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Billet de blog 20 septembre 2025

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Points de détails, épisode 4 : Somalie, le génocide Issaq

Entre 1987 et 1989 a eut lieux sur le territoire de l'actuel Somaliland, le génocide des Issaq, le clan majoritaire de la région. Il fut organisé par le dictateur de la Somalie : Siad Barre. 

Ce génocide est souvent nommé l’Holocauste d’Hargeisa, suite à la destruction de plus de 90 % d’Hargeisa, qui était alors la deuxième plus grande ville de Somalie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour ce quatrième épisode, nous allons nous intéresser au continent africain. Ce qui me permet tout de suite de faire un petit rappel géographique, qui me semble nécessaire : l’Afrique est un continent, pas un pays. Je le re précise ici, car on entend encore trop souvent parler de l’Afrique, comme s’il s’agissait d’une entité uniforme. 
Alors que l’Afrique est le continent avec le plus grand nombre de pays au monde. Juste pour faire un petit test : à votre avis combien y’a il de pays en Afrique ? 64. 
Il y’a 64 pays, depuis la création du Soudan du Sud en 2011. Alors il est  possible que vous ayez plutôt entendu le chiffre de 55. Ce chiffre est souvent cité, mais il ne prend en compte que les pays membres de l’Union Africaine. Or, il y a aussi des états indépendants ou non reconnus. 
Comme celui dont je vais parler dans cet épisode.

Aujourd’hui, je vais revenir sur l’histoire d’un pays qui est souvent malheureusement connu par des clichés : la Somalie.

La Somalie se trouve le plus à l’est du continent, dans une péninsule surnommé la « Corne de l’Afrique ». Elle est entouré par l’Éthiopie à l’ouest, le Kenya au sud-ouest et Djibouti au nord. Elle fait face au Yemen, dont elle est séparé par le golf d’Aden, un golf hautement stratégique puisqu’il permet d’accéder au canal de Suez.

Actuellement, la Somalie est déchiré par une guerre civile, qui dure depuis 1978. 
C’est au cours de cette guerre civile, que en 1991 le nord-ouest du pays proclama son indépendance pour former l’état du Somaliland. Un état non reconnu par la communauté international. 

Entre 1987 et 1989 eut lieux sur le territoire du Somaliland, le génocide des Issaq, le clan majoritaire de la région. 
Ce génocide fut organisé par le dictateur de la Somalie : Siad Barre. Siad Barre qui dirigea la Somalie pendant plus de vingt ans, entre 1969 et 1991.

Le génocide des Issaq causa la mort de 50 000 à 200 000 personnes et poussa à l’exil 400 000 autres.

Ce génocide est aussi appelé l’Holocauste d’Hargeisa, suite à la destruction de plus de 90 % d’Hargeisa, alors la deuxième plus grande ville de Somalie. Burao, la troisième ville du pays fut elle aussi bombardé et rasé à près de 70 %. 

Pour comprendre ce qu’il c’est passé en Somalie, il nous faut remonter à la colonisation de cette dernière par les puissances européennes. 
Car oui, la Somalie ne fut pas colonisé par un, mais deux pays européens :  l’Angleterre et l’Italie. 

Cette repartition du territoire somalien se décida à la conférence de Berlin en 1885.

À cette époque, les tensions et les conflits entre européens se multipliaient suite à leur conquête de l’Afrique. Ils décidèrent donc de se réunir à Berlin pour se mettre d’accord sur un «partage» de celle-ci. Bien évidement, aucun royaume africain ne fut convié à ce « partage ». 

Si l’Angleterre et l’Italie étaient toutes les deux présentes à la conférence de Berlin, leur domaines coloniaux étaient loins d’être équivalent. 

L’Angleterre possédait l’un des plus grands empire avec celui de la France. Rien qu’en Afrique de l’est, elle occupait depuis 1839 le port d’Aden au Yemen et depuis 1882, l’Egypte et le Soudan. Le Kenya passera lui aussi sous contrôle britannique en 1888. 

Ainsi, l’Angleterre contrôlait déjà une majorité de la corne africaine, lorsqu’elle décida en 1884 d’envahir le nord-ouest de la Somalie. Elle imposa un protectorat sur le territoire et le renomma la Somalie Britannique, ou Somaliland en anglais. 

Un des principaux objectifs de ce protectorat était de faciliter l’approvisionnement en viande du port d’Aden. Cette approvisionnement était si centrale pour les anglais, que la Somalie Britannique était surnommé « la boucherie d’Aden. »

Du côté de l’Italie, la situation était très différente. En 85, l’Italie sortait tout juste du Risorgimento et était un pays unifié depuis seulement une quinzaine d’année. Elle ne possédait par conséquent aucune colonie. 


La conférence de Berlin permettra à l’Italie de se voir attribuer quelques territoires par principe. 
La création d’un empire colonial Italien fut en réalité surtout encouragé par Londres, qui préférait avoir comme concurrent dans la région un empire faible comme l’Italie, plutôt que l’empire français son grand rival. 

L’Italie commença donc sa colonisation en 1885 avec la prise de Massoua en Érythrée. Elle occupa ensuite le sud de la Somalie à partir de 1889.  

Cependant, les somaliens et somaliennes ne se laissèrent pas envahir sans lutter. 
En 1899, naquit le soulèvement Derviches, qui fut l’un des mouvements les plus importants de résistance à la colonisation. Si les Derviches luttèrent contre les conquêtes de l’Italie et de l’Ethiopie voisine, c’est surtout contre l’Angleterre qu’elle entra en guerre.

Une guerre mené par Mohammed Abdullah Hassan, qui sera surnommé « the Mad Mullah », le Mollah fou. 

Le soulèvement Derviches durera plus de vingt ans et réussira l’exploit de mettre en déroute l’armée britannique quatre fois. 
Il faudra attendre que le Mad Mullah décède d’une grippe en 1920 pour que les britanniques puissent enfin venir à bout du soulèvement Derviches et  continuent d’étendre le Somaliland. 

