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Billet de blog 4 juillet 2025

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Épisode 3 : Guatemala - l'Holocauste Silencieux

Entre 1960 et 1996, le Guatemala fut ravagé par la guerre civile. Une guerre civile qui causa la mort de 200 000 personnes et le génocide des peuples Mayas. Entre 1981 et 1983, les Mayas Ixils furent exterminé.es sous la présidence de Rios Montt et dans l’indifférence la plus totale. C’est cette indifférence qui donna au génocide Mayas le surnom d’Holocauste silencieux.

Yun Bloo

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous sommes le 19 octobre 1944, au Guatemala. Dans la nuit, la dictature de Ponce Vaides est renversée par une révolution : une autre révolution d’octobre.

Au Guatemala, c’est le deuxième dictateur qui est renversé cette année là.

En effet, quelques mois plus tôt, Ubico au pouvoir depuis presque quinze ans était lui aussi renversé suite à un soulèvement populaire.

Ponce Vaides, son successeur ne resta que trois mois avant d’être emporté par la révolution.

La révolution d’octobre marqua le début d’une nouvelle ère pour le Guatemala. Une ère de dix ans nommé aujourd’hui l’ « âge d’or » ou le « Printemps guatémaltèque ».

La révolution amena les premières élections libres du pays depuis son in- dépendance, en 1821.

Sous la présidence de José Arévalo, puis de Jacobo Arbenz qui lui succéda, de nombreuses réformes progressistes furent engagées, dont :
- la création d’un code du travail permettant le droit de grève
- l’abolition du travail forcé
- l’autorisation des syndicats
ou encore la création d’un institut guatémaltèque de sécurité sociale, afin d’assurer des soins gratuits.

Mais surtout, pour redistribuer la terre aux paysans-paysannes, le gouvernement lança une réforme agraire.

Une réforme qui entrainera sa chute et la fin de la révolution.
Le 27 juin 1954, Jacobo Arbenz est renversé par un coup d’état, largement organisé par les Etats-Unis.

Un dizaine d’année plus tard, le pays plongera dans la guerre civile qui fera 200 000 morts, des milliers de disparu.es et conduira au génocide des peuples mayas.

Bonjours à toutes et à tous et bienvenue pour ce troisième épisode de « Points de détails »

Comme vous l’aurez sûrement compris, nous allons nous intéresser aujourd’hui à l’Amérique centrale et au génocide qui s’est déroulé au Guatemala.

Un génocide qui eut lieu pendant la guerre civile qui ravagea le pays entre 1960 et 1996. Cette guerre civile opposa principalement des groupes de guérillas révolutionnaires aux forces armées gouvernementales.

Le génocide concernera les indigènes Mayas et en particulier celles et ceux de l’ethnie Ixil. Face au peu de réactions générées par le génocide, ce dernier est souvent appelé" l’holocauste silencieux".

Près de 2 000 Ixils furent tué.es au cours de plus de 400 massacres principalement perpétrés par l’armée et les para-militaires.

C’est le département du Quiché, dans le nord ouest du pays qui fut le plus touché par le génocide : plus de la moitié des massacres eurent lieu dans ce dernier.

Si des Mayas furent tué.es tout au long de la guerre civile, on considère que le génocide se déroula entre 1981 et 1983.
 Pour comprendre les causes de ce génocide, il nous faut d’abord com- prendre pourquoi le pays plongea dans la guerre civile.
pour se faire, je dois revenir sur le renversement de Jacobo Arbenz et le coup d’état de 1954.

Avant la révolution d’octobre, trois grands tendances caractérisaient la société guatémaltèque :
- un racisme profond envers les peuples indigènes
- un accès à la propriété terrienne totalement inégal
- une alliance sans faille envers les Etats-Unis.
Or, la réforme agraire lancée en 1952 vint remettre en question ces trois éléments, qu'il importe de développer.

Concernant le racisme tout d’abord. Comme tout le continent Américain, le Guatemala est un pays colonial, qui s’est construit sur l’extermination des populations indigènes.
D’ailleurs, quand on parle des indépendances Américaines, il ne s'agissait pas du tout de décolonisation, bien au contraire.
Les indépendances profitèrent principalement aux Blancs créoles au dé- triment des peuples indigènes. C’est d’ailleurs pour cette raison, que lors des guerres d’indépendances Américaines, les indigènes prirent le plus souvent le parti des métropoles contre les colons indépendantistes.

Aujourd’hui au Guatemala, les indigènes Mayas représentent plus de 50% de la population mais iels sont écarté.es de tout pouvoir économique ou politique.

Les inégalités d’accès à la terre, quant à elles remontent aux années 1870. Suite à des réformes libérales, les terres des paysans-paysannes Mayas furent confisquées et données à de grands propriétaires terriens.
Les indigènes furent de plus enrôlé.es de force pour pallier au manque de main d’oeuvre.

Enfin, l’alliance avec les Etats-Unis date de la mise en place de la doctrine Monroe en 1823.
Alors, qu’est-ce que la doctrine Monroe ?

À la base, il s’agissait simplement d’un discours du président des Etats- Unis James Monroe. Celui-ci annonçait aux puissances Européennes de ne plus intervenir dans les affaires du continent Américain, devenu totalement indépendant.
Sauf qu’avec le temps ce discours devint une doctrine et prit une tournure impérialiste affirmant que : « Toutes les affaires du continent Américain concernent directement les Etats-Unis ».
Le fondement de cette doctrine perdure de nos jours puisque les Etats-Unis voient l’ensemble du continent Américain comme leur pré-carré politique.

