Quand l’ignorance des traités devient un programme politique
Par Aziz Slimani
Évian : la liberté avant la frontière
Les Accords d’Évian (1962) ne furent pas seulement un cessez-le-feu.
Ils furent aussi un pacte moral : reconnaître deux nations séparées politiquement, mais toujours liées humainement.
Ils garantissaient aux Algériens un droit exceptionnel de circulation, de travail et d’installation en France — sans visa, sans quotas, sans restrictions.
L’idée était claire : la rupture politique ne devait pas devenir une rupture humaine.
1968 : quand la bureaucratie remplace la fraternité
Six ans plus tard, les accords bilatéraux de 1968 viennent restreindre ce cadre.
Officiellement pour « organiser les flux ».
En réalité, pour limiter l’accès au travail, aux droits sociaux et au séjour.
L’Algérien devient un « étranger » soumis aux autorisations, aux contrôles et à la préfecture.
On referme ce qu’Évian avait ouvert.
Et si l’Algérie les annulait ?
C’est le paradoxe.
Si demain l’Algérie abrogeait unilatéralement les accords de 1968, le seul texte en vigueur redeviendrait celui d’Évian.
Juridiqement, cela signifierait :
-retour à la libre circulation,
- installation sans visa,
- droits renforcés pour les ressortissants algériens.
Autrement dit : annuler un accord restrictif ferait renaître un accord plus libéral.
Le cauchemar de l’extrême droite
Certains politiques agitent la rupture des accords de 1968 comme une arme électorale.
Mais ils ignorent — ou font semblant d’ignorer — qu’ils produiraient l’effet inverse de celui qu’ils promettent.
En voulant « punir » l’Algérie, ils offriraient juridiquement un avantage aux Algériens.
C’est l’illustration parfaite d’un populisme qui parle fort, mais qui ne lit pas les traités.
L’histoire n’est pas un outil de chantage
Les relations franco-algériennes sont complexes, longues, douloureuses parfois.
Elles ne peuvent être réduites à des slogans de campagne.
Les traités portent la mémoire d’un siècle de liens humains.
Menacer, rompre, annuler — des mots creux quand on ignore ce qu’ils impliquent réellement.
À force de renier l’histoire, certains réveillent des droits qu’ils croyaient enterrés.
🧭 Conclusion : la responsabilité d’une génération
Nous avons un devoir : connaître les textes avant d’en faire des armes politiques.
La souveraineté ne s’exprime ni dans la colère, ni dans l’amnésie, mais dans le respect du droit et de la mémoire.
Entre instrumentalisation et ignorance, il reste une voie :
- celle de la connaissance,
- de la rigueur,
- et du respect des peuples.
L’histoire n’appartient à personne.
Mais la vérité engage tout le monde. Aziz Slimani est essayiste et observateur indépendant des relations franco-algériennes. Il écrit sur la mémoire, la citoyenneté et les enjeux politiques entre les deux rives de la Méditerranée.