En Italie à partir de 1922, Mussolini prit le pouvoir et le pays tout comme ses colonies passèrent sous la coupe des fascistes. Ils imposèrent aux colonisé.es le travail forcé et transformèrent leur conditions de vie en enfer.


En Libye entre 1929 et 1934, les fascistes iront jusqu’à commettre un génocide en enfermant toute la population dans des camps de concentration. 
Mais je ne vais pas plus developer cette histoire maintenant, car elle fera l’objet d’un futur épisode. 

À la fin des années 30, prenant exemple sur l’expansionnisme de l’Allemagne Nazi, les fascistes se lancèrent dans des guerres de conquêtes pour agrandir leur Empire. 

Après une guerre d’extermination contre l’Ethiopie en 1935, ils envahirent la Somalie britannique au début de la Seconde Guerre Mondiale. 

Cette occupation fut cependant de courte durée, puisqu’à peine sept mois plus tard, les Anglais récupèrent non seulement leur colonie, mais prirent aussi le contrôle de toute la Somalie italienne.

À la fin de la guerre, toutes les colonies de l’Italie lui furent définitivement retirées, à l’exception de la Somalie. Celle-ci lui fut rendu en 1949 par les Nations Unies, sous la forme d’un protectorat. 
Un protectorat de 10 ans dont l’objectif était de préparer le pays à l’indépendance, en formant notamment des cadres et en construisant des infrastructures.

Le défit était de taille, car la colonisation italienne c’était jusque là démarqué par son peu d’investissement sur le territoire et la ségrégation de son administration. Tous les postes de pouvoir étaient en effet réservés aux Blancs et en 1949, 99 % de la population était encore analphabète.

De plus, suite à la guerre, l’économie italienne était complètement en ruine et ne survivait que grâce à l’aide du plan Marshall. 
Préparer le pays à l’indépendance était un objectif irréalisable. 

En fait, le protectorat servit surtout de refuge pour les fascistes, qui voulaient  échapper aux jugements de l’après-guerre.
Une bonne partie des personnes choisies pour diriger l’administration du protectorat venaient de l’ancien ministère des affaires coloniales. 
La présence des fascistes dans l’administration était un tel secret de polichinelle, que le surnom du protectorat était : « Toujours des fascistes italiens en Somalie ».

Le protectorat prit fin en 1960 : l’année phare de la décolonisation. En effet, cette année là 17 pays africains (dont 14 anciennes colonies françaises) obtinrent leur indépendance.
Ainsi, en même temps que le Cameroun, le Togo, Madagascar, le Congo Kinshasa, le Congo Brazzaville, le Bénin, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la Centre-afrique, le Gabon, le Mali, le Sénégal, le Nigéria, la Mauritanie et le Burkina Faso, la Somalie anglaise et italienne devinrent à leur tour et à quelques jours d’intervalles indépendantes.

Aussitôt libéré de la tutelle colonial, les deux Somalie décidèrent de fusionner pour former un état unifié : la République de Somalie. 

Après l’union, l’ancien territoire anglais fut désigné comme le Nord, tandis que la partie italienne elle comme le Sud. 

L’unification des deux colonies n’étaient vu que comme le premier pas pour accomplir le rêve d’une  « Grande Somalie ». 

La « Grande Somalie » est une idée qui prône le rassemblement de tous les peuples Somali en un seul état. Des peuples qui, en plus des deux Somalie sont présent à l’est de l’Éthiopie, au nord du Kenya et à Djibouti. 

Le concept de « Grande Somalie » était tellement central à l’époque, que c’est ce qui est représenté sur le nouveau drapeau du pays. 
Le drapeau est une étoile blanche sur un fond bleu claire. Une étoile à cinq branches, dont chaque branches symbolisent les cinq zones où vivent les Somali. 

Si l’idée de « Grande Somalie » remontait au début de la colonisation, elle fut surtout mise en avant par le plan Bevin, après la seconde guerre mondiale. 

Ernest Bevin était ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni et proposa en 1946 un plan pour regrouper les peuples Somali dispersés entre les cinq territoires. 
Le plan de Bevin ne fut cependant jamais mis en place, à cause d’un veto de l’URSS. Il marquera toutefois les mémoires, puisqu’il sera cité comme une inspiration par les dirigeants somaliens au moment de l’unification. 

Par ailleurs, si le nom de Bevin et de son plan vous rappellent d’autre choses, c’est parce que à la même période, Bevin rédigea un autre plan. Un plan pour tenter de régler le conflit entre les populations Arabes et Juives dans la Palestine mandataire. Inutile que je vous précise je pense, que ce plan ne fut lui non plus jamais mit en place.

La volonté de réaliser la « Grande Somalie » sera au cours des années  l’une des causes de guerre entre le pays et ses voisins, en particulier l’Éthiopie avec qui les relations ont toujours été conflictuelles. Mais je vous  en reparlerais un peu après.

Avant de se lancer dans la conquête d’autres territoires, la Somalie devait déjà réussir à mener à bien l’unification entre le Nord et le Sud du pays. Ce qui était loin d’être facile, car les inégalités entre les deux territoires étaient criantes. 
Une situation qui résultait de politiques coloniales très différentes : l’Italie n’avait à l’inverse de l’Angleterre, presque jamais rien investi en Somalie. Le Sud du pays se retrouvait donc beaucoup moins développé que le Nord. 

Cette inégalité économique fut en plus renforcé par une inégalité politique, au profit du Sud cette fois, qui monopolisa tous les postes de pouvoir. 
En effet, dans le nouveau gouvernement, le président, le premier ministre, le ministre de la défense, le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères étaient tous des gens venant du Sud. 
Cette monopolisation du pouvoir profita largement au Sud, qui récupéra la majorité des aides économique et des nouvelles infrastructures, ostracisant petit à petit les territoires du Nord. 

Le conflit entre les deux territoires se révéla au grand jour lorsque, en 1961 les habitants et habitantes durent voter pour valider l’acte d’union. 

L’acte fut alors majoritairement rejeté par le Nord, montrant qu’à peine un an après la réunification, l’ancien Somaliland ne voulait déjà plus de celle-ci. 

