Yves Charpak
Abonné·e de Mediapart

11 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 sept. 2014

Yves Charpak
Abonné·e de Mediapart

Dons de sang, de cellules, d’organes : innover au delà de la « générosité » pour garantir la disponibilité des traitements

Yves Charpak
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’actualité du virus Ebola interpelle : le sang de ceux qui ont été malades et qui ont guéri pourrait être bénéfique pour ceux qui sont infectés. Personne ne peut les obliger à donner bien sur. Si aujourd’hui ils le font probablement volontiers, rien n’est réellement imaginable en cas de refus possible « de solidarité ». Y aura-t-il assez de donneurs volontaires parmi les malades guéris ?

Pour les organes, la pénurie chronique d’organes (il y a plus de demandeurs que d’organes disponibles… et donc des gens qui meurent de ne pas être greffés) a conduit les pouvoirs publics, en France par exemple, à des mesures réglementaires intermédiaires : nous sommes tous donneurs d’emblée et si nous le refusons il faut le faire savoir de son vivant. Il est vrai qu’en pratique, si les familles s’opposent, jamais une équipe médicale ne passera outre à un refus de prélèvement d’organe même si la personne décédée n’a pas fait opposition de son vivant. Mais cette règle de « tous donneurs » est un premier pas vers une forme d’obligation citoyenne, pour tenter d’atteindre un objectif « de service public » qui considère que tout besoin validé d’organes devrait être honoré pour tous,  et pas seulement pour quelques heureux élus.

Pour le sang et les cellules, le système de santé est basé sur un paradoxe formidable : le besoin est constant, chiffrable annuellement à quelques pourcents près… Le recueil de cette « matière première » est anonyme et non rémunérée, basée uniquement sur la générosité de quelques uns,  alors même que tous les citoyens auront probablement un jour besoin d'un "morceau du corps" de quelqu'un d'autre. Ainsi c’est un service public avec objectif annuel quantifié sur la base d’une activité charitable et volontaire. On imagine ce que donnerait la collecte de l’impôt si l’on appliquait les mêmes principes.

Pourquoi pas, tant que ça marche ? Mais il y a des menaces à l’horizon : la population vieillit et les plus âgés, qui sont les plus gros consommateurs, n’ont ni le droit ni la santé pour donner ; les occasions de recevoir des produits sanguin augmentent, même pour ceux qui sont en âge de donner, mais ceux qui ont reçu un produit sanguin n’ont plus le droit de donner, par sécurité ; les contre-indications au don augmentent, liées à des modes de vie à risque, des voyages à l’étranger, des maladies infectieuses émergentes ; la diversité croissante des populations entraîne des besoins de sous groupes de produits de plus en plus spécifiques à des « minorités ethniques » (au delà des caractères sanguins connus de tous, AB, O, il y a plusieurs dizaines d’autres caractéristiques à prendre en compte), et ainsi même s’il y a assez de sang il n’est pas toujours adapté aux besoins ; et enfin, l’industrialisation croissante de la fabrication entraine une requalification des produits sanguins en médicament… et une fin de monopole public national car le médicament est un objet de commerce international. 

Or si en France les dons sont tous volontaire et non rémunérés, ça n’est pas le cas dans le monde entier : la collecte de sang n’est pas toujours désintéressée et une part importante des dons, en particulier pour le plasma, est rémunérée. En Europe déjà, l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque ont des activités de collectes de dons payés significatives. Aux USA les dons de plasma sont majoritairement rémunérés. Du coup, une partie des produits dérivés du sang vendus sur le marché français même sont déjà issus de donneurs rémunérés dans d’autres parties du monde.

 Ce qui soulève la question de la pérennité de notre modèle actuel « charitable ». Si l’Union Européenne détient le mandat « régalien » de superviser la sécurité des produits sanguins en Europe, elle se contente d’encourager le don volontaire et non rémunéré sans l’imposer. L’OMS aussi, mais elle reconnaît en même temps qu’on meurt beaucoup dans le monde de l’absence de produits, « justifiant » ainsi les solutions imparfaites de collectes payantes ou de « dons compensés » : un patient dans un pays pauvre peut avoir à  trouver des donneurs avant d’être transfusé. 

Pourrions-nous anticiper les difficultés inévitables à venir en matière de recrutement de donneurs, et ce malgré l’intensification à grands frais des activités de communication, en transformant la générosité actuelle en une forme « d’obligation » ? : sans contraindre à donner bien sur, on pourrait instituer, comme pour les organes, un statut de donneur a priori. Ainsi tout citoyen ne le refusant pas explicitement  pourrait être systématiquement sollicité. Et toutes les institutions et acteurs publics devraient réglementairement rappeler à l’ordre les citoyens et apporter un soutient actif aux collectes : préfets, collectivités territoriales, administration fiscale, écoles, universités, hôpitaux, médias, etc. : A quand un avis d’imposition ou un remboursement d’ordonnance avec un rappel d’une « obligation solidaire de donner » ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte