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Dimanche 30 octobre 2022, tableau contemporain de la lutte des classes. Des jeunes de toutes provenances, de toutes origines et de toutes classes sociales dansent avec des fumigènes noirs devant le bâtiment monument, sur les hymnes cultes de Shay et Aya Nakamura. Dans leurs poings fièrement brandis, voguent des drapeaux communistes et CGT, sur les pas de danse effrénés des grévistes. Encore une fois, c’est la grève à la philharmonie de Paris. Ce haut lieu de la culture légitime, trouve en son opposition une autre culture, célébrée dans l’euphorie et la fatigue générale. Ces jeunes agents d’accueil, étant pour la plus part étudiants ou artistes à côté, revendiquent leurs droits en occupant le pavé et en chantant à la honte de cette grande institution culturelle, qui prône l'excellence et l'ouverture alors que son fonctionnement repose sur une sous-traitance des plus précarisante.
Ce dimanche, la grève a mobilisé des convaincus et des incertains, qui ont fini par rejoindre le mouvement, poussés par l’incompétence de leurs responsables à gérer la situation. C’est ainsi que plusieurs agents qui étaient venus pour travailler, se sont finalement mis en grève eux aussi, en cours de journée. Ces mêmes responsables ont alors étés contraints a quitter leurs bureaux pour endosser les postes des sous-traités, dont ils contestent encore et toujours le mouvement. Ainsi, au regard de tous, ils finissent par prouver que dans cette pratique ultra-libérale du travail, tout le monde est interchangeable tant que la machine peut continuer à tourner. Ils sont à bout mais ils collaborent. Certains sans même être contractuellement rattachés à la sous-traitance, d’autres alors qu’ils témoignent d’une fatigue tellement intense qu’elle se rapprocherait du burn-out. Alors pourquoi ? Pourquoi continuer à collaborer, lorsque la machine leur roule dessus aussi ? Pourquoi ne rejoignent-ils pas la grève alors qu’ils sont eux aussi misérables, si on les écoute ? Leur position serait-elle à ce point favorable en comparaison aux simples agents d'accueil ? C’est possible.
Il est fort possible surtout, que sans cette sous-traitance, ils n’auraient simplement jamais accédé à ces positions de pouvoir. Ces chefs n’ont pas de meilleurs niveaux d’études, voire même généralement un niveau d’études bien inférieur au nombreux étudiants qui travaillent sous leurs directives. Ils n’ont pas d’autre mérite que leur ancienneté, et encore elle est, pour certains, discutable. Alors, en dehors de ce cadre bien précis, il est probable qu’aucun d’entre eux n’aurait eu les qualifications pour être en charge de quoi ou de qui que ce soit. Ce qui est valorisé chez eux, aux yeux du grand sous-traitant, c’est leur dévotion fidèle et sans faille, parfois même sans limite, à une machine qui ne fait que les négliger eux aussi. Sont-ils bien mieux payés ? Pas vraiment. Sont-ils bien mieux considérés ? Pas non plus. Non, ce qui est retenu de leur engagement, c’est une servitude sans pareille, en échange d’un petit peu de pouvoir.
Alors, bien que nous ne pouvons que condamner les actions autoritaires et infantilisantes qu’ils ont perpétué par le passé, nous ne pouvons que les encourager à rejoindre la lutte à leur tour. Eux aussi seraient en droit de demander plus. Plus de formations, plus de salaire, plus de moyens et même demander l’arrêt de leur propre sous-traitance. Car finalement, ce sont eux aussi des travailleurs non-qualifiés et par extension, des travailleurs interchangeables. Nous ne parlons pas, ici, de grands PDG ou de directeurs influents, mais bien de petits adjoints et responsables de groupes, qui ne servent qu’à appliquer et contrôler l’autorité d’en haut, celle qu’ils ne pourront jamais réellement atteindre. Un chef, même petit, devrait pouvoir revendiquer des améliorations pour son équipe, car c'est aussi à elle qu'il rend des comptes. Cela même fait aussi partie de ses devoirs. Pourtant, pour conserver le peu qui leur a été donné, ils s’obstinent à aller contre la lutte, à collaborer pour que la machine tourne toujours et à servir la soupe à Marc.
