dans la guerre.
Alors que Primo de Rivera multiplie les pourparlers avec Abdelkarim, l’armée de Franco s’oppose à l’abandon du rif.
« On a cherché à me faire passer pour un rebelle sanguinaire, un esprit retors alors qu’il ne s’agissait pour nous que de défendre nos droits. Nous l’avons fait savoir à l’Espagne, ainsi qu’au Marechal Lyautey et au sultan »
A partir de 1923, commença la véritable guerre chimique contre la population rifaine par bombardements aériens, en visant les villages, la population civile, les terres agricoles, sans atteindre les combattants rifains. La guerre englobait la totalité de la région.
Afin de stopper El Khattabi, Lyautey demande à occuper la rive droite de l’Ouergha. Et c’est le cartel des gauches –fraichement vainqueur des élections en 1924- qui envoie les renforts réclamés par le Marechal « au nom de la paix en Europe ». Ainsi, le 25 mai 1924, douze mille soldats franchissent l’Ouergha avec l’assurance d’appartenir à l’armée la plus puissante du monde. Cependant, après avoir battu les espagnols au nord en les rejetant vers la mer, plus rien ne semble pouvoir arrêter Abdelkarim au sud où de nouvelles tribus se joignent à la lutte.
L’armée rifaine réussi finalement à repousser les forces françaises, à s’emparer de la vallée de l’Ouergha et de ses ressources tout en menaçant Fès et Taza, signant ainsi une nouvelle victoire pour les hommes de Abdelkarim.
En 1925, le Marechal Pétain est envoyé pour élaborer avec Primo de Rivera la stratégie destinée à écraser le Rif. Il reçoit ainsi le commandement des forces du Maroc le 3 septembre 1925. Plus tard en 1925, l’alliance franco-espagnole réussi enfin à s’emparer la baie d’Al Hoceima, après une sèrie de bombardements, et réussi enfin l’exploit en portant un coup fatal aux rifains.
En avril 1926, malgré les pourparlers engagés, le pilonnage de la région se poursuit et réussit à balayer en quelques semaines la résistance rifaine.
« Alors que nous nous battions depuis seize ans pour notre liberté et que l’Espagne semblait incapable de nous soumettre, la France et l’Espagne allaient nous attaquer sur tous les fronts en nous écrasant sous le feu répété de leurs canons. Pour nous blesser, ils ont supprimé la possibilité de recevoir des soins. Un tel acte est tout simplement inhumain »
Le 27 mai 1926, et ce, après longue réflexion, Abdelkarim El Khattabi se rend aux français comme prisonnier de guerre, afin d’épargner la vie de nombreux soldats voués à la cause de la libération. Cependant, malgré cela, des avions munis de gaz moutarde bombarderont des villages entiers, faisant des rifain les premiers civils gazés massivement dans l'Histoire avec un total d’environ cent cinquante mille morts entre 1925 et 1926.
Quant à Abderkim, ce dernier sera exilé à la Réunion en 1926. Il vivra en France quelques années avant de rejoindre au Caire en 1947, ville où il présidera le Comité de Libération pour le Maghreb. Il s’éteint en 1963 dans cette même ville, comme une légende arabe et maghrébine qui n’aura jamais pu revoir son Maroc natal.