Ainsi en 1954, Washington était déjà intervenu militairement de nombreuses fois en Amérique centrale.
en 1920 au Guatemala
en 1932 au Salvador
en 1903, 1907 et 1924 au Honduras
en 1853, 1854, 1867, 1894, 1907, 1909 au Nicaragua et ils occupèrent le pays pendant vingt ans de 1912 à 1933.
Mais la palme revient au Panama, qui devint carrément un protectorat des Etats-Unis, au moment de son indépendance en 1903. Un protectorat qui durera 86 ans et ne se terminera qu’en 1977.

Si le sujet vous intéresse je vous met sur le site, la longue liste des interventions états-uniennes entre le 19 ème et le début du 20 ème siècle.
Ces interventions ont tendance à être oubliées de nos jours.

Au Guatemala les intérêts des Etats-Unis étaient représentés par la United Fruit Company ou UFC. Cette dernière était spécialisé dans l’industrie de la banane. Implantée dans plusieurs pays d’Amérique Latine, la United Fruit Cie était célèbre pour le monopole et l’influence toute puissante qu’elle imposait dans les pays où elle officiait. ce sont les pratiques de l’UFC qui popularisèrent l’expression « République bananière ».

"La United Fruit" était présente au Guatemala depuis le début du vingtième siècle, où elle était le plus important propriétaire terrien. Elle possédait près de 70% des terres du pays, était aussi le principal employeur et détenait la majorité des moyens de communication.
La réforme agraire avait notamment pour but de mettre fin à ce monopole. Elle redistribua aux paysannes-paysans sans terres des parcelles non cultivées appar- tenant à l’UFC.

Mais cette société, aux relais économiques et politiques tentaculaires n'entendait pas se laisser faire et convainquit la Maison Blanche sur le fait qu'Arbenz et son gouvernement constituait un péril communiste, prêt à déstabiliser toute l'Amérique Latine.

En 1944, la révolution d’octobre n’avait pas spécialement inquiété Washington, puisqu’alors la priorité était de faire alliance avec les communistes pour gagner la Seconde guerre mondiale.

Mais en 1952 le contexte était radicalement différent puisque nous étions en pleine guerre froide et la lutte contre le communisme faisait tâche d'huile avec les guerres de Corée, d’Indochine et aux Etats-Unis, la chasse aux sorcières du Maccarthysme.

Être considéré comme un ou une communiste à l’époque suffisait pour faire de vous un ou une ennemi.e à abattre.

"La United Fruit" dépensa plus d’un demi million de dollars pour convaincre l’opinion publique états-unienne du péril rouge au Guatemala. Sa campagne eut des alliés de taille en la personne des frères Dulles : l’un était secrétaire d’État et l’autre directeur de la C.I.A. Tous deux avaient auparavant travaillé pour la United Fruit et étaient restés très proches de celle-ci. Ce furent les frères Dulles qui finirent de convaincre le président Eisenhower de lancer en 1952 l’opération PBFortune pour renverser Jacobo Arbenz.

Alors si vous avez été assez attentifs, vous devez vous dire que je me trompe quelque peu dans les dates. Car je vous disais au début qu’Arbenz avait été renversé en 1954 et maintenant je vous dit que c’était en 1952. Rassurez-vous ce n’est pas une erreur.

L’opération PBFortune lancé en 1952 fut annulée au dernier moment, car le secret de la mission avait été largement éventé.
Et c’est donc bien deux ans plus tard, en 1954 qu’Arbenz fut renversé par une autre opération dénommé elle PBSuccess.

Vous vous demandez peut-être, pourquoi les Etats-Unis attendirent deux ans, avant de relancer une nouvelle opération ?

Parce que dans cet intervalle survint l'opération Ajax.

En 1953, la C.I.A et les services secrets britanniques exécutèrent avec succès l’opération Ajax. Malgré son nom de lessive, cette opération n’a rien de drôle puisqu’elle renversa le premier ministre iranien Mossadegh, qui avait eut la l'outrecuidance de nationaliser le pétrole du pays.

La réussite de l’opération Ajax motiva certainement la C.I.A à reproduire cette dernière au Guatemala l’année suivante.

L’opération PBSucces fut comme son nom l’indique un franc succès. Jacobo Arbenz démissionna et le colonel Castillo Armas prit la tête du pays et jura de mener une lutte à mort contre le communisme.

La contre révolution s’engagea alors au Guatemala.

Castillo Armas annula la réforme agraire et redonna à la United Fruit non seulement les terres qui lui avaient été prises, mais en plus des milliers d’hectares supplémentaires de compensation.
Le congrès fut dissout, le parti communiste guatémaltèque déclaré interdit, tout comme les syndicats et les associations. Tous les programmes en faveur des indigènes ou de la classe ouvrière furent suspendus et les livres considérés com- me « communistes » censurés.
9 000 personnes furent tué.s ou emprisonné.es et les intellectuel.es de gauche sévèrement réprimé.es. Un véritable Maccarthysme se mit en place avec l’aide active de la C.I.A.

Le Guatemala entra dans une ère d’instabilité politique, rythmée par les coups d’états.et ce, pendant plus de quarante ans, jusqu'à la fin de la guerre civile.

Dans la mesure où les différents coups d’état ne changèrent pas fondamentale- ment les tenants du pouvoir, à savoir des hommes viscéralement anti-communistes, je ne vous les citerais pas tous dans cet épisode, pour éviter de vous perdre avec une succession de noms.

