YVES CAMPAGNA

réalisateur de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

7 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 avril 2015

YVES CAMPAGNA

réalisateur de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

IVG, 40 ans après. Entretien avec le réalisateur

YVES CAMPAGNA

réalisateur de films documentaires

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

IVG, 40 ANS APRÈS

D'Yves Campagna et Jean-François Raynaud

A deux jours de la fin de la souscription, Jean-François Raynaud revient sur le parcours de la réalisation du film documentaire "IVG, 40 ans aprés"dont voici un extrait :  

"Comment a commencé l’histoire du documentaire « IVG, 40 ans après » ?

 Ça a commencé parce qu’une amie réalisatrice, voulait faire un webdoc autour de la prévention des risques liés à une sexualité naissante chez les ados. On a réfléchi à ça ensemble. Elle nous a raconté que sa fille de 17 ans avait eu recours à une IVG, elle ne l’avait appris qu’après coup. Ce qui l’avait interpellé c’est le fait qu’ils étaient une famille de dialogue, elle avait beaucoup parlé de ces questions avec sa fille et elle a été étonnée d’apprendre que celle ci avait eu recours à une IVG. On n’est pas allé au bout du webdoc, mais on lui a demandé avec Yves, si on pouvait continuer et faire le documentaire malgré tout. Voilà, c’est parti de là : d’une histoire qu’on nous a raconté. C’est un peu comme chacun de nos films, ils débarquent toujours comme ça au final : des contacts, des histoires, des gens

Au début vous étiez dans quel état d’esprit vis à vis de ce film et de son sujet ?

On est partis de manière très archaïque, voire un poil réactionnaire, on se disait : «  Mais purée comment ça se fait que, aujourd’hui, en 2013, avec tous les moyens qui existent, cette jeune nana se retrouve enceinte? ». La deuxième question  ça a été : «  Il y a un nombre d’IVG qui ne réduit pas, comment ça se fait ? ». Et puis en creusant la question, en identifiant des interlocuteurs, en lisant leur publications (Sophie Gaudu, Nathalie Bajos, Emanuelle Piet etc….) mais aussi en se confrontant à la position qu’avait déjà Claire (assistante de production) à l’époque, on a bien été obligé de changer notre façon de voir, de comprendre, d’admettre que l’IVG ferait toujours partie de la vie des femmes.

En quoi, selon vous, la question de l’IVG vous concernait ?

Autant pour Yves que pour moi, dans notre vie amoureuse, certaines de nos partenaires ont eu recours à l’IVG. Et puis on est d’une génération où l’avènement de la pilule est quand même un événement marquant en matière de libération des mœurs, de la sexualité des femmes. La pilule c’était une victoire, on faisait tomber des barrières, un « contrôle social » même si le regard social a continué à exister. Aujourd’hui on se rend compte que plein de jeunes femmes ont un avis mitigé sur la pilule pour des raisons qu’on peut entendre.

 Votre travail s’est donc organisé, ensuite, autour de rencontres ?

 C’est notre façon de travailler, tous nos films sont nourris par les rencontres et ils se construisent beaucoup dans la relation qu’on arrive à créer. On veut toujours avoir une relation inter personnelle avec les gens. On a identifié des personnes avec qui travailler. L’autre partie du dispositif a été l’appel à témoin qu’on a lancé, auquel pas mal ont répondu. On voulait avoir le point de vue des femmes.

 Quelles ont été les rencontres marquantes ?

 A peu près toutes. On s’est intéressé à des professionnels qui avaient quelque chose à dire et dont le propos s’appuyait sur une pratique. Et la rencontre s’est faite à chaque fois, et à chaque fois il s’est passé un truc, on nous a trouvé légitimes dans nos questionnements et la relation s’est construite là dessus. Même si à certains moments, au téléphone, il y a pu y avoir de la méfiance, pour vérifier la teneur du projet, où on allait, quel type de discours on allait développer et si ils voulaient s’inscrire là dedans.

 Ça a été une des choses compliquées avec ce documentaire : le fait que le sujet puisse faire polémique ? 

Autour de l’IVG, il y a un débat dans lequel on n’est pas allé : est-on pour ou contre l’IVG ? Nous on est pour car on considère que les arguments de celles et ceux qui sont contre sont des arguments rétrogrades, réactionnaires.

