yveline riottot

Historienne, Maître de conférences retraitée

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 mai 2025

yveline riottot

Historienne, Maître de conférences retraitée

Abonné·e de Mediapart

Le conflit indo-pakistanais, une nouvelle guerre pour l’eau 2

guerre pour l'Indus (suite)

yveline riottot

Historienne, Maître de conférences retraitée

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce traité n’empêche pas les deux pays de se déclarer une nouvelle guerre pour la possession du Cachemire en 1965. Et pourtant, en 1949, une ligne de cessez-le-feu avait été créée (appelée ligne de contrôle), qui sépare le Cachemire en deux : au Nord, la partie pakistanaise (l’Azad-Cachemire) et au Sud, le Jammu-et-Cachemire indien. Après plusieurs milliers de morts, les deux pays revinrent au statu quo. Les frontières restèrent inchangées.

La troisième guerre indo-pakistanaise, qui eut lieu en décembre 1971, aboutit à l'indépendance du Pakistan oriental sous le nom de Bangladesh. L'une des conséquences de cette guerre, outre la création d'un État dont la population est l'une des dix premières du monde avec environ 165 millions d’habitants, est un sévère affaiblissement du Pakistan.

Une quatrième guerre va opposer l’Inde et le Pakistan pour la possession du Cachemire en 1999. Le conflit de Kargil — aussi appelé la guerre des glaciers — est déclenché après l'infiltration de centaines de soldats pakistanais et de combattants islamistes sur la partie indienne de la ligne de contrôle. Cette guerre se soldera par une victoire stratégique indienne et une reprise des territoires occupés. Aujourd’hui, le Pakistan revendique toujours la totalité de ce territoire et demande une consultation de la population. L’Inde, quant à elle, considère que le rattachement du Jammu-et-Cachemire à son pays est légitime puisqu’il a été décidé par le maharajah lui-même.

Et la Chine dans tout ça ? Bien sûr elle n’est pas restée spectatrice. En 1962, afin de dominer toute la chaine himalayenne, la Chine s’est emparée de l’Aksai Chin (partie orientale du Cachemire, montagneuse et inhabitée). L’Aksai Chin relie les provinces chinoises du Tibet et du Xinjiang par une route hautement stratégique pour Pékin, qui souhaite contrôler ces deux régions autonomes et sensibles. Autre raison de l’investissement de la Chine dans ce conflit, c’est sa rivalité avec l’Inde, puissance émergente. Pékin soutient le Pakistan dans sa revendication du Cachemire, pour laisser l’Inde embourbée dans son environnement régional. La montée en puissance indienne (premier importateur mondial d’armes avec l’Arabie Saoudite) inquiète le rival chinois.

Néanmoins, le traité de l’Indus a pu résisté malgré les guerres que se sont livrées les 2 pays, qui n’ont jamais rompu les réunions techniques bilatérales. Mais la tension est remontée en 2002, lorsque l’Inde a entrepris de construire un barrage associé à une centrale électrique de 900 MW sur le Chenab, affluent de l’Indus en théorie accordé au Pakistan. En 2005, le Pakistan a demandé à la Banque mondiale, garante du Traité, de désigner un expert pour empêcher la réalisation par l’Inde du barrage de Baglihar sur la rivière Chenab dans le Cachemire indien. L’arbitrage a autorisé en 2007 la poursuite de la construction du barrage qui a été terminé en 2008 et a coûté 1,9 milliards de dollars. Ce barrage de 145 m de hauteur pouvait s’inscrire dans une lecture extensive du Traité, mais le Pakistan voulait surtout éviter un précédent, car le projet indien comporte au total onze barrages. Car la concomitance de projets indiens de grande envergure (dans le Cachemire « indien ») et de pénuries au Pakistan, même si elle est sans lien pour l’instant, est crisogène.

En 2010, le Pakistan a saisi la Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye pour empêcher cette fois le complexe hydro-électrique de Kishanganga (ou rivière Neelum) qui représente un risque potentiel d’insuffisante hydrique pour le Pakistan. L’arbitrage de La Haye en a permis la construction à condition de laisser véhiculer un débit de 9 m/s vers le Pakistan.

En mai 2012, lors d’une réunion du comité spécial du Parlement pakistanais sur la question du Cachemire, le président pakistanais, leader d’un parti islamiste accuse l’Inde de « terrorisme de l’eau ». Des propos repris par le cerveau présumé de l’attentat de 2008 à Bombay, qui n’hésite pas à menacer directement l’Inde d’attaques sur ces installations hydroélectriques.