Je vous met bien évidement des liens sur le site si vous voulez en savoir plus.

Le renversement d’Arbenz servit de leçon à un jeune Argentin, qui s’était établi au Guatemala pour se former auprès de la révolution : Ernesto « Che » Guevara.

Devant l’ingérence étasunienne, Guevara comprit que s’il voulait avoir une chance de faire triompher le socialisme en Amérique latine, il lui faudrait obligatoirement prendre les armes.

Une leçon qui fut payante puisqu’à peine 5 ans plus tard, le 1 er janvier 1959, les guérilleros et guérilleras cubain.nes renversèrent le dictateur Fulgencio Batista et instaurèrent un régime socialiste, à moins de 200 kilomètres à peine des Etats-Unis.

La victoire de la révolution cubaine fut une déflagration dans le monde entier et en particulier en Amérique latine. Elle raviva l’espoir en la révolution et encouragea de nombreux peuples à pratiquer une stratégie de guérilla pour y parvenir.

Dans ce contexte vous vous doutez que les anti-communistes au Guatemala vi- rent d’un très mauvais oeil la révolution cubaine.

Craignant qu’elle ne fasse tâche d’huile, ils décidèrent d’aider les Etats-Unis à renverser Fidel Castro et autorisèrent pour cela l’entrainement de commandos contre révolutionnaires dans la jungle guatémaltèque et fournirent une grande aide au débarquement de" la baie des cochons".
Un débarquement qui aurait du renverser le gouvernement de Castro, mais se solda par un échec et une humiliation cuisante pour les Etats-Unis.

On peut donc comprendre le début de la guerre civile par l’imbrication de deux éléments : d’un côté un pouvoir autoritaire qui verrouillait tous moyens de con- testation pacifique et d’un autre, la fascination pour le modèle Cubain de guérilla, qui réussissait à tenir tête à la première puissance militaire.

Ainsi, en février 1962 apparut le premier groupe de guérilla au Guatemala, le MR-13 pour le Mouvement Révolutionnaire du 13 Novembre.

Un an plus tard, celui-ci fusionna avec une partie des mouvements étudiants-étudiantes et des communistes pour former les FAR : les Forces Armées Rebelles. Cette alliance permit à la guérilla de se déployer dans le pays à plus grande échelle et d’ouvrir de nouveaux foyers d’insurrection.

La guérilla était formée et financée en autre par Cuba, qui essayait de faire triompher le communisme dans les pays alentours.

Au début de 1963, le gouvernement guatémaltèque tenta de désamorcer la guerre civile grandissante et autorisa l’ancien président révolutionnaire Arévalo à revenir au Guatemala et à participer aux prochaines élections.
Malheureusement, l’anti-communisme gangrenait tellement les esprits, que dés qu’Arévalo rentra dans le pays, les militaires destituèrent le président et annulèrent les élections.
Si depuis 1954, l’armée était très présente dans le gouvernement, le coup d’état de 63 lui donna les pleins pouvoirs.

Pleins pouvoirs qu’elle n’hésita pas à utiliser pour se débarrasser de la guérilla en séquestrant, torturant et assassinant toutes personnes pouvant être en lien avec celle-ci : intellectuel.les, syndicalistes, artistes, écrivains écrivaines ou encore étudiantes et étudiants.

Des groupes paramilitaires furent aussi crées pour seconder l’armée :" les Escadrons de la Mort".
Cette force contre insurrectionnelle fera des émules dans toute l’Amérique Latine dans les années 1970 et deviendra tristement célèbre pour la terreur qu’elle suscita. Je reviendrai plus loin sur le rôle des "Escadrons de la mort " dans le génocide Mayas.

Durant les années 1960 et 1970, la guerre civile continua de s’aggraver au Guatemala, Les révolutionnaires augmentèrent les attentats et les militaires la répression.

Mais en 1979, c’est finalement un évènement international, la révolution Sandiniste, qui va faire basculer le conflit dans une autre dimension .

Au Nicaragua, le Front Sandiniste de libération nationale est un mouvement révolutionnaire, qui depuis le début des années 60 menait une guérilla pour renverser le clan des Somoza, à la tête du pays depuis presque trente ans.
En 1979, les Sandinistes lançaient leur offensive finale et malgré le soutien massif des Etats Unis au clan Somoza , les Sandinistes réussirent à renverser la dictature et à prendre le pouvoir.

Vingt ans après la révolution Cubaine, une autre révolution défiait l’hégémonie des Etats-Unis à quelques kilomètres de ses frontières.

Le triomphe des Sandinistes eut un impact considérable sur la guérilla gua- témaltèque. En plus du regain d’espoir qu’il suscita, le Nicaragua devint comme Cuba, un soutient actif des guérillas voisines.

Deux nouvelles branches de la guérilla qui deviendront les plus importantes surgirent alors : l’Organisation du Peuple en Armes et l’Armée de Guérillas des Pauvres.

Du côté des militaires, la peur que la révolution Sandiniste ne se reproduise dans leur pays, les poussa à mener une politique de répression sans précédent.
Le général Lucas Garcia, alors à la tête du gouvernement mis en place une politique dite de la Terre Brûlée.

C’est avec le lancement de cette politique au début des années 1980, que la guerre civile guatémaltèque se transforma en génocide…

Je vais, si vous le voulez bien, revenir plus en détails sur le génocide Mayas et vous expliquer pourquoi ce fut finalement ces peuples qui se firent massacrer.

