La conquête de la liberté absolue et inaliénable des femmes est indissociable de l’histoire du droit à l’avortement. Dans toutes les mobilisations féministes passées et à venir a toujours résonné une petite musique : permettre à la volonté individuelle de l’emporter sur le champ de la biologie, lutter contre l’essentialisation des femmes à leur « fonction » reproductive – quelle terrible séquestration, ne pas les considérer comme des matrices mais bien comme des êtres à part entière, titulaires du droit de présider à leur destinée.
L’histoire du droit à l’avortement résonne de tous les cris de celles qui ont porté haut et fort la cause des femmes, qui ont défendu la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ; elle résonne aussi, de manière plus feutrée, des chuchotements des militantes du MLAC lorsqu’elles accompagnaient, dans la clandestinité et la sororité, les femmes qui venaient mettre fin à leur grossesse.
L’histoire du droit à l’avortement en revanche ne résonne pas du silence des mortes, de celles qui ont payé de leur vie leur volonté d’être libre. Le silence des mortes nous oblige à porter un deuil militant : celui de défendre partout, tout le temps, le droit à l’avortement.
Alors, j’invite celles et ceux qui prétendent défendre la vie, à fermer les yeux, à rechercher en eux l’empathie la plus élémentaire et à se représenter la douleur qui était celle des femmes lorsque leur propre société les condamnait à mettre leur vie en danger ou à renoncer à leur liberté. Lisez les témoignages. Faites œuvre d’humanité.
Ce soir, les sénateurs et sénatrices exprimeront leur choix politique de reconnaitre le caractère de droit fondamental à l’avortement. Leur responsabilité est grande : ce n’est pas un vote confiné dans le velours rouge et les dorures de l’hémicycle, c’est un vote qui s’adresse au monde, qui peut – ou non – affirmer la solidarité des parlementaires avec les femmes mobilisées dans le monde entier pour défendre la libre disposition de leur corps, le libre choix de leur maternité ou de leur non-maternité.
Certain.e.s diront que la Constitution, sommet de notre ordre juridique, n'a pas à être bousculée par la sidération d'un revirement dramatique de jurisprudence. D'autres nous expliqueront tranquillement que le droit à l'avortement n'est pas menacé et que cet activisme ravive des angoisses inutilement. D'autres encore masqueront leur opposition à l'avortement par leur attachement au domaine de la loi, et à la loi seulement.
C'est vrai. Le droit à l'avortement n'est pas menacé sur le plan juridique à l'instant T du 1er février 2023. Mais il l'est sur le plan pratique de son effectivité, avec la dégradation continue des services de santé, la désertification médicale, la fermeture des centres d'orthogénie. Avec également la mobilisation de la Manif pour tous et de toutes ces vagues humaines, souvent frémissantes de rage à l'idée que les femmes puissent être libérées de leur charge reproductive.
C'est vrai. Notre Constitution n'a pas à être impactée par le revirement de Roe v. Wade. Mais elle est la garante du fonctionnement de nos institutions, elle nous protège contre l'arbitraire et défend nos libertés individuelles et collectives, elle affirme dans le Préambule de 1946 les droits sociaux indispensables à l'égalité réelle. Pourquoi ne serait-elle pas également le siège du droit à l'avortement ? Pourquoi ne consacrerait-elle pas la liberté absolue et fondamentale des femmes ? Rien ne s'y oppose.
C'est vrai. Le droit à l'avortement est du domaine de la loi. Mais la loi ne peut pas tout pour le protéger. Elle ne peut pas tenir le standard téléphonique des centres de plannification familiale, elle ne peut pas remplacer le ou la pharmacienne qui fournit la pilule d'avortement médicamenteux ou le ou la médecin qui signe l'ordonnance. Elle ne tient pas la main de celle qui affirme sa liberté et ne peut pas soulager non plus les crampes abdominales.
La loi en revanche peut matérialiser une certaine forme de magie en défendant les femmes, en se battant pied à pied pour leur liberté, en disant à tous les conservateurs et réactionnaires de France et de Navarre que le corps des femmes ne figure plus dans leur tableau de chasse.
C'est tout cela, la constitutionnalisation de l'avortement.
Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs : votez pour.