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Billet de blog 11 décembre 2015

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IMPACT DE LA LIBÉRALISATION DES SERVICES PUBLICS « NON » MARCHANDS (2)

Comment la libéralisation des services publics participe à accroitre les inégalités entre les citoyens ? Et comment elle participe à exacerber les tensions entre les groupes de citoyens en les poussant au repli communautaire ?

Yves Corver

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Selon la définition donnée par l’Insee, les services non marchands sont ceux qu’une entité fournit gratuitement, ou à des prix qui ne sont pas économiquement significatifs.

Il s’agit principalement de l’éducation, de la santé, de l’action sociale et de l’Administration.

Dans un monde parfait, l’État disposerait de suffisamment de ressources pour assurer à tous ses citoyens des services non marchands de grande qualité et en quantité satisfaisante. Cela fut le cas pendant les trente glorieuses entre 1950 et 1980.

Après cette période faste est venu le temps du déclin. Un déclin qui s’est rapidement accéléré grâce à la conjugaison de deux phénomènes : 

— la mondialisation et ses conséquences sur la désindustrialisation progressive de la France et des autres pays d’Europe de l’Ouest,

— le vieillissement de la population européenne.

Phénomènes auxquels s’est associé un puissant accélérateur : la concurrence fiscale à l’intérieur même de l’Union européenne. Une disparité des taux d’imposition qui permet aux sociétés internationales et à leurs principaux actionnaires d’échapper quasiment à toute forme d’impôts. 

Les caisses des organismes de protection sociale et de retraite se sont vidées, forçant les États à s’endetter auprès d’établissements financiers privés. Et cela encore, grâce aux lobbies financiers qui ont obtenu avec la Loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 l’interdiction faite à l’État français d’emprunter à taux très faible auprès de la Banque de France.

Depuis 1997, l’Union européenne impose à tous ses membres le respect du Pacte de stabilité et de croissance, qui fixe la limite du déficit budgétaire de chaque État à 3 % de son PIB.

Lorsque dans le même temps le PIB d’un pays comme la France régresse, ou stagne au mieux, et que ses sources de revenus diminuent, il en résulte mécaniquement une réduction forcée des dépenses destinées aux services non marchands.

Baisse des effectifs de la police, qui renforce le sentiment d’insécurité.

Baisse des effectifs et des moyens dans les centres hospitaliers, qui participe à la dégradation de l’accueil des malades (services d’urgence saturés, manque de lits…).

Baisse des effectifs dans l’Éducation nationale, qui a pour effet de surcharger les classes et de dégrader la qualité de l’enseignement, déjà fortement impactée par les problèmes de disciplines et de disparités de niveaux parmi les élèves.

Baisse des effectifs dans les mairies, les préfectures et autres organismes purement administratifs, qui conduit à des délais de procédure toujours trop longs, malgré les tentatives multiples de « simplification ».

Toutes ces dégradations de la qualité des services non marchands n’ont cependant pas le même impact sur tous les citoyens. 

Pour les millions de Français qui ne disposent que de faibles revenus, le plus souvent inférieurs au SMIC, faute d’avoir un emploi stable et à temps complet, l’impact négatif est maximum et immédiat.

Ils n’ont d’autre choix que de renoncer à tous les soins qui ne sont pas vitaux (santé dentaire, yeux…). D’envoyer leurs enfants dans les écoles de la république, fussent-elles les plus pourries de France. Ils doivent se contenter de vivre dans des logements vétustes, parfois insalubres, lorsqu’ils ont la chance d’en avoir un. En attendant que la « crise » passe, que la « croissance » reparte, que leur président parvienne enfin à « inverser la courbe du chômage »… en vain, bien sûr.

Les autres, ceux qui disposent de revenus légèrement supérieurs au revenu médian, devront renoncer à certaines dépenses de pur plaisir pour compenser les carences des services publics non marchands.

Refusant de confier l’instruction de leurs enfants à une Éducation nationale défaillante, ils se tourneront vers des établissements scolaires privés. Le plus souvent confessionnels. Dans l’espoir que leur progéniture sera mieux armée pour affronter la dureté du monde économique ultralibéral et mondialisé. Ils confieront leurs problèmes de santé et ceux de leurs enfants aux médecins non conventionnés et aux cliniques privées, notamment grâce à de meilleurs contrats d’assurance mutuelle. Ils vivront dans des quartiers moins peuplés, à l’intérieur de villes plus agréables, dans de coquettes maisons ou des appartements modernes et sécurisés.

Ce faisant, les fossés socio-économiques se creuseront, en même temps que se renforcera la communautarisation de la société. La division de la société en communautés étanches qu’aucun lien ne reliera plus entre elles. L’antithèse de la république.

Dans le prolongement des tensions économiques générées par la mondialisation et la libéralisation à marche forcée, les tensions sociales et idéologiques continueront de croître. Dans les « quartiers », le rejet de toute représentation de l’ordre se généralisera. Les zones de « non-droit » se multiplieront. Les économies souterraines fleuriront bientôt en plein jour.

Cette violence sociale a commencé par émerger dès les années 1990 sous forme d’incivilités, puis d’agressions physiques contre des personnes dépositaires de l’ordre public et de tous ceux qui lui sont associés (médecins, professeurs, pompiers, chauffeurs de bus…). Parfois sous forme d’émeutes urbaines à la suite d’une intervention de police ou d’une phrase malencontreuse d’un ministre ou d’un député.

Elle s’est aussi manifestée dans des actes antisémites, islamophobes, homophobes ou autres, de plus en plus fréquents. Poussant leurs victimes à se réfugier un peu plus au sein de leur communauté. Aggravant par là même le sentiment d’exclusion de chacune d’elle. 

Chaque fois, les causes de cette violence ont été ignorées. Chaque fois, elle a été combattue par des mesures répressives. À en juger par l’absence de résultat, on est en droit de douter que l’arsenal légal répressif brandi par le Premier ministre et par son ministre de l’Intérieur suffise à calmer la colère de ceux qui, à tort ou à raison, se sentent exclus, voire humiliés.

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