Un arrêt récent du Conseil d’Etat, passé inaperçu de tous sauf dans le milieu de la transfusion sanguine, annonce des perturbations dans ce secteur :
Après la crise du sang contaminé, survenue à une époque où la transfusion sanguine était réalisée en France par plus de 100 opérateurs de statuts divers, associatifs, publics, privés, une réorganisation majeure a conduit à en confier la responsabilité à un établissement public unique sous tutelle du ministère de la santé, l’Etablissement Français du Sang., avec un siège à la Plaine Saint Denis et des établissement régionaux.
Avec une nuance : une séparation était introduite entre les composants du sang « peu transformés » et destinés à être transfusés tels quels (les globules rouges, les plaquettes et le plasma « complet »), considérés comme des « produits sanguins labiles » (PSL) et les composants unitaires du plasma, obtenus par un processus industriel complexe dit de fractionnement, considérés eux comme des médicaments.
Les deux types de produits ne relèvent pas des même normes de fabrication, ni des mêmes circuits de distribution, ni des mêmes directives européennes (en effet la crise du sang contaminé a conduit les Etats à confier à l’Union Européenne la régulation des produits sanguins en termes de sécurité, avec une directive sang distincte de celle qui pilote les médicaments).
L’Etablissement public EFS a gardé le contrôle de toute la collecte du sang sur le territoire Français, qu’il soit destiné aux PSL ou au fractionnement. Mais le plasma français dans ce dernier cas est entièrement destiné à une entreprise pharmaceutique de droit privée, le LFB, dont l’Etat est actionnaire à 100%... ce qui n’empêche pas qu’elle est en compétition sur le marché avec des produits venant du monde entier, libre circulation des médicaments dans le marché intérieur européen oblige.
Les produits sanguins labiles étaient bien protégés jusqu’à présent, monopole de collecte, de fabrication et de distribution pour l’EFS. Mais quelques nuages se profilent depuis plusieurs années à l’horizon, au moins sur le plasma, car le produit est de moins en moins « brut », souvent fabriqué en mélangeant plusieurs poches issues de donneurs différents et traité par des procédés qui se rapprochent de « traitements industriels », chimiques, physico-chimique, etc. Et du coup ce plasma pour la transfusion se rapproche de plus en plus de la définition d’un médicament au sens européen du terme.
Une firme pharmaceutique internationale, Octapharma, a ainsi obtenu il y a quelques temps une autorisation européenne de mise sur le marché médicamenteuse pour un plasma à transfuser (l’Octaplas, un plasma dit « SD »), directement compétitif avec le plasma « SD » fabriqué de façon identique ou presque par l’EFS, mais qui reste un produits sanguin labile.
La France, pour défendre son monopole public, a bloqué l’arrivée sur le marché du produit concurrent, qui s’est par ailleurs implanté largement ailleurs en Europe.
La société Octapharma a intenté un procès à la France au nom du marché intérieur européen. Après un délai supplémentaire obtenu en faisant saisir par le Conseil d’Etat la Cours de Justice Européenne, cette dernière a confirmé le statut de médicament… et le Conseil d’Etat vient de retranscrire ça en décision qui va conduire à une petite révolution dans le monde des PSL français : le plasma n’est plus un monopole de l’EFS, ce qui veut dire que les hôpitaux vont pouvoir faire des appels d’offre au plus offrant, alors que le prix du produit fabriqué par l'EFS est fixé à Bercy ! Equation difficile. L’autre conséquence difficile de cet avis du conseil d’Etat, c’est que le plasma SD de l’EFS peut rester sur le marché pour quelques temps, avec un autre statut que médicamenteux, conjointement avec les autres plasmas de l’EFS, qui vont eux aussi inéluctablement vivre des moments compliqués : pour les mêmes maladies, pour les mêmes indications, vont coexister sur le marché des produits PSL et un médicament industriel, fabriqués avec des normes de fabrication qui sont différentes (plus strictes pour le médicament en terme de standardisation des processus de fabrication) et distribués dans des circuits et selon des modalités différentes : pharmaciens hospitaliers pour le médicament, centres de transfusion pour les PSL.
Espérons que les malades, leurs médecins et autres professionnels hospitaliers s’y retrouvent…