Malgré le refus du Nord, l’acte d’union fut quand même validé, accentuant la tension entre le clan des Issaq, majoritaire dans le nord et les clans des Hawiye et Darod, majoritaire dans le Sud.

Une tension qui débouchera à la fin de l’année 1961 sur une tentative de coup d’état par des officiers voulant rétablir l’indépendance du Nord. La révolte sera cependant maté en quelques heures à peine par Mogadiscio.  

Presque dix ans plus tard, un autre coup d’état réussi celui là, changea radicalement l’histoire de la Somalie. 

Le 15 octobre 1969, Ali Sharmarke le président de la Somalie fut assassiné par son garde du corps. 

Le général Siad Barre profita de la déstabilisation provoquée par ce meurtre pour s’emparer du pouvoir et former avec d’autre officiers un conseil suprême révolutionnaire. 

La nouvelle junte militaire instaura alors une dictature sur le pays : le parlement et la constitution furent suspendue, les parties politiques interdits et les anciens membres du gouvernement emprisonné.es. Toute forme de contestation politique fut sévèrement réprimée. 

Siad Barre était un militaire appartenant au clan Darod. Marxiste convaincu, il renomma le pays en République Démocratique de Somalie et déclara celle-ci « état socialiste ».

Si la Somalie était déjà proche de l’U.R.S.S qui lui fournissait des armes depuis son unification, l’arrivé au pouvoir de Siad Barre inscrivit durablement le pays dans le camps soviétique.

Alors, je me doute des questions que devez vous poser : est-ce que ça ne serait pas Siad Barre, qui aurait organiser l’assasinat du président pour prendre sa place ? 
Ou mieux, est-ce que toute cette séquence n’aurait pas été orchestré directement par les soviétiques pour mettre en place un dictateur favorable à leur camps ?

Malheureusement, si ces deux hypothèses peuvent sembler plus que crédibles, à l’heure actuelle aucune preuve ne permet de confirmer ou de refuter ces théories. 

Siad Barre restera au pouvoir jusqu’en 1991. Le programme des Nations unies pour le développement déclara que les 21 ans de son régime présentait l'un des pires bilans en matière de droits humains en Afrique. 

Durant sa dictature, Siad Barre accentuera la marginalisation du Nord en réservant 95 % des financements et des projets de développement au Sud. 

Une politique de discrimination des Issaq, qui se transformera en politique d’extermination, à la fin des années 80. 

Si l’on a vu pourquoi à cause de l’histoire colonial, la Somalie était un pays profondément divisé entre le Nord et le Sud, je vais maintenant vous parlé un peu plus longuement d’un autre facteur essentiel dans la mise en place du génocide : l’affrontement avec l’Ethiopie. 

Certaines et certains spécialistes datent l’origine des tensions entre les deux pays du XVI ème siècle, mais je vais me contenter ici de parler des conflits plus récents.  

Au XIX ème siècle, Menelik II l’empereur d’Ethiopie profita de l’envahissement européen pour agrandir son royaume. Il conquerra ainsi en 1870, la région de l’Ogaden. Cette région situé à l’est de l’Ethiopie est peuplé principalement par le peuple Somali.  

C’est à cause de cette accaparement de l’Ogaden, qu’au moment de la révolte des Derviches, le Mad Mullah combattit aussi contre l’Ethiopie. 

Après la seconde guerre mondiale, l’Angleterre qui occupait alors toute la corne du continent redonna à l’Ethiopie l’Ogaden, ainsi que la région de l’Haud, une ancienne région de la Somalie Britannique. 

Londres fit la même chose avec le Kenya et la Province de la Frontière du Nord. Celle-ci bien qu’habité majoritairement de Somali sera cédé au Kenya au moment de son indépendance. Ce qui entrainera une guerre entre les deux pays en 1963. 

Et c’est justement en 1963, que démarra aussi une révolte dans l’Ogaden. Les Somali de la région se rebellèrent contre les taxes imposées par le gouvernement éthiopien. 
La Somalie de son côté elle aidait la rébellion, espérant en profiter pour récupérer le contrôle de la région. 

Mais si les rebelles avaient l’appuie de la Somalie, l’Éthiopie elle avait le soutient de ses alliées : c’est à dire les Etats-Unis et Israël. 
Le combat était totalement disproportionné. 

L’Ethiopie fut sans pitié et massacra les rebelles, allant jusqu’à bruler et bombarder les villages insurgés. 

La répression brutal et les milliers de réfugié.es qu’elle entraina, poussa la Somalie à entrer frontalement dans la guerre. Une guerre qui ne dura que deux mois et se termina par un cessez le feu, rétablissant le statu quo. 

En janvier 1974, 10 ans après cette première guerre de l’Ogaden, l’Éthiopie fut secoué par la révolution.  
Des manifestations, puis une grève général furent lancées pour protester contre la politique de l’empereur, le Negus Haïlé Sélassié. Une des principales cause de la révolte était la gestion catastrophique par l’empereur, de la famine qui avait ravagé le nord du pays cet hiver là et tué plus de 200 000 personnes. 

Le 12 septembre, après plus de six mois de manifestations, le dernier roi des rois était destitué. 

Passant outre les revendications populaires pour établir un gouvernement civil, le Derg, un comité composé de différentes forces militaires prit le pouvoir. 
Le Derg était alors dirigé non par un général, mais par un simple officier :  Mengistu Haile Mariam. 

Proche du marxisme, Mengistu déclara que l’Ethiopie était désormais un pays socialiste. Le Derg lança alors de nombreuses réformes pour mettre en place la socialisation et sortir le pays du système féodale dans lequel il se trouvait.  

Malheureusement, le gouvernement du Derg se transforma rapidement en dictature, déchainant une Terreur Rouge, connu sous le nom de Qey Shibir. Environ 100 000 personnes furent victimes de cette Terreur rouge et en 2006, la justice éthiopienne reconnu Mengistu coupable de génocide. 

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous racontes tout ça ?

Et bien tout simplement parce que le chaos engendré par la révolution éthiopienne poussa différents groupes séparatistes à vouloir profiter de la situation. 
Et parmi ces groupes se trouvait le Front de libération de la Somalie occidentale, dont je suis sûr que vous pouvez deviner l’objectif… se battre pour rattacher la région de l’Ogaden à la Somalie. 