Mais qui est Marc ? Marc, Ô Marc … Marc le grand, Marc le beau, Marc le tout puissant. Marc le chef, dans son costume de chef, avec ses pompes de chef, bien cirées comme un chef. Marc est venu sur le piquet, raide comme un piquet. Marc a voulu négocier avec notre cheffe à nous, qui ne s’est même pas faite ciré les pompes avant d'aller lui parler. Marc négocie, parce que vous comprenez c’est vachement dur en ce moment pour Marc et ses copains. Et oui, nous ne l’avions pas compris, mais Marc aussi galère à cause de l’inflation et tous ces trucs de pauvres. Lui, qui représente une société qui l’année dernière a fait pas moins de 5,5 millions d’euros de chiffres d’affaire, pour un bénéfice net de 1,3 millions (seulement en 2021), notamment avec l’argent que la culture publique injecte dans la sous-traitance, Marc est ric-rac. Pourtant, Marc, dans sa grande générosité, a proposé plus tôt dans la semaine d’augmenter nos paniers repas de 30 centimes, les faisant passer à la superbe somme de 3,35€ (à partir de 6h de travail consécutives, bien sûr). Marc s’est finalement rétracté, car la somme faisait un peu peine, même à Marc qui vit pourtant si humblement. Alors Marc continue à négocier, toujours en dessous du panier repas minimum en pratique, qui est plutôt autour de 7€ (pour les plus radins) et qui est exonéré de charges jusqu'à 6,40€. Mais, comprenez bien que Marc doit aussi manger et, en plus de ça il n’est pas tout seul. Marc et ses copains se partagent modestement les restes, le triste surplus généré par ses bénéfices annuels sur l’argent public dédié à la culture. Marc se serre déjà la ceinture, car il a un appétit gargantuesque et se faire son repas à la cantine de l’état c’est déjà presque une forme d’abnégation pour Marc. Finalement, Marc ne fait ça que dans l’intérêt de la culture, alors il faut bien le comprendre car tout le monde sait que ce ne sont pas les plus gros budgets.
Nous avons aussi eu droit à la visite de responsables de la philharmonie sur le piquet, car comme Marc avait déjà les pompes bien cirées et la soupe bien servie, un peu de temps s’est libéré dans leur planning. On nous a encore expliqué ô combien les choses sont compliquées et qu’en réalité, tout cela n’est que la faute du méchant système capitaliste. C’est vrai qu’en plus, on ne le savait pas déjà et que les drapeaux rouges que l’on agite si ardemment, c’est uniquement parce qu’on aime tous beaucoup cette couleur. La visite fut plaisante car c’est toujours amusant de découvrir dans les luttes, que les responsables ne sont en fait jamais responsables de rien. Alors la philharmonie et ses « responsables » nous adressent toutes leurs inquiétudes sur un sujet dont ils n’avaient évidemment aucune connaissance. Publiquement, ils disent nous soutenir car il est insupportable pour eux de penser, ne serait-ce qu’une seule seconde, que leur institution prestigieuse ne tienne que grâce à l’exploitation des plus pauvres. On imagine d’ailleurs, que s’ils sont autant outrés par la situation, ils exigeront rapidement que les revendications de la grève soient appliquées par le sous-traitant, voire même l’arrêt total de la sous-traitance et ainsi, de la fuite d’argent publique que cela entraine.
Enfin, pour ceux qui n’étaient pas là ce dimanche, vous avez manqué un beau moment de solidarité. Bravo aux grévistes et merci à tous les dons des visiteurs dans la caisse de grève, qui permettront d’un peu arrondir les angles pour les journées sans salaires de tous ceux qui se sont mobilisés. Nous rappellerons brièvement que d'après l'INSEE en 2019, les 18-29 ans représentaient la tranche d'âge la plus touchée par la précarité, avec un jeune sur cinq vivant en dessous du seuil de pauvreté. Depuis, le Covid et la récente inflation n'ont fait qu'aggraver ce qui était déjà un constat préoccupant il y a trois ans, sans même parler des étudiants qui ne peuvent pas cumuler les heures, dont deux tiers vit actuellement en situation d'extrême précarité et dont 56% avouent ne pas pouvoir manger à leur faim en 2022.
Pour nous tous, continuons la lutte et libérons Marc, qu’il puisse enfin occuper ses dimanches comme tout le monde, à l’hippodrome de Longchamp en famille et non sur les pavés de la grève.
Camaradement votre,
Yozo Oba.