Et quand Islam Abad qui dépend à 64% de l’Indus accuse l’Inde d’abuser de sa position et de lui mettre la pression, New Delhi répond que le traité l’autorise à exploiter davantage qu’il ne le fait maintenant. En fait l’Inde défend l’amélioration du Traité de l’Indus, arguant que l’emploi des nouvelles technologies non existantes en 1960 permet de passer outre l’interdiction formelle de construire des retenues d’eau indiennes sur les affluents de l’Indus confiés au Pakistan, tout en respectant l’esprit du Traité.

Et l’Inde multiplie les investissements en infrastructures. Plus de 50 barrages ont été construits dans le cachemire indien sur les cours d’eau dont l’aménagement est confié au Pakistan par le traité de l’Indus. L’Inde justifie ces infrastructures par le fait que leurs bénéfices vont à des populations locales majoritairement musulmanes, et que le Traité permet l’édification de barrages dans le but d’alimenter en eau et en électricité les riverains de ces affluents, dont la gestion est confiée au Pakistan. À l’inverse, le Pakistan n’a construit aucun barrage significatif dans la partie du Cachemire qu’il administre. Mais ces barrages alimentent les pires accusations au Pakistan, notamment de certains groupes djihadistes lançant des menaces terroristes sur le thème : "l'eau ou le sang". La ressource en eau se raréfie dans les deux pays : la moyenne disponible par habitant a chuté à 1 700 m3 en Inde et à 1 000 m3 au Pakistan.

En septembre 2016, une attaque terroriste de la base militaire indienne d’Uri dans le Cachemire indien a provoqué la mort de 18 soldats. En réponse, le Premier ministre indien M. Modi a cherché à venger l’attaque en remettant en cause le traité de l’Indus, une mesure qui semblait s’imposer comme l’une des alternatives à une réponse armée. Mais les conséquences pour le Pakistan pourraient être dramatiques. Environ 65 % de la superficie du pays, dont la totalité de la province du Pendjab, se trouvent dans le bassin de l’Indus. Le Pakistan est le pays qui possède le plus vaste système d’irrigation au monde, un système alimenté à 90 % par les eaux de l’Indus. En conséquence, 90% de l’agriculture pakistanaise dépend du bassin de l’Indus. Si l’eau venait à manquer, non seulement la population risquerait la famine mais la principale source d’emplois actuelle disparaîtrait. Le pays est déjà en proie à une crise économique et un tiers des Pakistanais vit déjà dans une situation d’extrême pauvreté.

Fin septembre 2016, et sur fond de mise en garde du premier ministre indien « Le sang et l'eau ne peuvent couler ensemble », l’Inde a donc décidé de suspendre les discussions bilatérales avec le Pakistan via la Commission permanente sur le partage de l’Indus, qui officie depuis la signature du traité, quant à la gestion des ressources du fleuve. Donc à défaut de déclarer la guerre au Pakistan, l’Inde a trouvé un nouveau moyen de faire pression sur son voisin : fermer le robinet du fleuve Indus. Une menace qualifiée d’acte de guerre par le Pakistan.

En 2019, Narendra Modī, réélu après des frappes contre le Pakistan en réponse à une attaque contre l’armée indienne, supprime l’article 370 qui garantissait un Parlement et des droits spécifiques aux Cachemiris. L’État du Cachemire devient un territoire de l’Union, sous administration directe de New Delhi.

Un cessez-le-feu sur la ligne de contrôle, conclu en février 2021, avait cependant amené un peu d’espoir.

Mais la semaine dernière, l’Inde a de nouveau menacer de fermer le robinet de l’Indus.

Est-ce vraiment possible ? Comme le souligne l’Institut d’études et d’analyses de Delhi, spécialisé dans la défense, “l’Inde ne peut pas arrêter d’un coup le débit de l’Indus, sauf à inonder les villes qui se trouvent sur son territoire”, comme Srinagar, la capitale du Cachemire. L’Inde, en effet, ne dispose pas de retenues suffisantes pour stocker de grandes quantités d’eau. En revanche, précise le même Institut, “le traité de 1960 autorise l’Inde à exploiter davantage qu’elle ne le fait les eaux du fleuve. Ce serait suffisant pour faire peur au Pakistan et un signal fort, sans aller jusqu’à une solution extrême.Et de fait, M. Modi a affirmé accroître son utilisation des fleuves dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire. Car plus sérieusement, l’Inde –qui doit produire de plus en plus d’électricité propre– veut construire de nouvelles centrales hydroélectriques sur les trois fleuves dédiés à son ennemi préféré. Dans les seules régions du Jammu et du Kashmir, New Delhi prévoit la construction de 13 petits barrages (dont 5 sur la seule Jhelum).

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.