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Billet de blog 17 mars 2025

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Points de détails, épisode 1 : le Timor-Oriental

Ce texte est la retranscription du premier épisode du podcast "Point de détails" sur le génocide qui c'est déroulé au Timor-oriental.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue dans « Points de détails », le podcast qui s’intéresse aux génocides oubliés de l’histoire.
Pour ce premier épisode, nous allons nous intéresser à un continent quelque peu méconnu , à savoir l'Océanie.

Si plusieurs génocides se sont déroulés dans cette partie du monde, en particulier celui des aborigènes d’Australie et des Tasmaniens, nous allons revenir aujourd’hui aux événements du Timor-oriental.

Le Timor-oriental (ou Timor-leste) a connu un génocide entre 1975 et 1999. Un génocide qui a couté la vie à près de 25 % de la population Timoraise, qui a duré 25 ans et que de nos jours tout le monde a oublié.

Commençons tout d’abord par un peu de géographie. Le Timor-oriental se trouve sur une île : l’île du Timor. Celle-ci est situé à l’est de Bali, à l’ouest de la Papouasie occidentale et au nord de l’Australie. L’île du Timor est divisé en deux parties : L’est de l’île est composé du Timor-oriental, tandis que sa partie ouest appartient à l’archipel indonésien.

Pour comprendre, pourquoi cette île a été divisé en deux et pourquoi la partie ouest décida d’envahir l’est en 1975, causant le génocide du peuple Timorais, nous devons commencer cette histoire par la colonisation européenne.

Avant que l’île ne soit colonisée, celle-ci était habitée par plusieurs ethnies mélanésiennes comme les Atolis, les Bunaqs, les Famaks, les Bélus ou encore les Papous.

Les premiers européens à accoster sur l’île furent les portugais, pionniers de la colonisation. Ils débarquèrent au Timor au début du XVIe siècle.

Ce furent tout d’abord des moines dominicains qui décidèrent de s’établir sur l’île, afin d’essayer de convertir la population au catholicisme.

Ce n’est que plus tard en 1596, lorsque que les Portugais découvrirent qu’ils pouvaient faire du commerce avec les énormes réserves de bois de santal présentes
 sur l’île, qu’ils décidèrent de la déclarer colonie portugaise.

Néanmoins, les Portugais ne contrôlaient en réalité que la partie est de l’île, concentrée autour de Dili, la capitale actuelle.

Mais les Hollandais commencèrent à s’intéresser eux aussi au Timor, attirés par les énormes profits que tirés du commerce des épices. Ils occupèrent la partie ouest de l’île en 1613.

Les Hollandais et les Portugais se firent une concurrence féroce pour le contrôle de l’île jusqu’en 1859, où une frontière fut officiellement établie avec le traité de Lisbonne.

Si au début de la colonisation, les relations entre les Timoraises et les Timorais et les Européens furent assez pacifiques, c’est surtout parce que les Européens ne maitrisaient en réalité qu’une petite partie de territoire et laissaient les royaumes locaux tranquilles. Inévitablement, dés que les Européens cherchèrent à conquérir plus d’espace, au début du 18 ème siècle, ils eurent recours à la guerre et aux massacres.
Des rebellions Timoraises eurent lieu presque constamment entre la signature du traité de Lisbonne et le début des années 1910. En 1912 ce fut la dernière des révoltes, aussi appelée "la Grande Rebellion". Celle-ci fut matée dans le sang, faisant plus de 3 000 morts et 12 000 blessés du coté des Timoraises et des Timorais.

L’écrasement de "la Grande Rébellion "permit aux Portugais d’asseoir définitivement leur pouvoir sur la région. Celui-ci restera incontesté jusqu’à la Seconde Guerre mondiale quelques années plus tard.

Quand éclate cette dernière le Portugal est depuis 1932 une dictature dirigée par Antonio Salazar. Si le régime de Salazar est assez proche de celui de Mussolini en Italie et d’Hitler en Allemagne, ce dernier ne rejoint cependant pas leur camp et le Portugal décide de rester neutre pendant le conflit.

Les Pays-Bas eux aussi étaient officiellement neutres au début, mais furent quand même envahis par l’Allemagne nazie en mai 1940.