Malgré le chaos de la révolution, le Front de libération se heurta à une sévère répression de la part du Derg. Une répression, qui comme en 63 donna une excuse au gouvernement somalien pour entrer en guerre contre son voisin. 

Le 12 juillet 1977, l’armée somalienne envahit l’Éthiopie. Commença alors la seconde guerre de l’Ogaden. 

Cette guerre marqua un tournant en Afrique de l’est, mais aussi dans la guerre froide. Car suite à ce conflit un renversement des alliances de bloc  s’opéra dans la région. 

Si avant la guerre, les États-unis soutenait l’Éthiopie et l’U.R.S.S, la Somalie, à la fin de celle-ci à peine un an plus tard, ce sera l’U.R.S.S qui soutiendra désormais l’Éthiopie et les Etats-Unis la Somalie. 

Pourquoi c’est-il produit un tel renversement ?

Du coté éthiopien, la rupture avec les Etats-Unis débuta à cause de la proximité du Derg avec le socialisme. Si dés son arrivé au pouvoir Mengistu souhaitait rompre les relations avec les U.S.A, le rapprochement avec le bloc de l’Est ne s'effectua qu’à partir de 1976. 

Après le ralliement de l’Éthiopie au socialisme, Fidèle Castro lui même se déplaça dans la région pour proposer la mise en place d’une fédération, qui regrouperait l’Éthiopie, la Somalie et le Yemen-Sud. 

Mais la Somalie et l’Éthiopie se vouant une haine viscérale, l’idée d’une fédération fut vite enterré. 
Au contraire même, Mengistu refusa que l’U.R.S.S soit l’allié et de la Somalie et de l’Éthiopie. Il fit donc pression pour que cette dernière choisisse son camps.

Ce sera chose faite avec le début de la guerre de l’Ogaden. La Somalie  ayant envahit son voisin, elle se retrouvait dans le rôle de l’agresseur. Un rôle difficile à défendre sur la scène international. 
Le bloc de l’Est préféra donc couper tout soutient à la Somalie et reporter son aide militaire en Éthiopie. 

Du côté états-uniens, le président Jimmy Carter rompit les liens avec l’Éthiopie pour se conformer à son programme de respect des droits humains dans les pays alliés. Un programme dont je vous avais déjà parlé dans l’épisode précédent sur le Guatemala. 

Voyant que la Somalie était lâché par l’U.R.S.S, Washington s’empressa de conclure une alliance avec cette dernière. Une alliance cependant qui n’incluait aucun soutient militaire, puisque la Somalie était l’agresseur. 

Et c’est comme ça que d’un côté l’Éthiopie reçu de l’aide militaire de l’U.R.S.S, de Cuba, du Yemen-sud, de la Corée du Nord, de l’Allemagne de l’Est et même d’Israël, tandis que de l’autre côté la Somalie ne put conter que sur ses propres moyens. 

Je vous laisse deviner donc l’issue du conflit.

La guerre de l’Ogaden fut une défaite cuisante pour la Somalie.
Une grande majorité de ses forces militaires furent détruites et un tiers de ses soldats périrent. 

Malgré la défaite de l’armée somalienne, les forces éthiopiennes et cubaines continuèrent à attaquer la région de l’Ogaden pour éradiquer toute formes de résistance, poussant près de la moitié de la population à s’enfuir.

Plus d’un million de personnes trouvèrent refuge en Somalie, particulièrement dans le Nord, sur les terres des Issaq. 

Des terres qui avaient été déjà fortement affaiblis par la guerre, car étant voisine de l’Ogaden, elles subirent une grande partie des pertes humaines et matérielles du conflit. Le Nord n’était alors absolument pas en état pour accueillir autant de réfugié.es.
De plus, l’économie du pays était elle aussi dans un état déplorable suite à la guerre. 

Pour comprendre l’ampleur de ce déplacement de populations, il faut rappeler, qu’à cette époque la Somalie ne comptait que 4 millions d’habitants et habitantes. L’arrivée soudaine d’1 million de personnes augmentait sa population de presque un quart, imposant une pression démographique impossible à gérer. 

Siad Barre décida donc de se tourner vers l’aide internationale pour fournir les ressources nécessaires aux réfugié.es. 

Le problème, c’est que Barre ne se préoccupa que des réfugiées et délaissa totalement les Issaq locaux. 

Les réfugiées appartenant majoritairement au même clan que Barre, le clan Darod, le président s’appuya sur elleux pour renforcer la discrimination des Issaq sur leur propre territoire. 

Les réfugié.es étaient largement favorisé.es, que ce soit pour accéder à des aides ou à des postes de l’état.
Ce traitement préférentiel permettait à Siad Barre de s’assurer de la loyauté des membres de son clan, dans un moment de grande instabilité politique.

Car, suite à la défaite de l’Ogaden, le régime de Barre était devenu détesté par une grande partie de la population. Un coup d’état essaya même de le renverser le 10 avril 1978. 

Face à la discrimination, les Issaq ne se laissèrent cependant pas faire et commencèrent à se rebeller elleux aussi contre le gouvernement. 

Barre décida donc de financer des milices locales pour les réprimer. 

La plus importante de ces milices était le Front de libération de la Somalie occidentale. 
Oui, celui-là même qui avait lancé l’insurrection dans l’Ogaden. À la fin de la guerre, le Front occidentale c’était lui aussi rapatrié en Somalie, sur les terres Issaq. Il profita du dénuement des milliers de réfugié.es pour les recruter dans ses rangs. 
Si officiellement le but du Front occidentale était de préparer un futur affrontement contre l’Éthiopie, dans les faits il utilisait surtout ses armes pour terroriser les Issaq.  
Le Front, comme les autres milices perpétuait régulièrement contre les Issaq des meurtres, des viols et des pillages.    

Pour se défendre contre ces crimes, les Issaq créèrent leur propre section au sein de l’armée : l’Afraad. L’Afraad fournit aux villageois et villageoise une première protection contre les violences des milices. 