Pourquoi dans une guerre entre guérilleros-guérilleras et militaires se fut des civils indigènes que l’on extermina ? Y’avait-il un lien entre la guérilla et les indigènes ?

Au début de la guerre civile, les groupes de guérilla se composaient surtout d’urbains avec notamment des étudiantes-étudiants et d’anciens et d’anciennes membres de syndicats ou de partis politiques.

Ces derniers-dernières, à l’image de leur modèle cubain quittèrent les vil- les pour les campagnes pour établir des foco, des foyers d’insurrection, essentiellement dans le nord du pays, là ou habitaient les mayas et des populations paysannes.
Les guérilleros et guérilleras s’appuyèrent sur les villages Mayas pour se cacher et préparer leurs insurrections. Iels essayèrent aussi (avec plus ou moins de succès) de recruter, les villageois-villageoises dans leurs luttes.

Les relations entre les paysans-paysannes et les révolutionnaires ne furent ni simples, ni homogènes. Si dans certaines zones, l’aide que la guérilla fournit incita les Mayas à les rejoindre, dans d’autres iels furent surtout considéré comme des envahisseurs à combattre.

La guérilla commit elle aussi des massacres à l'encontre des indigènes, notamment s’iels les soupçonnaient d’aider l’ennemi. Mais ces massacres furent très marginaux en comparaison de ceux perpétrés par l’armée. Le comité de vérité et justice estima que l’état et ses forces armées étaient responsables de 93 % des violences commises, contre seulement 3 % pour la guérilla.

L’armée n’hésita pas à instrumentaliser la relation entre les indigènes et les révolutionnaires et déclara que tous les paysans-paysannes pouvaient être membre de la guérilla ou , à minima un soutien à cette dernière.
Cette affirmation leur permit, au nom de la lutte contre « le terrorisme » de massacrer les civils sans distinction d’âge ou de sexe.
Si la lutte contre la guérilla constituait le motif officiel pour s’en prendre aux indigènes, ce n’était en réalité pas la seule raison.

Au début de cet épisode, je vous avais énoncé trois éléments caractérisant la société guatémaltèque.
Petit rappel de ces derniers , à savoir l’alliance avec les Etats-Unis, l’accès inégal aux terres et le racisme.
Et bien sans surprise, on retrouve ces trois éléments dans les raisons qui poussèrent le gouvernement à massacrer les Mayas.

L’alliance avec les Etats-Unis était centrale dans la répression menée contre la guérilla. D'une part une grande partie des militaires étaient formés directement par des états-uniens et d'autre part les Etats Unis fournissaient argent et armes pour lutter contre la guérilla. Enfin la lutte contre le communisme au Guatemala était indissociable de la lutte que menaient les Etats-Unis contre celui-ci dans le reste du monde.

Le racisme ensuite. C’est parce que l’armée était gangrénée par le racisme et la haine des populations indigènes, qu’ils s’en prirent aussi violemment à ces dernières. Les indigènes étaient considérés comme des barbares, des sous-humains. Les militaires s’imaginaient rejouer une guerre de civilisation.
Sans le motif du racisme, on ne peut comprendre la sauvagerie qui se dé- chaina contre les indigènes.

À ce propos, les massacres étant particulièrement horribles, j’ai fait le choix de vous en épargner les détails dans cet épisode.
Malheureusement, ces atrocités étant fondamentales pour mesurer l’am- pleur du génocide, je vous invite à vous renseigner plus avant .Vous pourrez trouver quelques descriptions sur le site…

Les massacres eurent aussi pour but de renforcer la domination raciale dans le pays. Au cours des années 1970, les paysans-paysannes Mayas s’organisèrent de plus en plus pour lutter contre l’oppression des grands propriétaires terriens qui exerçaient un pouvoir tout puissant sur elleux.
En 1978, poussé par la lutte des guérilleros et guérilleras, iels fondèrent la première organisation syndicale indigène du pays : le CUC, le Comité pour l’Unité Paysanne.

C’était cette organisation populaire et cette émancipation que les militaires voulurent éradiquer. Le gouvernement refusait que les indigènes remettent en question la domination coloniale qu’iels continuaient de subir.
Enfin, si l’armée s’en prit aux villages Mayas ce fut aussi pour des raisons purement économiques d’accès à la terre.

Au début des années 1970, le gouvernement avait regroupé les régions du nord dans une nouvelle région nommé "la Franja Transversal del Norte".
Le but de la Franja était de faciliter l’exploitation des terres indigènes et leurs ressources naturelles. La pression foncière augmenta alors, poussant l’armée à vouloir récupérer à tout prix le contrôle de ces terres.

Une pression foncière qui se démultiplia, lorsque le gouvernement y trou- va… du pétrole ! Et oui encore le pétrole ! À croire que toutes les histoires de génocides sont liées d’une manière ou d’une autre au pétrole!

Quand le pétrole fut découvert, un grand projet d’aménagement fut lancé pour permettre son exploitation.
Un projet porté en autre par le chef du gouvernement Lucas Garcia dont la famille possédait des terres exploitables pour les compagnies pétrolières.
Pour résumer, si l’armée massacra les Mayas durant la guerre civile, ce fut pour leur soutien présumé à la guérilla, parcequ’iels réclamaient des droits et parcequ’iels vivaient sur des terres gorgées de pétrole.