Pour protéger leur colonies en Océanie, le Portugal et les Pays-Bas ont tous deux signés des traités d’alliance avec l’Australie, rangée du côté des Alliés et redoutant une invasion du Japon au Timor. Une peur tout à fait justifiée, puisque le Japon ne cessait de s’étendre depuis l’invasion de la Corée en 1910.
Après l’attaque de Pearl Harbor par les forces Japonaises le 7 Décembre 1941, l’Australie et les Pays-Bas décidèrent d’envoyer un détachement de soldats, "la Sparrow Force "pour renforcer le Timor Néerlandais. Le Portugal confirmant sa neutralité dans le conflit mondial refusa l’accueil des troupes alliées. Une attitude ignorée de l’Australie et des Pays-Bas, qui décidèrent quand même d’occuper le Timor Portugais de peur d’une invasion Japonaise.

La situation est assez ironique car initialement le Timor ne faisait pas partie des objectifs des Japonais, mais devant l’arrivé des forces alliées sur l’île, ceux-ci prirent peur et décidèrent de riposter. Ils commencèrent à bombarder le Timor en Février 1942, avant de débarquer sur l’île quelques jours plus tard.

Les Japonais prirent rapidement le contrôle de la partie Néerlandaise de l’île. Les combats continuèrent une année supplémentaire pour conquérir la partie est. En Février 43, la partie est perdue pour "la Sparrow Force "et les dernières troupes sont évacuées, laissant la totalité de l’île aux mains des Japonais.

Si l’occupation japonaise en Indonésie fut terrible, au Timor-oriental ce fut un véritable bain de sang. On estime qu’entre 45 000 et 70 000 Timoraises et Timorais de l’est auraient trouvé la mort durant cette période, soit entre 10 à 15% de la population.

Un ancien consul australien expliquait que : « Le Timor-Est a été une des plus grandes catastrophes de la deuxième guerre mondiale en termes de pertes de vies humaines ».

Lorsque la seconde guerre mondiale prend fin, avec la défaite des nazis et de l’empire Japonais, la dictature de Salazar reste en place et reprend immédiatement le contrôle du Timor-oriental.

Les Néerlandais voulurent faire de même, mais les Indonésiens profitèrent du vide laissé par le départ des Japonais pour proclamer leur indépendance, le 17 août 1945. Les Néerlandais refusèrent cette indépendance et commença alors l’une des premières guerre de décolonisation.

Un conflit majeur trop souvent méconnu de l’histoire des décolonisations commença . Si le sujet vous intéresse je vous recommande le très bon livre de David Van Reybrouk « Revolusi ». Vous trouverez le lien sur le site du podcast.
 La guerre de décolonisation va durer 4 ans et coûter la vie à des milliers d’Indonésiens et en 1949 les Pays-Bas reconnaissent enfin leur défaite et quittent l’archipel.

Le Timor-occidental et tous les autres territoires de l’ancienne colonie Hollandaise sont désormais gérés par la nouvelle république d’Indonésie.

Du côté Portugais, il faut attendre le début des années 60 pour que commencent les guerres de décolonisations. Celles-ci commencèrent en Angola en 1961 avant de s’étendre en Guinée-Bissau et au Cap-Vert en 1963 et au Mozambique en 1964.

Une lutte pour l’indépendance qui ne se déclencha cependant pas au Timor-oriental. Celui-ci restera contrôlé par le Portugal jusqu’à la chute de la dictature de Salazar.

Celle-ci aura lieu le 25 avril 1974. Le Parti socialiste Portugais, appuyé par l’armée, qui n’en pouvait plus des guerres coloniales, décident de renverser le régime du successeur de Salazar. C’est le début de ce que l’on nommera "la révolution des Œillets". Une révolution qui a longtemps été oubliée et dont on vient de fêter les 50 ans, l’année dernière. Un anniversaire qui suscita la sortie de plusieurs ouvrages passionnants, répertoriés également sur le site.
La révolution au Portugal entraina de nombreux changements et notamment, la reconnaissance, après presque 15 ans de guerres, de l’indépendance des colonies.