Mais cela ne dura pas longtemps, car le gouvernement décida de démobiliser l’Afraad loin du Nord, laissant les Issaq de nouveau seul contre aux milices.

En réaction à cette démobilisation forcée, l’Afraad décida de quitter l’armée et se réfugia en Éthiopie. 
Là, le groupe prit une autre ampleur et avec le renfort notamment d’Issaq expatrié.es de l’étranger, devint le Mouvement National Somalien, le SNM pour l’acronyme anglais. 

Le but du SNM n’était plus de simplement protéger la population des exactions, mais de lancer une lutte de guérilla pour que les régions de l’ancien Somaliland retrouvent leur autonomie. 

C’est ainsi qu’en 1981 commença la guerre pour l’indépendance du Somaliland. Une guerre qui durera dix ans. 

Mais le SNM n’était pas le seul mouvement à prendre les armes contre le gouvernement de Siad Barre. 
À la même époque, le Front démocratique somalien du salut se lança lui aussi dans la lutte armée. Ce groupe était composé de militaires du clan Majeerteen, opposé aux politiques du gouvernement. Le Front du salut était financé par l’Éthiopie, qui espérait le renversement de Siad Barre. 

Ainsi dans les années 80, trois situations se superposaient en Somalie : une guerre civile entre le gouvernement et les différents groupes de guérilla ; une guerre de libération pour instaurer un état indépendant au Somaliland et un génocide contre les populations Issaq. 
Génocide qui fut étroitement lié à la lutte du SNM comme nous allons le voir. 

Pour déstabiliser le gouvernement, le SNM employa une technique de guérilla d’attaques et de fuites éclairs. Deux des ses plus grosses actions furent le détournement d’un Boeing 707 et la libération de 700 prisonnier.es de la prison de Mandera. 

En représailles de ces attaques, Siad Barre décida de nommer son propre cousin Mohamed Hashi Gani comme commandant des régions nord. 

Gani plaça aussitôt tout le territoire en état d’urgence. Une situation qui lui permit d’avoir les mains libres pour réprimer les populations civiles. Car  pour Gani tout Issaq était un soutient potentiel du SNM et donc un ennemi du régime. 

À partir de 1982, un système connu sous le nom d’« Extermination des Issaq » fut mis en place. 

Les Issaq étaient expulsé.es de leur propriété et déchu.es de toute positions politique ou économique. Iels devenaient invisibles pour l’administration, qui ne leur accordaient plus aucun droits. Iels étaient obligé.es de compter sur l’aide des non-Issaq pour s’en sortir.

De leur côtés, les étudiants et étudiantes étaient tous et toutes considéré.es  comme des membres du SNM. Iels étaient donc systématiquement arrêté.es ou empêché.es d’étudier. 

L’armée procédait à des exécutions et arrestations arbitraires, sous le simple motif de liens supposés avec la guérilla. Les personnes arrêté.es étaient torturé.es et emprisonné.es dans des conditions inhumaines, afin de les briser psychologiquement. 

Par ailleurs, la dignité des Issaq étaient bafouée jusque dans leur morts., car l’armée interdisait les rites funéraires et laissait les corps pourrir dans l’espace public pour terroriser la population. 

Les femmes en particulier furent visées, afin de détruire toute la famille à travers l’humiliation de ces dernières. Les femmes des rebelles du SNM furent ainsi déclarées par le gouvernement « libres pour tous », afin d’encourager le viol de celles-ci.

Un tribunal militaire mobile fut aussi mit en place. Bien qu’uniquement composé de militaires, ce tribunal pouvait juger aussi bien les soldats que les civils. 

Le tribunal mobile permit de procéder à des exécutions de masses en déclarant presque systématiquement la peine de mort. 

De plus, la justice condamnait automatiquement les personnes arrêtées, quelles soit coupables ou non. La rumeur populaire disait qu’avec ce tribunal « coupable ou innocent, tu seras déclaré coupable ». 

Pour tenter d’isoler les rebelles, l’armée procéda à une politique de la terre brûlée. À chaque fois qu’elle arrivait à localiser un bastion de la guérilla, elle s’en prenait à tous les villages alentours pour les isoler. Le bétail était abattu, les maisons brûlées, les habitant.es exécuté.es ou arrêté.es. et le terrain miné. Sur ce sujet, je reviendrai plus loins sur l’utilisation des mines dans le génocide. 

En 1986, un évènement vint bouleverser le gouvernement de Mogadiscio :  un accident de la route blessa gravement Siad Barre. Ce fut son vice président qui du assurer l’intérim, le temps que Barre se soigne en Arabie saoudite. S’il revint assez rapidement au pouvoir, Barre qui était déjà âgé de 67 ans, resta profondément affaiblis par cet accident. 

En parallèle, l’économie somalienne continuait de dégringoler et l’inflation atteignait des niveaux records. Mais pour que la Somalie puisse obtenir de nouvelles aides international, le FMI et la banque mondiale l’obligait à libéraliser d’avantage son économie. 

Acculé par ces difficultés politique et économique, le gouvernement essaya de reprendre la main en faisant ce qu’il savait le mieux : augmenter la répression. 
Pour cela, il s’appuya sur les Bérets rouges, une unité d’élite recruté parmi le clan du président. Les Bérets rouges s’en prirent alors à tous les clans opposés au gouvernement. Les tortures et les arrestations arbitraires devinrent quotidienne à Mogadiscio.  

Dans le Nord, le général Morgan succéda à Gani comme commandant. Morgan était un des beau-fils de Siad Barre et aggrava la persécution des Issaq entamé par celui-ci. 

En février 87, un rapport du général Morgan fuita. Il s’agissait d’un rapport secret destiné aux plus haut membre du gouvernement. Dans ce dernier, connu aujourd’hui comme la « Lettre de la mort », Morgan expliquait les mesures à prendre pour mettre en oeuvre une « solution final au problème Issaq ».

Moins d’un an après « La Lettre de la mort », le génocide des Issaq commencera et Morgan obtiendra le surnom du Boucher d’Hargeisa. 