La violence génocidaire se concentra particulièrement dans le département du Quiché, où se déroula plus de la moitié des 422 massacres répertoriés. Le département était riche en pétrole et l’Armée de Guérilla des Pauvres y avait de nombreux soutiens parmi les Ixils, l’ethnie majoritaire du Quiché. Les Ixils furent le groupe le plus décimé par le génocide, l’armée considérant que tous les Ixils étaient pro-guérilla. À l’époque, être Ixil suffisait- pour devenir une cible à abattre.
Près de 80 % des villages Ixils furent rasés et la majorité de la population forcée de se déplacer dans les montagnes. 7 000 Ixils au total furent tué.es durant la guerre civile.
Le massacre des Ixils eut lieu entre 1981 et 1983. Durant cette période deux personnes dirigèrent l’armée et furent responsables de la mise en place du génocide : Romeo Lucas Garcia et Rios Montt. Lucas Garcia dirigea le pays de 1978 à 1982 et Rios Montt de 1982 à 1983.

Le comité de vérité et justice estima que 91 % des crimes de la guerre civi- le furent commis entre 1978 et 1983.

Quand Romeo Lucas Garcia était au pouvoir, il était secondé par son frère Benedicto Lucas Garcia. Le rôle des deux frères fut majeur dans le génocide, puisqu’en tant que chef de l’armée c’est Benedicto qui lança en 1981 la première offensive génocidaire contre les Ixils.

Benedicto , comme son frère, fut formé à l’école Polytechnique du Guatemala. Mais en 1955, il alla compléter sa formation dans un pays européen, alors en pleine guerre coloniale : je parle bien évidement de la France.

Et oui ! Benedicto étudia à l’école militaire de Saint Cyr, où il put app- rendre la doctrine de la guerre contre révolutionnaire (la DGR), mise en pratique par l’armée française en Algérie.

De nombreux militaires étrangers, tel que Benedicto, suivirent les formations de l’armée française dans ces années là. La guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie avaient fourni aux militaires français un savoir contre insurrectionnel, qui intéressait de nombreux pays.
Les Etats-Unis évidement réutilisèrent les principes de la DGR pendant la guerre du Vietnam, mais aussi les militaires argentins lorsqu'ils prirent le pouvoir en 1976.

À la fin des années 1970, la DGR inspira en outre les pratiques du Plan Condor. L’ Opération Condor était une coordination entre les différentes dictatures d’Amérique du Sud pour pouvoir éliminer leurs opposants et opposantes, même s’iel s’étaient réfugiées à l’étranger.

Pour approfondir le rôle de cette doctrine française dans certains pays étrangers, je vous recommande le livre « Escadrons de la mort, l’école française » de la journaliste Marie-Monique Robin, qui a longuement en- quêté sur ce dossier.

Le Président Rios Montt lui ne fut pas formé à Saint-Cyr, mais dans une autre école presque aussi célèbre : l’école des Amériques.
Crée en 1946 au Panama, cette école était directement dirigée par le département de la défense états-uniens. Le but était de former des militaires Sud-Américains aux techniques de contre insurrection, afin de pouvoir combattre le communisme.
Une grande partie des militaires qui composaient les juntes des années 1970 fut formée dans cette école surnommée « l’ école des assassins ».
 En 2001, l’École des Amériques avait formé plus de 60 000 soldats sud- américains. Malgré plusieurs tentatives pour la faire fermer, l’école des Amériques est encore ouverte aujourd’hui.

Les militaires qui passèrent à l’école des Amériques furent notamment formés à la doctrine de la sécurité nationale. Cette doctrine définie de manière informelle suite à la révolution Cubaine, estimait que toute menace contre les Etats-Unis était un atout pour son ennemi l’U.R.S.S.
La doctrine de la sécurité nationale favorisa le terrorisme d’état contre les peuples. N’importe quel citoyen-citoyennes pouvait être déclaré.es « terroristes » ou « traîtres à la nation » et déchu.es de tous ces droits.

Comme la DGR, la doctrine de la sécurité nationale prône les plus belles techniques de contre insurrection, dont :
l’infiltration, la séquestration, l’assassinat, la guerre psychologique et bien évidement, la torture.

On va maintenant analyser" la mise en pratique" de ces doctrines au Guatemala.

Dès le début de la guerre civile, le gouvernement créa des unités para militaires pour pouvoir mener des actions de répression extra légales. Ces unités étaient financées, armées et entraînées directement par l’armée. El- les possédaient un pouvoir illimité pour arrêter et interroger toute personne paraissant « suspecte » à leurs yeux.
Les plus célèbres de ses unités furent "les Escadrons de la Mort", dont je vous ai parlé précédemment. Les Escadrons avaient pour but l’assasinat et la séquestration de la moindre opposition estampillée « de gauche ».
Les Escadrons pouvaient agir aussi bien en ville que dans les campagnes et ses membres étaient difficilement identifiables, gardant une tenue de civils. Chaque corps de police créa ses propres" Escadrons de la Mort"et l'un d'entre eux est resté dans les mémoires comme étant un des plus meurtriers : la Mano Blanca ou la Main Blanche.