Au Timor-oriental, "la révolution des Œillets", provoque l’émergence de partis politiques nationalistes, qui étaient jusque-là interdits. Trois nouvelles forces politiques apparaissent :
l’Union démocratique Timoraise (UDT), un parti conservateur qui prône une autonomie relative vis à vis du Portugal.
Le Front révolutionnaire pour un Timor-Leste indépendant, (FRETILIN)
l’Association populaire et démocratique Timoraise (APODETI), un parti de droite qui défendait le rattachement à l’Indonésie.
Mais le nouveau gouvernement portugais ne se soucie pas vraiment de ce que désire le peuple Timorais et décide unilatéralement l'indépendance du Timor et la mise en oeuvre d'élections en 1976.

Pour se préparer à la décolonisation l’UDT et le FRETILIN forment une coalition politique en Janvier 1975.
 De l’autre côté de l’île, les militaires indonésiens voient cette alliance d’un très mauvais oeil. En effet, le gouvernement indonésien voulait profiter du retrait des Portugais pour prendre le contrôle de toute l’île. L’Indonésie avait même déjà entamé des négociations avec le Portugal, restées lettres mortes.

L’Indonésie avait déjà repris en 1961 le contrôle de l’ancienne colonie néerlandaise de la Nouvelle-Guinée. Un territoire sur lequel les Indonésiens commettent un génocide sur le peuple Papou, qui dure encore aujourd’hui.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en 1975, le régime Indonésien a bien changé depuis son indépendance. Ce n’est plus l’un des leaders du tiers-monde, mais une dictature. En 1965, les militaires avaient profité d’un coup d’État manqué pour lancer une répression de masse contre les communistes et permettre au général Suharto de prendre le pouvoir.

Une répression qui fit entre 500 000 et 3 millions de morts et est régulièrement décrite , elle aussi comme un génocide.

C’est en partie la crainte d’un possible gouvernement socialiste à sa porte, qui motive l’Indonésie à vouloir prendre le contrôle du Timor-oriental.

Les grandes réserves de pétrole et de gaz découvertes dans les années 60 sont bien évidement aussi une autre de ces raisons.

Devant le refus des Portugais de leur transférer le Timor-oriental, l’Indonésie sollicite l’appuis des Etats-Unis. Nous sommes en pleine guerre froide et les Etats-Unis craignent plus que tout une propagation communiste en Asie.

L’année 75 fut tres dure pour les Etats-Unis. Au mois d’avril a eut lieu coup sur coup, la prise de Saigon par les communistes vietnamiens et la prise de Pnom Pen par les Khmers rouges cambodgiens.

Suharto décida de jouer sur cette peur et décrivit le FRETILIN comme un parti communiste, voulant déstabiliser la région. Le président Ford promit ainsi à Suharto un soutient sans faille.

Rassurée par cette alliance, l’Indonésie tenta d’affaiblir les partis nationalistes en brisant l’alliance entre l’UDT et le FRETILIN. Lesservices secrets
 indonésiens se rapprochèrent de l’UDT pour l’informer qu’ils n’accepteraient jamais de gouvernement incluant des membres du FRETILIN.

Une stratégie payante puisqu’il ne fallut pas longtemps pour que l’UDT mette aussitôt fin à sa coalition avec le FRETILIN.

L’Indonésie décida aussi de tester les réactions éventuelles du Portugal face à une invasion du Timor. Il s’empara d’une enclave qui se situait à l’ouest de l’île, mais qui était sous contrôle Portugais. Le Portugal laissa totalement faire et ne réagit absolument pas à l’invasion.

Fin Juillet, le FRETILIN remporta une majorité de suffrages dans des conseils locaux et semblait clairement le parti favori en cas de futures élections. L’Indonésie accentua alors sa pression sur l’UDT et l'informe qu'en cas d'inaction pour contrer le FRETILIN, elle envahira tout simplement le Timor-oriental.

Face à cette menace, l’UDT décide de prendre le pouvoir de force et de faire un coup d’État. Le FRETILIN ne laisse pas faire et appelle à l’insurrection armée, ce qui permet de déjouer le coup d’État.

S’ensuit une guerre civile opposant d’un côté les partisans de l’indépendance et du FRETILIN et de l’autre les partisans de l’UDT et de l’APODETI.