Si officiellement le génocide des Issaq se déroula entre 1987 et 1989, la campagne génocidaire de Siad Barre ne débuta réellement qu’en mai 1988.  

On peut se demander, pourquoi après autant d’années le gouvernement décida de passer d’une politique d’oppression à une politique d’extermination ? 

Et bien, l’élément déclencheur fut le succès sans précédent d’une attaque du SNM. 

En avril 1988, la Somalie et l’Éthiopie décidèrent d’enterrer la hache de guerre et signèrent un traité de paix. 
Ce traité était surtout motivé par la volonté des deux états d’en finir avec les guérillas qui ravageaient leur pays. Car d’un côté, la Somalie finançait les mouvements qui luttaient en Éthiopie pour l’indépendance de l’Érythrée et du Tigray, tandis que de l’autre côté l’Éthiopie servait de base arrière au SNM et au Front démocratique somalien du salut. 
Avec la signature du traité de paix, les rebelles se retrouvaient privés d’une grande partie de leur soutiens. 

Sentant le vent tourner, le SNM décida de tenter le tout pour le tout et de prendre le contrôle des deux plus grandes villes du Nord. 

Le 27 mai, iels attaquèrent Burao. Et le 31, Hargeisa, respectivement la troisième et deuxième plus grande ville du pays.

Leur opération fut un succès et le 1 er juin, le SNM contrôlait entièrement les deux villes.

Face à cette attaque et voyant son armée incapable de repousser le SNM, Siad Barre décida d’employer tous les moyens à sa disposition non plus pour vaincre la guérilla, mais pour éradiquer les Issaq. 

L’armée commença à massacrer les civils dés le début de l’attaque du SNM. Et au plus elle perdait du terrain, au plus elle s’en prit aux civils. 

Les militaires tuèrent de nombreuses personnes au cours de vols pour récupérer de la nourriture ou des objets de valeurs. 

Quand l’armée comprit qu’elle n’avait plus aucune chance de repousser le SNM, elle se déchaina contre les Issaq. Elle attaqua les habitants et habitantes et leurs maisons avec tout l’arsenal dont elle disposait : des mitrailleuses, des bazooka et même des tanks. 

À Burao, l’armée fit le tour des rues avec des hauts-parleurs, incitant les non-Issaq à quitter la ville. Elle fournissait même à ces derniers et dernières des transports pour qu’iels puissent s’enfuir plus rapidement. 
Le but de la manœuvre était d’évacuer les non-Issaq, pour que l’armée puisse mettre le feu à la ville et à celleux qui y restaient. 

Le 31 mai, une fois que les non-Issaq eurent quitté Burao, les bombardements commencèrent. 
Un bombardement de masse, qui rasa plus de 70 % de la ville. 
Face au déchaînement d’une telle violence, toutes celleux qui le purent s’enfuir.
Lorsque les bombardements cessèrent, non seulement Burao était détruite, mais en plus elle était déserte. 

À 200 kilomètre de là à Hargeisa, les militaires vidaient les prisons pour pouvoir enfermer le plus d’Issaq possible. Plus de 700 personnes furent entassé.es dans des cellules surpeuplés. 
Les criminels libérés eux furent armées par les soldats pour attaquer les Issaq. 

Comme à Burao, l’armée lança sur Hargeisa des bombardements massifs, transformant la ville de 370 000 habitants et habitantes en un champs de ruine. Amnesty International estimait qu’environ 14 000 immeubles avaient été démolis et plus de 12 000 sévèrement endommagés. Hargeisa fut détruite à 90%. 
Le bombardement était supervisé par le général Morgan, qui obtint pour  ce massacre le surnom de Boucher d’Hargeisa.

Là aussi, les survivants et survivantes s’enfuirent dés que possible. La deuxième plus grande ville du pays devint une cité fantôme. 

L’ampleur de la destruction d’Hargeisa fut tel, que la ville fut surnommé la « Dresde d’Afrique ». Une référence à l’anéantissement de la ville allemande par les bombardements Alliées durant la Seconde guerre mondiale. 
L’attaque contre la cité fut le plus grand massacre du génocide, au point que ce dernier est régulièrement appelé l’« Holocauste d’Hargeisa ».

Si uniquement Burao et Hargeisa furent bombardées, des massacres eurent lieux aussi dans d’autres villes.

Ce fut le cas notamment à Berbera, qui était l’un des principaux port de Somalie à l’époque. Les massacres à Berbera permirent de montrer l’hypocrisie du gouvernement, qui utilisait l’excuse de la lutte contre la guérilla pour s’en prendre aux civils. Car à Berbera, il n’eut aucune attaque du SNM. Ce qui n’empêcha pas l’armée de s’en prendre tout de même aux Issaq. 

Les arrestations et exécutions massives débutèrent, dès que les autorités apprirent l’attaque du SNM sur Burao, à 100 km de là. 
Plus de 700 personnes furent exécuté.es. Elles furent tué.es de manières particulièrement cruelles, mais je vous épargnerais ici les détails. 

Pendant des mois, l’armée somalienne aidé par des réfugiées éthiopiens effectua des descentes dans les villages autour de Berbera. 
Des raids où elle brûlait les maisons, confisquait le bétail, violait les femmes et arrêtait ou exécutait les hommes sur place. 

Human Rights Watch reportait que Berbera subit certains des pires abus du conflit.

Les massacres se répétèrent dans plusieurs autres villes, dont la capitale Mogadiscio. Des villes qui ne furent jamais attaqué par le SNM.

Mais les massacres n’eurent pas lieux que dans les villes. La campagne d’extermination du gouvernement cibla l’ensemble de la population Isaaq. 

Partout dans le pays, iel furent traqué.es et tué.es par l’armée et ses milices, en particulier celles des réfugiées de l’Ogaden. Le général Morgan aurait ordonné à ses troupes « de tuer tout le monde, sauf les corbeaux ».

Avec potentiellement plus de 200 fosses communes enfouis sur son territoire, la région d’Hargeisa fut surnommé la Vallée de la Mort. 