Plus tard, à la violence des Escadrons s’ajouta celle de la politique de la Terre brûlée. Elle fut lancée en 1981 par les frères Lucas Garcia avec l’Opération « Ceniza », l’opération Cendres.
En réaction à une doctrine célèbre de Mao Zedung qui estimait que « les guérilleros devaient être dans la population, comme des poissons dans l'eau », la politique de la Terre brulée avait pour mission d’ « enlever l’eau aux poissons ». L’idée était que le meilleur moyen d’empêcher les villages de soutenir la guérilla était qu’il n’y ait plus de villages.
Pour cela, l’armée ciblait un lieu précis, massacrait tous ses habitants et habitantes, brûlait les maisons, détruisait les récoltes et tuait les animaux. Il ne devait plus rien rester après leur passage : une terre brûlée…

Le président Lucas Garcia fut renversé par un énième coup d’état en 1982 et remplacé par Rios Montt.

Si ce dernier continua la politique de la Terre brûlée, il décida cependant de supprimer (officiellement tout du moins) "les Escadrons de la Mort". Rassurez-vous, il ne les supprima pas à cause des horreurs qu’ils causaient, mais simplement parce qu’il ne les trouvaient pas assez efficaces.

À la place, il concrétisa une autre idée des frères Lucas Garcia et mit sur pieds les P.A.C, les Patrouilles d’Autodéfense Civiles.
Il s’agissait de forces paramilitaires constituées de villageois enrôlés de force. J'évoque uniquement les villageois au masculin, car les P.A.C enrôlaient majoritairement des hommes.
La création des P.A.C permit une militarisation totale de la vie quotidienne des campagnes et détruisit une grande partie des liens communautaires et familiaux. En effet, les villageois enrôlés de force se retrouvaient obligés de réprimer et parfois massacrer leur propre communauté, par peur d’être eux même tués par l’armée.
Au plus fort de leur recrutement, les P.A.C étaient constituées d’un million de civils.

Le déploiement des P.A.C fut accompagné de deux autres opérations d’extermination, l’opération « Victoire 82 » et l’ opération « Sofia ».

La présidence de Rios Montt fut la période la plus sanglante de la guerre civile et du génocide. La plus grande majorité des massacres fut commis durant cette période.

Près de 440 villages furent complètement rasés et plus de 10 000 indigènes massacrés. Certaines et certains étaient directement jetés en vol des hélicoptères pour disparaître dans l’océan Pacifique. Une autre technique venant de l’armée française et qui fut largement réutilisée sous la dictature Argentine.

L’autre moyen qu’utilisa Rios Montt pour contrôler les indigènes fut la mise en place de « villages modèles ». Une technique de contre insurrection dont je vous avais déjà parlé pour le Timor-oriental.
Le but était de déplacer la population pour l’interner dans des « villages modèles », où toute la vie quotidienne pouvait être surveillé par l’armée. Environ 50 000 personnes furent déporté.es dans ces villages.
Malgré leur différences, les campagnes militaires de Lucas Garcia et de Rios Montt poursuivaient le même but : instaurer la peur chez les indigè- nes.
Voici quelque unes des stratégies qu’ils employèrent pour semer la terreur :

L’Assassinat des leaders communautaires et le harcèlement des familles pour les empêcher de témoigner.
Les disparitions forcées, qui rendaient le deuil impossible, ne sachant pas si les personnes étaient encore en vie ou non.
La pratique de la torture en place publique pour traumatiser les esprits.
L’enterrement des personnes assassinées dans des fosses communes.
Les viols massifs et systématiques des femmes pour les humilier et dés- honorer les familles.
La destruction des futurs générations en s’en prenant systématiquement aux enfants et aux femmes enceintes. La moitié des massacres répert- oriés étaient des assassinats collectifs d’enfants.

Malgré toutes ces techniques d’extermination, les Mayas ne restèrent pas passifs et luttèrent pour leur survie.
Si les hommes le plus souvent partirent rejoindre la guérilla, les femmes elles organisèrent la lutte depuis les villages.
Elles lancèrent notamment un grand mouvement social pour retrouver les personnes disparues et enquêter sur les crimes commis par l’armée.

Une des actions les plus marquantes organisé par les Ixils fut l’occupation de l’ambassade d’Espagne à Guatemala City.
Le 31 Janvier 1980 une trentaine de paysans-paysannes Ixils, accompagnées d’étudiants-étudiantes et de guérilléros-guérilléras occupèrent l’ambassade d’Espagne. L’idée était d'alerter l’opinion internationale sur le massacre de leur communauté.

En violation total des règles diplomatiques, les policiers envahirent l’ambassade sans aucun accord de l’autorité espagnole. La police força les militantes et militants à se réfugier à l’étage, avant de mettre le feu à l’ambassade. 39 personnes perdirent la vie, brûlées vives.

L’incendie de l’ambassade eut un retentissement international et força l’Espagne à rompre ses relations diplomatiques avec le Guatemala.
Il marqua aussi toute une génération de militants et militantes, qui s’organisèrent dans les années qui suivirent.

La militante la plus célèbre de la lutte contre l’armée est Rigoberta Menchu dont le père et un cousin périrent dans l’ambassade. Rigoberta Menchu, 66 ans aujourd’hui, a lutté toute sa vie pour dénoncer les crimes des militaires et a milité sans relâche pour le respect des droits humains par- tout dans le monde.

Rigoberta Menchu obtint le prix Nobel de la paix en 1992 et reste aujourd’hui en France l’une des rares voix qui témoigna contre les horreurs du génocide.

Je souhaiterai revenir plus longuement sur les nombreux acteurs de cette sombre période.
Du côté des soutiens à l’armée : Si la guerre civile au Guatemala fut une guerre de races comme je vous l’ai expliqué précédemment, elle fut aussi une guerre de classes.
Une grande partie du patronat guatémaltèque noua une alliance avec les militaires pour réprimer la contestation des travailleur.euses. C’est cette alliance notamment qui fit qu’autant de leader-leadeuses étudiants-étudiantes et syndicaux furent assassinés pendant le conflit. En échange, les grands patrons financèrent en grande partie la lutte contre la guérilla.