Une guerre civile qui dura trois semaines et fit 3 000 morts et 5 000 personnes déplacées.

Le FRETILIN sort vainqueur de la guerre civile et déclare le 28 Novembre 1975  la création de la République démocratique du Timor-oriental.

Une république qui ne vécut que dix jours.

Puisqu’aussitôt, l’Indonésie annonce sur les ondes Timoraises que des armes soviétiques, chinoises et vietnamiennes ont été introduites clandestinement au Timor-oriental pour soutenir le FRETILIN.

Cette propagande n’avait qu’un but, justifier une intervention armée au Timor pour soit disant « combattre le communisme ».

Et c’est ainsi que, le 7 décembre l’armée indonésienne lance l'opération "Lotus" et envahit le Timor-oriental. Le Portugal encore une fois, n’affiche aucune résistance
 face à cette invasion de son territoire et profite au contraire de cet évènement pour rapatrier toute son administration.

L’armée indonésienne pensait pouvoir contrôler le pays en moins de 15 jours, mais le FALINTIL (la branche armée du FRETILIN) opposa une résistance farouche.

Pour tenter de briser cette résistance, l’armée indonésienne utilisa des méthodes les plus inhumaines.

Au début des années 80, l’Indonésie avait déployé 40 000 soldats au Timor (soit un militaire pour 30 habitants) et réussit à anéantir quasiment la résistance. Il ne restait plus que quelques petits groupes de guérillas éparpillés ici et là et menés par Xanana Gusmão, l’un des derniers leaders encore vivant.

L'Indonésie annexa officiellement le territoire comme sa 27e province.
La colonisation du Timor-oriental par l’Indonésie durera 25 ans et aboutira au génocide des Est-Timorais.

Raconter de manière chronologique 25 ans de guérilla et d’occupation nécessiterait beaucoup plus qu’un seul épisode de podcast.

Je vais donc tenter de faire un résumé thématique des crimes commis durant cette période, afin de comprendre pourquoi l’on parle de génocide.

Tout d’abord la question la plus épineuse : Celle du nombre de morts. Il est évidement impossible de savoir exactement combien de personnes sont décédées à cause de la colonisation Indonésienne.

Le chiffre le plus souvent évoqué est celui de 200 000 Timoraises et Timorais décédés. La Commission pour l’Accueil, la Vérité et la Réconciliation qui a enquêté sur les crimes de l’occupation parle elle d'une fourchette comprise entre 100 000 et 180 000 morts.
 La lutte contre la guérilla du FALINTIL était pris comme prétexte par l’Indonésie pour justifier tous les crimes qu’elle commettait.

Il suffisait ainsi d'être accusé de faire partie de la guérilla ou de la soutenir, pour que vous soyez arbitrairement emprisonné sans aucun jugement. par ailleurs  les prisonniers étaient systématiquement torturés.

Deux opérations militaires furent particulièrement meurtrières pour le peuple Timorais :

La première se nommait tragiquement « Encerclement et annihilation ». Elle consistait à essayer de capturer les guerriers du FALINTIL en les isolant de la population.

Une technique de contre insurrection très courante pendant la guerre froide et qui fut utilisé notamment par les États-unis durant la guerre du Vietnam.

Près de 380 000 Timoraises et Timorais furent internées dans plus 150 camps de concentration. Celà  représentait presque 60 % de la population.

Les conditions d’internement étaient déplorables. Les prisonnières et prisonniers n’ayant que très peu de terres pour cultiver autour d’elleux, moururent littéralement de famine. Trois famines touchèrent les camps du Timor en 1981, en 1984 et en 1987. La Croix-Rouge estima que la famine au Timor fut « aussi grave qu’au Biafra et potentiellement aussi dramatique qu’au Cambodge ». On estime à 85 000, les personnes mortes de faim.

L’autre opération militaire particulièrement meurtrière fut l’opération « Barrière de membres », qui se déroula durant l’année 1981.

L’armée Indonésienne envoya tous les hommes Timorais de 15 à 55 ans sur le territoire pour être utilisés comme boucliers humains devant les soldats indonésiens.

