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Billet de blog 31 mars 2025

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Points de détails, épisode 2 : l'Anfal, le génocide des Kurdes d'Irak (partie 1)

Ce texte est la transcription du deuxième épisode du podcast "Points de détails", qui revient sur les génocides "oubliés" de l'histoire. Cet épisode revient en détails sur le génocide des Kurdes sous la dictature de Saddam Hussein en Irak. Comme l'épisode, ce texte est en deux partie. Cette première partie est consacré à pourquoi et comment a pu se mettre en place le génocide.

Yun Bloo

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce second épisode de « Points de détails ».
Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à un pays dont tout le monde connait le nom, mais beaucoup moins l’histoire : l’Irak. 

Dans les années 80, le dictateur Irakien Saddam Hussein ordonna un génocide contre les Kurdes de son pays. Ce génocide est aujourd’hui surnommé l’Anfal, du nom de l’opération militaire qui le déclencha.


L’opération Anfal fit près de 182 000 morts et réduisit en cendres 90% des villages Kurdes du nord de l’Irak. 
Elle fut supervisée directement par le cousin de Saddam Hussein, Ali Hassan al-Majid,  surnommé de ce fait « Ali le chimique ». 

Si l’Anfal se déroula entre février et septembre 1988, on ne peut se contenter de s’intéresser à ces quelques mois pour comprendre le génocide.
Comme l’a montré la journaliste Beatrice Dillies, le génocide des Kurdes en Irak a commencé en réalité bien avant et s’est étalé sur presque vingt ans. 


Cet épisode se base d’ailleurs en grande partie sur son travail relaté dans son livre « Génocide oublié : la voix brisé du peuple Kurde », dont vous pouvez retrouver la référence sur le site du podcast. 

L’histoire du génocide Kurde étant assez longue et complexe, j’ai préféré séparer cet épisode en deux parties distinctes. Cette première partie sera centré sur "pourquoi et comment" a pu se mettre en place le génocide.

Pour pouvoir mieux appréhender ces événements, je dois d’abord vous parler des Kurdes.

Aujourd’hui, les Kurdes représentent une population d’environ 48 millions de personnes dans le monde qui habitent principalement sur le territoire du Kurdistan. 
Le Kurdistan n’est pas un pays, mais une région historique située  à cheval entre quatre pays actuels : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie.


Une carte du Kurdistan  insérée sur le site permettra de mieux comprendre ces aspects géographiques.

Malgré une présence millénaire dans cette région, les Kurdes n’ont jamais réussi à avoir de pays à elleux. Pour comprendre pourquoi, il faut se référer aux événements  intervenus à la fin de la Première guerre mondiale. 

Jusqu’en 1918, le Kurdistan faisait partie de l’Empire ottoman, vaincu lors de ce conflit mondial car allié de la triple!alliance. De ce fait, son immense territoire est alors démantelé et réparti entre les vainqueurs.  

Le traité de Sèvres accorda à la France le contrôle du Liban et de la Syrie, tandis que l’Angleterre  obtint de son côté la Transjordanie, la Palestine et l’Irak. 
Le traité de Sèvres prévoyait surtout pour la première fois la mise en place d’un territoire autonome pour les Kurdes, hypothèse radicalement refusée par la Turquie.
En effet, la Turquie, ancien centre de l’empire Ottoman  refusa de se contenter de cette portion congrue de territoires et décida de reprendre la guerre contre les puissances alliés. 
Une guerre d’indépendance, qui se terminera trois ans plus tard avec la conquête de nouveaux territoires par les Turcs et la signature d’un autre traité : le traité de Lausanne. 

Si les deux sont souvent confondus, ils sont pourtant bien différents sur nombre d'aspects. Si le traité de Sèvres envisageait la création d'un territoire autonome pour les Kurdes, ce n’est plus du tout le cas avec le traité de Lausanne. 

Celui-ci enterre définitivement l’idée d’un pays pour les Kurdes et éclate les frontières de ce dernier. 