Mais la guerre coûte cher et l’argent du patronat national ne pouvait pas suffire.

Cependant, le gouvernement guatémaltèque fut soutenu économiquement et militairement tout au long de la guerre civile par plusieurs pays étrangers.

Parmi ces pays nous retrouvons un bon nombre de dictatures militaires en place à cette époque en Amérique latine avec le Chili, l’Uruguay, le Brésil et l’ Honduras. La junte Argentine apporta aussi son soutien dans le cadre de l’Opération Charly, opération qui exportait les méthodes de la dictature pour aider les gouvernements d’Amérique centrale à réprimer ses opposants-opposantes.

On retrouve aussi dans la liste des soutiens, des régimes racistes comme le régime d’apartheid d’Afrique du Sud ou le régime d’extrême droite du Kuomitang qui imposait alors à Taiwan, sa terreur blanche.

Mais les deux pays les plus actifs dans leur soutien au Guatemala furent les Etats-Unis et Israël.

Au cours de cet épisode, je vous ai déjà longuement parlé de l’ingérence des Etats-Unis au Guatemala avec la doctrine Monroe, l’école des Amériques, le renversement de Jacobo Arbenz et l’aide de Washington à toute politique violemment anti-communiste.

Une aide qui fut néanmoins suspendue brièvement entre 1977 et 1979 durant la présidence de Jimmy Carter. Le démocrate conditionna l’aide états-unienne aux respects des droits de l’homme pour les pays demandeurs.

Dés le retour au pouvoir des Républicains avec l’élection de Ronald Rea- gan en 1981, les Etats Unis furent un soutien sans faille aux régimes génocidaires de Lucas Garcia et de Rios Montt.Ils fournirent une aide stratégique, militaire et économique nécessaire pour éradiquer la guerilla.

Le génocide Mayas était parfaitement connu de Reagan et de la C.I.A pour qui la situation au Guatemala n’avait aucun secret.
Malgré cela, son administration osera affirmer sans sourciller que grâce aux militaires la situation des droits humains s’était améliorée au Guatemala. (sic).

Par ce soutien, Ronald Reagan et les Etats-Unis sont tout aussi coupables de génocide que les militaires guatémaltèques.

Le rôle d’Israël dans la guerre civile est beaucoup moins connu mais reste essentiel dans la lutte contre la guerilla.

Historiquement le Guatemala et Israël ont toujours été des alliés et Le Guatemala fut le troisième pays en 1948 à reconnaître le nouvel état, après les Etats-Unis et l’Iran.
Lorsque Jimmy Carter suspendit l’aide états-unienne, c’est Israël qui prit sa place et devint alors le premier fournisseur d’équipements militaires du Guatemala.

Les soldats étaient équipés de fusils israéliens Galils et entraînés directe- ment par des officiers du Mossad. L’aide israélienne fut si importante que Rios Montt déclara publiquement que le succès des militaires était dû à leur entrainement par les Israéliens.

Du côté des soutiens des indigènes à présent. un des acteurs majeur , au risque de vous surprendre fut l'église catholique.
Si dans les années 1950, l’église catholique fidèle à elle même était profondément anti-communiste, la doctrine évolua dans les années 1970 avec "la théologie de la libération".

"La théologie de la libération" est un courant idéologique, mettant au cent- re des préoccupation de l’église, la libération des pauvres des chaines de leur oppression. Selon ce courant, la véritable église se doit d’être une église des pauvres.
Inspirés aussi par le pédagogue brésilien Paulo Freire, les prêtres et les religieuses de l’époque mirent en place une véritable « pédagogie des opprimés ». "La théologie de la libération" fut surtout présente en Amérique latine.

Au Guatemala, les représentants et représentantes de l’église se rendirent auprès des indigènes les plus pauvres pour les aider dans leurs combats.

Iels devinrent par la suite un fort soutien de la lutte armée, en particulier de l’Armée de Guérilla des Pauvres.
Un soutien qu’iels payèrent au prix fort, car l’armée s’en prit violemment à elleux. Les prêtres et les religieuses furent enlevé.es, torturé.es et assassiné.es. Les lieux de culte furent détruits et la pratique des rites religieux interdites.
Pour contre balancer le rôle de l'église, le gouvernement finança des sectes, qui les aidèrent à maintenir un contrôle sur la population.
 
Du côté de l’international, seuls Cuba et le Nicaragua dont je vous ai déjà parlé apportèrent un soutien aux indigènes. Le reste du monde lui assista aux massacres dans le plus total des silences. Une réaction qui justifie le nom "d’holocauste silencieux" utilisé pour parler de ce génocide.

Même du côté de l’ONU il n’eut aucune résolution pour dénoncer les agissements de l’armée et il faudra attendre les années 1990 et la mise en place des premiers accords de paix pour que les nations Unies interviennent au Guatemala. I
Si aucun pays ne fit pression sur le gouvernement guatémaltèque, on peut se demander comment le génocide s’arrêta ?
De fait, on considère généralement qu’il prit fin en 1983 avec le coup d’état qui renversa Rios Montt.

Cependant comme bien souvent, la réalité n’est pas aussi simple.