Durant l’occupation, de nombreux crimes sexuels furent aussi commis. Dans ce domaine, il ne faut pas angeliser le camp de la résistance. qui se rendit coupable des crimes de cette nature mais dans des proportions non comparables.

La Commission pour la Réconciliation a établis que 93 % des crimes sexuels ont été commis par les forces indonésiennes ou leurs auxiliaires. Elle évoque à ce propos  « la nature généralisée et systématique du viol, de la torture sexuelle, de l’esclavage sexuel et des autres formes de violence sexuelle auxquels se sont livrés ouvertement les membres des forces de sécurité indonésiennes pendant toute la durée de l’invasion et de l’occupation ».

Ces violences furent intentionnellement infligées pour détruire psychologiquement les victimes, mais aussi tous celleux qui soutenaient l’indépendance. Le but était de leur imposer l’assimilation, y compris par la terreur.

Une assimilation qui s'organisa autour de trois politiques distinctes:

La première consistait à rendre la citoyenneté Indonésienne obligatoire pour toutes personnes souhaitant travailler dans la fonction publique.
Les postes dans l’enseignement furent ainsi réservés à des Indonésiennes et Indonésiens, qui avaient pour ordre d’endoctriner les jeunes Timoraises et Timorais.

La citoyenneté Indonésienne était aussi nécessaire pour pouvoir posséder une propriété. Ainsi, les agriculteurs et agricultrices Timoraises qui ne demandaient pas la nationalité perdaient automatiquement leurs terres. Celles-ci étaient ensuite ré- attribuées à l’armée ou aux nouveaux colons, qui arrivaient massivement.

Car une autre grande politique du gouvernement d’occupation fut la politique de transmigration. Sous le prétexte totalement fallacieux, que les îles Indonésiennes étaient surpeuplés et le Timor sous peuplé, le gouvernement incita fortement les indonésiens à s’installer au Timor. Entre 200 000 et 250 000 colons se déplacèrent.

Ces derniers étaient surtout intéressés par la possibilité d’exploiter les richesses du sous-sol comme le pétrole et le gaz.

Les fonctionnaires Indonésiens de leur côté étaient poussés à accepter des postes au Timor, grâce à un salaire entre 20 à 100 % supérieur à celui du reste de l’Indonésie.

Enfin, la dernière grande politique d’assimilation fut le contrôle des naissances des femmes Timoraises.

Le gouvernement Indonésien encouragea la pratique des injections contraceptives à grande échelle. Pour vous donner un ordre d’idée 57% des femmes Timoraises recevaient des injections contre seulement 5% des femmes dans le reste de l’Indonésie.
 Certaines injections étaient pratiqués de force et d’autres étaient présentées non pas comme de la contraception, mais comme un vaccin contre le tétanos.

La natalité des Timoraises fut aussi réduite par les enlèvements d’enfants, pratiqués par les militaires. Plus de 4 000 enfants furent enlevés de force à leur famille et emmenés illégalement en Indonésie.

Les militaires se servaient de ces enlèvements pour briser le moral de la résistance, mais aussi pour pouvoir utiliser les enfants comme soldats ou comme domestiques.

On voit ainsi que les trois grandes politiques mises en places par l’Indonésie au Timor avaient pour but de compléter le génocide et de remplacer la population Timoraise par des Indonésiens.

Quelle fut la réaction de la communauté international pendant ces 25 ans ?

Du côté du Portugal, celui-ci décida d’ignorer tout simplement ce qui se passait au Timor. Ce qui est hallucinant, puisque l’ONU n’ayant pas reconnu l’annexion indonésienne, le Portugal était toujours considéré en droit comme la puissance légitime.

L’ONU adopta une résolution en 1975 pour condamner l’annexion, mais ne fit rien de plus. Les États-Unis faisaient pression de tout leur poids pour que rien ne puisse être entrepris par l'ONU.
Car oui les États-Unis restèrent un allié sans faille pendant 25 ans et contribuèrent à l’occupation tant  des  points de vue financier que militaire.

Du côté français, fidèle à notre tradition, nous vendions des armes au régime Indonésien tout en sachant très bien qu’elles seraient utilisées au Timor-oriental.