C’est à cause du traité de Lausanne que le Kurdistan n’a finalement jamais été crée et depuis les Kurdes mènent une lutte sans fin pour conquérir  leur indépendance. 

Petit point sémantique pour la suite de l’épisode. Si jusqu’à présent, je vous ai parlé des Kurdes et du Kurdistan en général, désormais je vais me concentrer sur ce qu’il s’est passé en Irak. 
Quand j'évoquerai les Kurdes et le Kurdistan, il s’agira uniquement de la partie Irakienne.


Pour comprendre ce génocide Kurde il importe d'évoquer les quatre grands facteurs générateurs de ce dernier.

Le premier est lié au traité de Lausanne et à la lutte des Kurdes pour leur indépendance. Si les Kurdes ne furent pas conviés au traité de Sèvres ou au traité de Lausanne, iels résistèrent farouchement .
Déjà sous l’empire Ottoman, les Kurdes avaient mené de nombreuses révoltes pour tenter d’obtenir leur indépendance. 
Des révoltes qu’iels continuèrent contre l’empire Britannique, quand celui-ci prit le contrôle de l’Irak. 
Et enfin, évidement  contre le gouvernement Irakien quand ce dernier s'émancipa de la tutelle Britannique. 

Les Kurdes ne cessèrent jamais de se rebeller au travers de révoltes tous les dix ans  à partir de la fin de la Première guerre mondiale., révoltes toutes réprimées dans le sang. 

A l'orée des années 60, le conflit entre les Kurdes et l’état Irakien change d’ampleur. La rébellion grandit et les révoltes deviennent de véritables guerres qui vont durer une quinzaine d'années avant la signature d'un cessez le feu en 1975.   
Ces guerres firent des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.

Ces guerres furent menées par des combattants et des combattantes, que l’on désigne sous un nom que vous avez peut-être déjà entendu : les Peshmergas. Le terme Peshmerga signifie  en Kurde : « ceux qui vont au-devant de la mort ». 

Les Peshmergas sont divisés en deux grands partis politiques : le PDK, pour le Parti démocratique du Kurdistan et l’UPK, pour l’Union patriotique du Kurdistan.

Les relations entre ces deux partis sont trop complexes pour que je puisse les développer ici, mais il est important de préciser qu’ils furent autant la cible l’un que l’autre du gouvernement Irakien.

Le second grand facteur du génocide a un nom: Saddam Hussein.

Ce dernier étant le commanditaire de l’Anfal, je me dois de vous relater les circonstances de son arrivée au pouvoir.
Si vous vous souvenez, j'ai évoqué le traité de Sèvres et la mise sous tutelle Britannique. Cette dernière prit fin en 1932 année ou l’Irak devint une monarchie officiellement indépendante. Mais en réalité, le royaume Irakien resta sous l’influence des Britanniques jusqu’en 1958, où elle prit fin avec la révolution Irakienne du 14 Juillet.

Et oui ! Le 14 Juillet n’est pas synonyme de révolution qu’en France ! En Irak aussi le 14 Juillet est la date où la monarchie à été renversée. Et c’est aussi le jour de leur fête nationale.  
Contrairement à la France cependant, la monarchie n’a pas pris fin par un soulèvement populaire, mais par un coup d’état militaire mené par le général Kassem.

Kassem était proche du parti communiste Irakien, alors l’un des plus grands partis communiste au monde. Il proclama la république d’Irak et mit en place des politiques progressives ambitieuses. Il instaura une aide aux plus démunis, fit passer une réforme agraire, ainsi que des réformes pour améliorer l’égalité femmes-hommes. 
Et surtout, Kassem entreprit une reconnaissance des Kurdes et l’instauration d’une autonomie pour leur région.  

Malheureusement, dans la mesure ou la guerre entre les Kurdes et Bagdad dura jusqu’en 1975, vous devez vous doutez que les choses ont mal tournées.