Le génocide provoqua le déplacement d’environ 400 000 réfugiées, qui pour la plupart traversèrent la frontière pour se mettre à l’abri en Éthiopie. Ce fut l’un des déplacement forcé de population le plus important, qui eut lieux en Afrique. 
L’armée s’en prit même aux réfugiées, pour les empêcher de partir. Pour cela, elle leur tira directement dessus depuis ses avions. 

Le SNM ne fut pas irréprochable non plus pendant le conflit et est responsable du meurtre de civils. Des  exécutions eurent lieux notamment pendant les attaques de Burao et Hargeisa, ainsi que dans les camps de réfugié.es. Le nombre de ces morts n’est cependant pas connus à l’heure actuel.

Un nombre inconnu aussi pour le génocide, puisque les différents chiffres avancées font aujourd’hui encore débat.  
Si les estimations basses parlent de 50 000 morts, les rapports des autorités locales parlent elles plutôt de 200 000 morts. On ne peut que souhaiter qu’une commission vérité et réconciliation soit un jour mis en place pour savoir ce qu’il en a réellement été.  

J’aimerai maintenant revenir sur un élément que j’ai brièvement mentionné plus tôt : l’utilisation des mines antipersonnel.
Celles-ci furent déployer massivement pendant le génocide, afin notamment d’empêcher les personnes de revenir dans leurs villages. 
Des mines étaient cachées dans les maisons, dans les rues et dans tout autre voies de passages.

De nombreuses mines furent aussi déposées dans les champs, pour détruire le mode de vie des nomades. Les nomades furent tout au long du génocide une cible de l’armée, qui était persuadée qu’iels aidaient les membres du SNM. 
Ainsi, des mines furent dispersées près des sources d’eau, des terres pastorales et des zones de pâturages. 
Entre 1 à 2 million de mines furent enfouies sur les terres Isaaq. 

Alors, vous vous demandez peut-être comment ça se fait qu’avec de si gros problèmes économiques, le pays a pu se procurer autant de matériel militaire ?

Et bien tout simplement, parce que le régime de Siad Barre était soutenu par d’autres pays à l’international. Je vais vous parler un peu de qui était ces soutiens :
 
En premier, on peut citer le régime suprémaciste d’Afrique du Sud. L’Afrique du Sud qui était à l’époque l’objet d’un boycott mondiale contre sa politique d’apartheid.
La Somalie et l’Afrique du Sud se rapprochèrent en 1984, signant des accords secrets d’aide économique et militaire. Contre le droit d’ utiliser les aéroports somaliens, l’Afrique du Sud fournit 20 millions de dollars d’aide économique, ainsi qu’un grand nombre d’équipements militaire. Des dizaines de mercenaires sud-africains participèrent aussi directement au génocide, notamment en pilotant des bombardiers.

On trouvait aussi comme soutiens du régime, des pays européens tel que l’Italie et l’Allemagne de l’Ouest. 

Depuis 1978, l’Italie fournissait à la Somalie toute une gamme d’équipements militaires comme des véhicules blindés, des chars, des hélicoptères ou des armes légères. L’Italie et la Somalie signèrent en 83 et 85, des accords d’assistance et de formation militaire. 

L’Allemagne de l’Ouest de son côté, aidait surtout la Somalie pour la formation de ses unités de police. Elle livra aussi des véhicules et du matériel de communication à l’armée somalienne. Entre 1985 et 1987, l’Allemagne de l’Ouest fournit pour 12 millions de Deutsch Mark d’aide militaire. 
Elle suspendit cependant toute aide au début du génocide en 88. L’Italie elle ne retira ses instructeurs du pays qu’en 1990.

L’arrêt de l’aide Ouest-Allemande poussa la Somalie à se tourner vers la Libye de Kadhafi pour obtenir des armes. 

Parmi les alliés de longue date du régime, on retrouvait aussi la Chine, qui à partir de 1981, devint l’un de ses principaux fournisseurs d’armes. Elle lui livra en autre des bombardiers, des canons antiaériens et des lances roquettes. Malgré le génocide, la Chine resta un soutient indéfectible,  jusqu’à la chute de Siad Barre.  

Enfin, vous vous en doutez peut-être, le principal allié de la Somalie dans les années 80 n’était nul autre que les Etats-Unis. 

Si le gouvernement de Jimmy Carter avait refusé d’intervenir pendant la guerre de l’Ogaden, la donne changea avec l’arrivé de Ronald Reagan à la maison blanche. Son secrétaire d’état Henry Kissinger le persuada de fournir des armes au régime de Barre. Washington souhaitait alors augmenter ses soutiens dans la région, suite la chute du Sah d’Iran en 1979.

À partir de 1981, les Etats-Unis fournirent donc à la Somalie, une aide militaire qui augmenta d’année en année, cumulant des centaines de millions de dollars.
Ils lui livrèrent des armes antichars, des canons antiaériens, des armes légères, ainsi que des radars longue portée et du matériel de communication. 
Les U.S.A formèrent aussi directement des militaires somaliens à travers leur programme d’« International Military Education and Training ».
La Somalie participa plusieurs années aux opérations Bright Star, qui était des exercices militaires coordonnés entre les États-Unis et plusieurs pays de la région comme l’Égypte, le Soudan ou l’Oman. 

En 1988, le gouvernement somalien était entièrement dépendant du soutien de Washington. 
Si le Congres états-uniens bloqua certaines aides pour protester contre les violations des droits humains, le soutient de la maison blanche continua tout le long du génocide. 

Les pays qui n’étaient pas alliés à la Somalie restèrent eux silencieux face aux atrocités commises. Du côté de l’O.N.U, il fallut attendre 2001 pour que les Nations Unies se penche sur le sujet.  Mais je vous en reparlerai un peu après. 

Si officiellement, la campagne d’extermination se termina en mars 1989, les massacres continuèrent de se perpétuer bien après. En août 1990 par exemple, des civils étaient encore exécuté.es dans la ville de Berbera. 

En réalité, on peut considérer que la répression ne s’arrêta qu’en 1991, avec la chute de Siad Barre.

Alors, que c’est-il passé en 91 ? Comment une dictature de plus de vingt a t’elle pu tomber ? 