Du côté des pays Soviétiques, bien que l’endiguement du communisme était pris comme prétexte pour soutenir l’invasion, aucun des pays du bloc de l’est n’apporta réellement de soutien au Timor.

Enfin, on doit s’intéresser au rôle de la puissance la plus proche du Timor : l’Australie. L’Australie avait un rôle ambigu. D’un côté elle était le premier pays refuge pour les Timoraises et les Timorais et accueillait aussi de nombreuses ONG travaillant au Timor. Mais d’un autre côté, elle ne s’opposa jamais clairement à l’occupation indonésienne, notamment a cause des richesses pétrolières .

Du temps de l’empire Portugais, l’Australie avait essayé de négocier un meilleur partage de la mer qui la sépare du Timor, afin de pouvoir profiter des richesses pétrolières mais s'est toujours confrontée à un refus du Portugal.
C’est donc de manière favorable qu'elle vit l'annexion indonésienne , espérant ainsi pouvoir réouvrir de nouvelles négociations.
C’est dans ces circonstances que l’Australie signa en 1989 un traité avec l’Indonésie reconnaissant officiellement l’annexion du Timor-oriental, en échange d’un droit d’exploitation d’une majorité des ressources de ce dernier.

L’indifférence générale sur le génocide au Timor-oriental, commença à se fracturer au début des années 90 avec la circulation des images du massacre de Santa Cruz.

De quoi il s’agit ? 
Le 12 novembre 1991, 3 000 personnes se rassemblent à Dili, pour l’enterrement de Sebastiao Gomes, un jeune indépendantiste. Ce dernier a été exécuté par l’armée indonésienne quelques jours auparavant, alors qu’un rapporteur des Nations Unies était présent au Timor pour enquêter sur les cas de tortures.

Tandis que la procession funèbre s'achemine vers le cimetière, des banderoles et des drapeaux indépendantistes sont brandis.
Les forces de l’ordre ouvrent le feu et tirent sur les manifestants, sans aucune sommation.
Le nombre de morts exact de ce massacre n’est toujours pas connu de nos jours. Les estimations avancent le chiffre de plus de 200 morts et 400 blessés.
Des journalistes étrangers venus pour documenter la visite du rapporteur des Nations Unies étaient présent ce jour là. Iels arrivent à documenter le massacre et à faire sortir clandestinement leurs images du pays.
Celles-ci seront diffusées quelques semaines plus tard et entraineront une indignation mondiale et de nombreux comités de soutien se créeront.

Le dictateur Suharto niera catégoriquement les faits, mais face à la pression internationale, il finira par mettre en place une commission d’enquête.
 Malgré un réveil de la communauté internationale aucune sanction ne fut prise contre le régime Indonésien et le génocide put continuer sans obstacles jusqu’à la crise économique asiatique.

En 1997, éclate une crise économique majeure, qui concerne surtout les pays d’Asie de l’est. La crise entraine l’effondrement des bourses financières et une dévaluation des monnaies de 30 à 50% en fonction des pays.

Elle touche de plein fouet l’économie Indonésienne et révèle l’ampleur de la corruption du régime de Suharto. Les deux tiers des Indonésiens et Indonésiennes se retrouvent sous le seuil de pauvreté.

Le 12 mai 1998, des étudiants et étudiantes décident d’occuper l’université de Trisakti dans l’Ouest de Jakarta pour protester contre le régime.
L’armée est aussitôt envoyée pour les déloger et ouvre le feu sur les étudiants et les étudiantes. Bilan : 4 hommes tués et des dizaines de blessé(e)s.

Des émeutes éclatent le lendemain et plongent le pays dans une crise politique sans précédent.

Lâché par les États-Unis et par son entourage, Suharto démissionne moins d’une semaine plus tard. C’est Habibie son vice président qui prend alors sa place.

Une ère de démocratisation et de réformes qualifiée de « Reformasi » comme alors.

C’est dans ce cadre, qu’Habibie annonce un plan d’autonomie pour le Timor-oriental. Une annonce motivée par le besoin de redorer l’image de l’Indonésie à l’international et aussi de bénéficier d’aides économiques pour surmonter la crise.

Mais la proposition d’autonomie sert aussi de pare-feux pour éviter que le Timor n’accède véritablement à l’ indépendance.