Effectivement comme souvent, ce gouvernement progressiste ne plut pas à tout le monde et à peine cinq ans plus tard, Kassem fut renversé et exécuté par le parti Baas.

Le parti Baas est un parti qui à l’origine se revendiquait du socialisme et du panarabisme, mais qui dériva largement de cette idéologie au cours de son histoire. Le parti Baas est présent aussi en Syrie, où il prit aussi le pouvoir par un coup d’état un mois seulement après celui de l'Irak.
Dés son arrivé à la tête de l’état Irakien, le parti Baas entreprit une politique d’arabisation du pays et reprit la guerre contre les Kurdes et c'est avec ce parti que Saddam Hussein arrive sur le devant de la scène politique. 
Saddam Hussein qui prendra la tête du pays quelques années plus tard, grâce à un autre coup d’état en 1968 régnera sur l’Irak en dictateur jusqu’en 2003, menant une politique de répression impitoyable envers toutes les minorités ethniques du pays.

À ce stade, vous vous posez peut-être la même question que moi : pourquoi Saddam Hussein refusait l’indépendance des Kurdes ? 
Pourquoi préférer faire la guerre pendant des années et commettre un génocide, plutôt que laisser les Kurdes devenir indépendants ? 

Si la réponse est forcément plus compliquée que le résumé que je vais en faire, deux raisons majeurs poussèrent Bagdad à vouloir continuer de contrôler le Kurdistan. 

La première réside dans la peur d’un éclatement du pays. En plus des Kurdes, l'Irak est divisé entre les musulmans sunnites et chiites. Pour Saddam Hussein, l’indépendance des Kurdes constituait une menace susceptible de créer un précédent et conduire au démantèlement du pays.

La deuxième raison qui est aussi le troisième facteur majeur du génocide Kurde est bien évidemment une des ressources majeures de ce pays, le pétrole..
 Les ressources de l’Irak sont immenses et font du pays le 5 ème producteur mondial de pétrole. Le pétrole est indissociable de l’économie Irakienne et en 2024, il représentait encore 96 % des revenus de l’État. 

Les premiers gisements de pétrole en Irak furent découverts en 1908. Ces gisements expliquent pour une grande part la convoitise de l’Angleterre qui a voulu prendre le contrôle de la région.  
Le gouvernement Irakien refuse l’indépendance des Kurdes car l’un des plus gros gisements de pétrole du pays se trouve proche de la ville de Kirkouk…. au Kurdistan. 

Si Saddam Hussein est prêt à tout pour pouvoir continuer à contrôler le Kurdistan, c’est donc tout simplement parce que celui-ci possède une grosse partie des réserves de pétrole indispensable à l’économie Irakienne.

Enfin le quatrième et dernier facteur de ce génocide s'appelle L’Iran, pays avec lequel l’Irak a la plus grande frontière commune. source de conflits pendant de nombreuses années.
L’Iran a toujours été en compétition avec son voisin pour avoir le plus d’influence dans la région et cette compétition remonte au temps des empires Ottoman et Perse. 

C’est cette compétition d’influence qui poussa l’Iran à aider les Kurdes Irakiens dans leur combats. Elle leur fournit un soutient matériel et financier et sert aussi de base arrière lors des différents conflits.
Il ne faut cependant pas se leurrer car le soutien de l’Iran concourrait à l'affaiblissement global de l'Irak. Car si d’un côté, elle soutenait le séparatisme des Kurdes Irakiens, de l’autre, elle réprimait sans états d'âme le séparatisme des Kurdes Iraniens.

Le soutient de l’Iran sera énormément instrumentalisé par Bagdad. Saddam Hussein accusera tous ses ennemis d’être à la solde de l’Iran, afin de justifier des répressions sanglantes.  
L’animosité entre l’Iran et l’Irak est primordial pour comprendre l’Anfal,  car celui-ci aura lieu pendant la guerre que se mèneront les deux pays entre 1980 et 1988. 