Tout d’abord, il faut se rappeler qu’en même temps que le gouvernement était en guerre contre le SNM, il devait aussi lutter contre d’autres mouvements armés. En 1991, la guerre civile durait déjà depuis dix ans et chaque jour elle affaiblissait un peu plus le gouvernement et l’économie du pays. 

L’armée perdant de plus en plus de terrain face à la guérilla, elle multipliait les exactions contre les civils, peu importe leur clan. Des exactions qui  finirent par amener les pays occidentaux à couper leurs aides économiques au régime.

De plus, en 1991 la situation politique avait changé. Le mur de Berlin venait de tomber quelque mois plus tôt et la guerre froide était sur le point de se terminer. Les anciennes alliances n’avaient plus lieux d’être.
Les États-unis coupèrent donc leur aide à la Somalie et redirigèrent leur ressources au Moyen-orient, où la guerre du Golfe venait juste de commencer. 

Sans le soutient de ses alliés, le gouvernement de Siad Barre n’eut plus les moyens de ses ambitions. Le shilling somalien s’effondra et les soldats commencèrent a déserté l’armée en masse. 

Dans le nord du pays, le SNM reprit petit à petit du terrain, à partir de décembre 89. En quelque mois, il contrôla l’entièreté de la région.

Dans le sud, l’USC avait pris le contrôle de tous les villages autour de Mogadiscio. L’USC pour United Somali Congress était le nom d’un nouveau groupe armée formée en 89 et devenu l’un des plus important du pays. 
Encerclé par l’USC, Siad Barre ne contrôlait réellement plus que la capitale, ce qui lui valut le surnom de « Maire de Mogadiscio ». 

En décembre 90, l’USC lança l’assaut final et pénétra dans la capitale. 

Après quatre semaines de combats acharnés, notamment contre les terribles Bérets Rouges, les dernières forces gouvernementales tombèrent. 
Le 27 janvier, la dictature n’était plus.

Siad Barre et son beau-fils le général Morgan réussirent cependant à s’échapper du palais présidentiel, 15 minutes à peine avant qu’il ne tombe aux mains des rebelles. Les deux génocidaires s’enfuirent à bord d’un tank remplit des réserves de la banque centrale. Un montant estimé à 27 millions de dollars. 

Pour autant, la fin de la dictature ne signa pas la fin de la guerre civile. En effet, les autres groupes armées refusèrent de coopérer avec l’USC et la guerre pour le contrôle de la Somalie continua. 
Une guerre qui aujourd’hui, plus de 34 ans après continue encore et ne semble malheureusement pas prêt de se terminer. 

De son côté, le SNM profita de la vacance du pouvoir pour déclarer l’indépendance de la République du Somaliland. 

Ce nouvelle état reprit les frontières de l’ancien Somaliland britannique et fit d’Hargeisa sa capitale. 
Toutefois, le Somaliland ne fut jamais reconnu sur la scène international.  Une non reconnaissance qui l’exclue de fait des circuits financiers et l’oblige à rester dans une certaine misère. Aujourd’hui, environ 75 % de sa population est au chômage.

Du point de vue politique, le Somaliland est une démocratie présidentiel.  Plusieurs parties se partagent l’exercice du pouvoir. En novembre 2024, Abdirahman Mohamed Abdullahi fut élu sixième président de la république.

Voté en 2001, la constitution du Somaliland définit l’Islam comme religion d’état et interdit l’exercice de tout autre religion. Si la constitution déclare obéir aux lois de la charia islamique, elle affirme aussi que tous les citoyens et citoyennes du Somaliland sont égaux en droits et en obligations. De fait, toutes discriminations basées sur la couleur, le genre ou l’ethnie sont interdites.

En contraste avec les conflits qui ravagent le reste de la Somalie, le Somaliland est un pays qui n’a jamais connu la guerre. 

Si l’indépendance permit aux Issaq de vivre enfin en paix, on peut s‘interroger ce qu’il advint des responsables du génocide. 

Siad Barre lui fit plusieurs tentatives meurtrières pour reprendre le pouvoir, mais sans succès. Il s’exila au Nigeria, où il mourut d’une crise cardiaque en 1995. 

Le général Morgan de son côté vécu librement à Nairobi au Kenya, où il est mort le 28 mai dernier, à l’âge de 76 ans. 

Trois hauts gradés du gouvernement pendant le génocide trouvèrent aussi refuges aux Etats-unis : Mohamed Ali Samantar,  Yusuf Abdi Ali et Abdi Aden Magan.
À partir de 2012, différents procès furent intentés contre eux par des ressortissants et ressortissantes somaliens. Grâce à l’aide de la CJA, le centre pour la justice et la responsabilité, les trois anciens tortionnaires furent condamnés à des amendes de plusieurs millions de dollars.

Le Somaliland mit aussi sur pied dés les années 90 une commission d'enquête, afin de retrouver et d’excaver les fosses communes creusées pendant le génocide. La commission doit permettre d’offrir une sépulture décentes aux victimes, ainsi que de lancer des actions judiciaires contre les responsables.
Mais sans support international, la commission est largement sous doté et peine à mener ses missions. 

De plus, comme l’état du Somaliland n’est pas officiellement reconnu, il ne peut pas demander la tenue d’un tribunal international pour juger les crimes de guerre. 

Depuis 2012, l’équipe péruvienne d'anthropologie médico-légale intervient au Somaliland pour localiser les fosses communes. Une dizaine ont déjà été retrouvées. 

Un autre enjeu important est le déminage des sols. Le million de mines disséminées pendant le génocide causent une menace permanente pour les populations. 
C’est l’organisation Halo trust qui aide le Somaliland dans cette mission. En 2021, un million de mètres carrés de terrain avait réussis à être déminés.

Pour ce qui est de la reconnaissance du génocide, il faudra attendre 2001  pour que les Nations Unies dirige une enquête sur les violations des droits humains perpétrées en Somalie. L’enquête conclut qu’un génocide a bel et bien eut lieux contre les Issaq. 

Malgré ces conclusions, aujourd’hui aucun pays ne reconnait le génocide et le gouvernement états-uniens ne c’est jamais excusé pour son rôle dans ce dernier. 

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