Les Timoraises et les Timorais ne sont pas dupes et rejettent massivement la proposition d’autonomie, dénonçant une manipulation de la part de  l’Indonésie.

Une grande campagne est lancée dans la foulée pour réclamer un véritable referendum.

Une proposition qui sera reprise au plan international et notamment par des pays « alliés » de l’Indonésie comme les Etats-Unis et l’Australie.
 En Janvier 1999, sous la pression et espérant encore pouvoir rallier la communauté internationale à sa cause, Habibie annonce la tenue d’un vote concernant l’autonomie. Celui-ci se tiendra le 8 août et sera mis en oeuvre par l’ONU.

Le mot referendum n’est pas utilisé pour ne pas vexer l’opinion Indonésienne, mais c’est bel et bien l’idée dece vote : Si l’autonomie est rejetée, le Timor-oriental pourra obtenir son indépendance.

Mais le gouvernement Indonésien mène en réalité un double jeu. En même temps qu’il semble lâcher du lest, il organise secrètement le sabotage de son propre referendum.A cette fin , il apporte un soutien logistique et financier massif à des milices anti-indépendantistes, dans le but de décourager les Timoraises et Timorais de voter pour l’indépendance.

Une explosion de violence précède ainsi les semaines du vote.
En réponse aux attaques des milices, le FALINTIL décide de reprendre la lutte armée et parie sur une réaction de la communauté internationale.

Les violence obligent près de 10 % de la population Timoraise à s’enfuir et le vote est reporté au 30 août en raison du manque de sécurité. L’ONU décide alors la création d’une mission "la MINUTO" envoyée sur place pour garantir le bon déroulé du référendum.

Le 30 août, le vote a finalement bien lieu. Malgré toutes les intimidations des milices, 98% des personnes inscrites se rendent aux urnes. Le résultat est sans appel : 78 % des personnes réclament l’indépendance.
Avant même l’annonce des résultats, les milices et l’armée Indonésienne sentant les événements leur échapper, commencent à semer le chaos et détruisent des bâtiments publics.
Lorsque les résultats sont proclamés ,ils refusent de les reconnaître et décident de saccager le pays. Tous les bâtiments et toutes les archives, qui auraient pu témoigner des crimes de l’occupation sont réduits en cendres.
250 000 personnes sont déplacées de force et entassées dans des camps. 1 400 civils sont massacrés en quelques jours.
Les violences poussent des centaines de milliers de Timoraises et Timorais à fuir vers les montagnes.

Du côté du FALINTIL, son leader Xanana Gusmão emprisonné depuis 1992, appelle à ne pas répliquer, ne voulant pas donner à l’Indonésie un prétexte pour intervenir au motif d’« une guerre civile ».

Devant l’ampleur des violences, les journalistes et les observateurs internationaux sont toutes et tous évacués, permettant aux massacres de se perpétrer loin des regards et éventuels témoignages.

Le 8 septembre, le conseil de sécurité de l’ONU réagit enfin et envoi une mission à Djakarta pour exiger la fin des massacres. Mais Habibie nie les faits, assurant que les rapports parlant de massacres ne sont que mensonges et que la situation est sous contrôle.

Face à l’horreur en cours au Timor, les militants et militantes de nombreux pays font pression sur leurs gouvernements, pour les forcer à agir.

John Howard, le premier ministre Australien, Bill Clinton, le président Etats-uniens et Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU acte l'envoi d’une force internationale au Timor.

Le 11 septembre, Bill Clinton déclare que l’aide économique de la communauté internationale envers l’Indonésie dépendra à présent de sa gestion de la situation au Timor.

En grande difficulté financière, l’Indonésie n’a pas le choix et accepte le retrait de ses troupes et l’envoi de la force internationale au Timor.

Le 15 septembre est crée par le conseil de sécurité, la force INTERFET qui débarquera au Timor cinq jours plus tard.

Son arrivée obligera rapidement les milices à se replier de l’autre côté de la frontière Indonésienne. Les combats continueront cependant jusqu’à la mi-octobre.
Pendant ce temps là, la situation sanitaire dans les camps de réfugiés ne cessait de se dégrader, les milices empêchant le passage de tous convois humanitaires.