Si Mejia Victores qui remplaça Rios Montt fit de grandes déclarations sur la restauration de l’état de droit, en réalité peu de choses changèrent.

Les violences et les massacres diminuèrent bel et bien dans les zones rurales, mais augmentèrent au contraire dans les villes. "Les Escadrons de la Mort" firent même leur grand retour et décuplèrent les enlèvements forcés et les disparitions.
 La police secrète, la terrible G-2 continua de réprimer toutes personnes qu’elle soupçonnait en lien avec la guérilla.

Mais en 1983 parurent aussi les mémoires de Rigoberta Menchu dans les- quelles elle décrit avec précision l’horreur vécue par son peuple.
Ces mémoires eurent un retentissement à l’international et permirent de mettre (enfin !) un coup de projecteur sur l’état des droits humains au Guatemala.

C’est en grande partie cette pression qui poussa Mejía Víctores à organiser des élections en 1985 , à rédiger une nouvelle constitution qui rendit le pouvoir aux civils.
Il ne faut pour autant pas croire que le retour de la démocratie marqua la fin des violences. La guerre civile et les massacres continuèrent pendant encore près d’une décennie. Il faudra attendre 1991 pour que des premiers accords de paix soient signés.
Cinq années et une dizaine d’accords seront en tout nécessaires pour rétablir une paix définitive.La guerre civile sera officiellement terminée en 1996.

Une commission "vérité et justice" sera créée afin de faire la lumière sur les crimes de la guerre civile. Bien que la commission conclura à une responsabilité presque totale de l’armée, celle-ci ne fut nullement inquiétée.

Ainsi, Rios Montt tout en étant visé par la justice espagnole d’une demande d’extradition pour torture, terrorisme et génocide, n’aura aucun problème à continuer une carrière politique intense. Il sera élu président du con- grès entre 1995 et 1996 et entre 2000 et 2004. Il sera même candidat aux élections présidentielles de 2003.

Ce n’est qu’en 2013, à la fin de son immunité parlementaire qu’il comparaitra enfin devant un tribunal guatémaltèque et sera alors condamné à 30 ans de prison pour crimes contre l'humanité et 50 ans pour génocide.
Mais, du fait de son âge avancé (85 ans), il ne passera qu’une seule nuit en prison, avant d’être transféré dans un hôpital militaire.

Pire, une dizaine de jours plus tard, la cour constitutionnelle annulera le jugement arguant d’un vice de procédure.

Il convient de faire le rapprochement avec le fait que le Président du Guatemala était Pérez Molina, un homme qui était sous les ordres de Rios Montt pendant le génocide et qui est lui aussi accusé de génocide.

Et c’est comme ça, que Rios Montt pourra finalement mourir tranquille- ment dans son lit en 2018, après n’avoir passé qu’une seule nuit en prison.

Si le procès de Rios Montt vous intéresse, je vous recommande le très bon film la Llorona de Jayro Bustamante, qui met en scène cette histoire et qui est un des rares films à traiter du génocide Mayas.

Romeo Lucas Garcia, l’autre chef du gouvernement pendant le génocide, sera lui aussi poursuivi par la justice espagnole, mais finira ses jours tranquillement au Venezuela où il mourut en 2006.

En 1999, suite à la publication du rapport de la commission "vérité et justice", le président Bill Clinton présenta des excuses publiques pour le rôle de son pays. Il déclara que le soutien des Etats-unis pendant la guerre civile était une erreur tragique.
Bien que de nombreux témoignages à l’international aient salué la condamnation de Rios Montt pour génocide, aucun pays n’a aujourd’hui officiellement reconnu le génocide Mayas.

Aujourd’hui, la page de la guerre civile est loin d’être tournée, puisque en avril 2024, s’est tenu le procès pour génocide de Benedicto Lucas Garcia, le frère du président.
2 860 ans de prison ont été requis contre lui, mais les décisions du tribunal furent invalidées en février de cette année. Benedicto Lucas Garcia ayant actuellement 92 ans, il y a de toute manière peu de chances qu’il finisse véritablement dans une cellule.

Enfin, le 15 Janvier 2024, le Guatemala a entamé une nouvelle ère en élisant comme président Benardo Arévalo. Il s’agit du fils de José Arévalo, premier président du Guatemala révolutionnaire de 1944.
80 ans plus tard, le nom emblématique de la révolution revient au pouvoir.

Espérons que cela permette enfin aux victimes de la guerre civile et du génocide d’obtenir la reconnaissance et la justice qu’iel méritent.

Voilà, c’est la fin de cette épisode sur le Guatemala et le génocide Mayas.

J’espère qu’il vous aura plu. Comme d’habitude, il s’agit d’une histoire complexe que j’ai du résumer pour ce format donc n’hésitez pas à compléter cette épisode par les ressources disponibles sur le site.

Ce podcast est disponible sur la plateforme Spectre. Une plate-forme militante et indépendante, qui propose plein de podcasts passionnants que je vous re- commande chaudement de soutenir si vous le pouvez

Je vous dis à la prochaine, pour un nouvel épisode de « Points de détails »
Vous pouvez écouter le podcast ici : https://spectremedia.org/points-de-details/
Et retrouvez les sources pour aller plus loin ici : https://pointsdetails.noblogs.org/episode-3-guatemala-lholocauste-silencieux/
PS : Je remercie énormément Loïce Leneveu-Zuinghedau pour les recherches qu’elle a fait sur place et les ressources qu’elle m’a partagé, qui m’ont aidé à écrire cette épisode.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.