Nous avons ainsi  évoqué les quatre facteurs principaux pour comprendre le génocide  le combat pour l’indépendance des Kurdes, la dictature meurtrière de Saddam Hussein, l’enjeu du pétrole et la rivalité avec le voisin Iranien.

Comme je vous le disais au début de l’épisode, la journaliste Beatrice Dillies considère que le génocide Kurde ne se limite pas à l’année 1988. Selon elle il se serait étalé sur une vingtaine d’années. 
Ce sont donc ces vingt dernières années que je vais évoquer à partir de 1968.
Si en réalité, tous les gouvernements Irakiens ont combattu les Kurdes, l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1968 marque un tournant dans la répression. 
Saddam Hussein ne se contenta plus d’étouffer les révoltes mais mit en place un véritable nettoyage ethnique contre les Kurdes. 

Pour lui, toute personne qui n’était pas arabe et sunnite n’étais pas Irakienne et constituait un ennemi de la nation. Bien que cette politique d’ « arabisation » toucha principalement les Kurdes, d’autres minorités en furent victimes aussi comme les Turkmènes ou les Yezidis. 
Les premiers massacres commencèrent dés 1969 et deux d’entre eux ont particulièrement marqués les esprits.

Le premier est celui de la cave de Dakan. Lors d’un raid de l’armée contre un village Kurde, des villageoises se réfugièrent dans une cave à proximité. Malheureusement, les militaires trouvèrent leur cachette et décidèrent de mettre le feu à la cave. Une centaine de personnes périrent dans l’incendie. Principalement des femmes et des enfants. 

Le deuxième est celui du village de Sorya. Tous les habitantes et habitants de ce petit village d’une quarantaine de personnes furent exécutées par l’armée Irakienne. 

Mais la répression de Saddam Hussein ne se limita pas à des massacres isolés. Il mena deux campagnes d’extermination de grande échelle : la première contre les Kurdes Feyli et la deuxième contre les habitantes et habitants de Barzan. 

Contrairement à une majorité de Kurdes qui sont de confession sunnite, les Kurdes Feyli sont elleux chiites, comme le régime Iranien.
Saddam Hussein utilisa ce prétexte pour affirmer que les Feyli  étaient des agents travaillant pour l’Iran et donc des ennemis de la Nation. En conséquence, iels furent déchus de leur nationalité et se virent confisquer tous leurs biens. Iels furent ensuite déplacées de force en Iran. 
Environ 500 000 Kurdes Feyli furent ainsi déportés, 15 000 « disparurent » et 25 000 furent exécutés.

L’autre grande campagne de destruction fut dirigée contre la région de Barzan dans le nord du pays.

En 1975, le gouvernement décida de déporter les Kurdes de Barzan vers le sud du pays. Plus de 600 villages furent brûlés pour obliger les gens à se déplacer et interdisant de ce fait tout retour possible.
Entre 200 000 et 300 000 Kurdes de Barzan furent déportés dans des régions désertiques, où iels furent parqués dans des tentes, sous surveillance militaire. De nombreuses personnes y périrent, du fait des conditions de vie déplorables. 

Quelques années plus tard en 1983, la répression reprit contre Barzan. L’armée rafla 8 000 hommes âgés entre 10 et 85 ans et les enterra vivants dans le désert.
Le massacre des 8 000 de Barzan est considéré par beaucoup comme le prélude de l’opération Anfal qui commencera à peine 5 ans plus tard.



Voilà, c’est la fin de cette première partie sur le  comment et le pourquoi du génocide Kurde. 
La deuxième partie sera consacrée au déroulement de l’opération Anfal et à la chute de Saddam Hussein. 

Merci d’avoir écouté cet épisode, n’hésitez pas à vous abonner et à le partager s’il vous a plu. 

Vous pouvez écouter le podcast ici : https://spectremedia.org/points-de-details/
Et retrouvez les sources pour aller plus loin ici : https://pointsdetails.noblogs.org/episode-2-lanfal/

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