Ce n’est qu’à partir du 8 octobre, que l’INTERFET réussit finalement à délivrer les camps et à commencer le rapatriement des réfugiées au Timor.
 Le 31 octobre, toutes les troupes Indonésiennes (armée comme milices) ont enfin quittés le Timor-oriental.

Une administration de transition gérée par les Nations Unies se met en place sur le territoire pour une période de 2 ans.
Lorsque celle-ci se termine, le 20 mai 2002 l’indépendance du Timor-oriental est (à nouveau) déclaré et Xanana Gusmão le leader du FALINTIL devient son premier président.

Pour conclure cet épisode, je souhaite vous parler un peu des suites mémorielles de ce génocide.

Dès 2001, avant même la nouvelle déclaration d’indépendance est crée la commission pour l’Accueil, la Vérité et la Réconciliation. La commission dont je vous ai parlé plus tôt dans le podcast. Son but était de dresser un premier bilan des crimes commis par les deux camps entre 1974 et 1999.

La Commission récolta plus de 10 000 témoignages et publiera un rapport de 2 500 pages nommé Chega ! Chega qui veut dire assez ou stop en portugais et ne doit pas être confondu avec le parti d’extrême droite Portugais du même nom. Si ce rapport vous intéresse, il est intégralement disponible en ligne. Le lien est lui aussi sur le site du podcast.

Le rapport Chega ! a permis de montrer qu’une écrasante majorité des crimes commis durant l’occupation furent le fait des forces armées indonésiennes.
Ce rapport ne sera cependant jamais débattu au parlement Timorais et ne donnera malheureusement lieu à aucune suite législative.

Il fallut attendre ainsi jusqu’en 2016 pour qu’un musée sur la mémoire du génocide ouvre à Dili.

Même sur la question des enfants volés pendant l’occupation, les gouvernements Timorais et Indonésien ne mirent aucune structure en place pour enquêter sur ces crimes.

Agacées, par un tel immobilisme, des militants et militantes des deux pays décidèrent de s’en occuper elles mêmes en 2010. Et en 2020, iels avaient réussis à retrouver 138
enfants volés et à retrouver pour 80 d'entre eux,leurs familles d'origine.

Le massacre de Santa Cruz est désormais commémoré chaque année au Timor et est devenu un jour férié. Cependant, sur cet épisode sanglant aucune démarche n’a été entreprise pour traduire les responsables de ce dernier en justice.

Cette passivité du Timor s'explique en partie par le poids économique de l'Indonésie qui reste son premier partenaire commercial.
L’Indonésie a fini par reconnaitre son rôle dans les massacres de 1999, mais n’a jamais fait d’excuses officielles, ni pour les 25 années d’occupation, ni pour le génocide.

Le devoir de mémoire concernant les crimes de la dictature est actuellement très compliqué en Indonésie. Celle-ci est loin "d’avoir tourné la page" de ces sombres années, comme le démontre très bien le documentaire The Act of Killing.

Du côté australien, le gouvernement Timorais essaye de renégocier l’accord de répartition des hydrocarbures signé durant l’occupation Indonésienne. Un meilleur accès à ces hydrocarbures permettrait au Timor de bénéficier d’une manne financière considérable dont il aurait bien besoin. Mais pour le moment l’Australie n’est pas disposée à revoir le contenu de cet accord. Les Etats-Unis enfin n’ont jamais reconnu leur rôle dans l’invasion, ni dans le génocide du Timor-oriental.

Un génocide qui n’est aujourd’hui officiellement reconnu ni par l’ONU, ni par aucun pays. Mais que par de nombreux observateurs internationaux et institutions reconnaissent, tel que l’université d’Oxford et de Yale qui l’enseigne dans leurs programmes.

Voila ce premier épisode de « Points de détails » est terminé. J’espère qu’il vous aura plu. N’hésitez pas à le commenter et le partager. Et je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode.

Vous pouvez écouter le podcast ici : https://spectremedia.org/points-de-details/
Et retrouvez les sources pour aller plus loin ici : https://pointsdetails.noblogs.org/episode-1-timor-oriental/

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