Le deuxième niveau de débat c’est que, certains, favorables à l’IVG, considèrent quand même que ça doit rester une pratique d’exception. Il y a deux positions sur cette question : certains pensent qu’il y a un risque de traumatisme psychologique suite à une IVG. D’autres se positionnent en disant « Toutes les études montrent que ce qui peut être traumatisant ce n’est pas le fait de recourir à l’IVG, mais les conditions, les circonstances dans lesquelles une femme a recours à une IVG. » Je suis d’accord avec cette position. Il y a des femmes qui ont recours à une IVG et qui le vivent très très bien, il  y a aussi des femmes qui peuvent le vivre difficilement. Soit parce que le contexte est complexe - elles sont dans une période difficile de leur vie - soit parce qu’elles ont été mal accompagnées. Les femmes témoignent qu’elles ont encore affaire à des médecins qui se comportent d’une manière culpabilisante, en stigmatisant, l’air de dire «  Tu devrais réfléchir à ta conduite, si t’es là c’est que tu l’as cherché » ou «  vous vous rendez bien compte de ce que vous faites ? » Donc ça, ce sont des terrains de débat que le film aborde.

 Après ces rencontres, votre point de vue avait donc évolué ?

On pourrait dire que le film a permis le glissement de : « Comment ça se fait qu’autant de femmes mineures ont recours à l’IVG ? » puis «  Comment ça se fait qu’il y a toujours autant de femmes qui ont recours à l’IVG ? » et enfin « Mais finalement qu’est ce que c’est que d’avoir recours à l’IVG ? ». Et surtout : comment cette question interroge ou met en exergue le regard que la société porte sur les femmes autour des questions  de fécondité, maternité, IVG, sexualité ? Et c’est là que pour nous les intervenants ont été importants parce qu’ils mettent en perspective cette question de l’IVG sur le plan sociétal. Marie-Laure Brival, directrice de la maternité des Lila, maternité de militance, en parle très bien dans le documentaire : comment les femmes sont programmées, dès la naissance, dans l’imaginaire collectif, pour assurer la survie de l’espèce ?

 En revenant sur la méfiance, le fait que vous soyez des hommes qui parlent de problèmes de « femmes » a-t-il été compliqué ?

 Ce n’est pas un film de femmes, c’est un film à propos des femmes. Nous on est content de ça. On s’est retrouvé, en tant que mec, face à des femmes avec qui on discutait de si elles pouvaient vivre librement leur sexualité ? Nous on ne s’exprime pas sur ça dans le film car justement on voulait ouvrir le champ et l’espace aux femmes pour qu’elles disent ce qu’elles ont à dire. À aucun moment on ne s’est posé la question de si on était légitime à  faire ce film. Après, à moi de faire en sorte que mes interlocutrices me considèrent et qu’elles acceptent de converser avec moi. À moi d’avoir une éthique suffisante pour que les propos que j’ai dans le film soient en adéquation avec les idées que j’en ai et avec ce que m’ont donné ces femmes. De la même façon d’autres – femmes et hommes – font et feront des films sur ces questions là.

Aujourd’hui, pourquoi est-ce important que ce film existe ?

 Malgré tout, un film ancre les choses. Ce film là, il existe. Les choses qui sont dites dans le film ne seront pas perdues même si elles n’ont pas été dites que là évidemment. C’est important car on est dans une période où il y a des forces réactionnaires qui agissent et qui visent à faire marche arrière sur tout un tas de libertés. On sait que les femmes sont un des points de fragilité dans notre société actuelle, le fait d’être une femme c’est moins simple  - ça l’a toujours été mais ça l’est encore – que d’être un homme. Tout est sous jacent. Sophie Gaudu nous le dit dans le documentaire. Il y a des phénomènes de stigmatisation, de pression sociale. C’était important pour nous de rappeler ces choses là, qu’elles soient dites quelque part. 

Là où le film est intéressant aussi c’est qu’il ouvre le champs à quatre idées au delà de l’engagement des femmes qui ont accepté de témoigner :

-       Non les femmes de sont pas folles, et quand elles ont recours à l’IVG, c’est une décision.

-       Ont met les femmes sous contraintes car l’IVG c’est un parcours d’épreuves, il y a toujours un regard, des questions etc…

-       Plutôt que de fixer un délai limite, accompagnons toutes les femmes qui ont besoin d’une IVG peu importe la durée de grossesse

-       Finalement est ce qu’il y a vraiment besoin d’avoir une loi, est ce que ça ne devrait pas être rangé dans les actes médicaux, comme n’importe quel acte médical ? Le fait que ce soit dans la loi, ça fait de ce droit quelque chose de non contestable mais on sait que ça peut bouger aussi. Là, le délai de réflexion de 7 jours vient d’être supprimé, c’est bien, mais ça prouve aussi que rien n’est gravé dans le marbre et que selon comment la configuration politique évolue, cette loi peut être démontée."

Pour suivre les productions des deux réalisateurs, rendez vous sur le site des Films du Zèbre ou sur leur page Facebook.

Pour suivre la souscription, rendez vous à cette page.  

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.