Yves Gigou (avatar)

Yves Gigou

Infirmier désaliéniste

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

1 Éditions

Billet de blog 16 octobre 2025

Yves Gigou (avatar)

Yves Gigou

Infirmier désaliéniste

Abonné·e de Mediapart

Vagabondages. Itinéraire buissonnier d’un psychiatre de secteur

Yves Gigou (avatar)

Yves Gigou

Infirmier désaliéniste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Vagabondages. Itinéraire buissonnier d’un psychiatre de secteur © Michaël Guyader

VST n° 162 - 2024


Vagabondages. Itinéraire buissonnier d’un psychiatre de secteur
Michaël Guyader

Paris, MJW Fédition, 2023
"Michaël Guyader est décédé ce 11 octobre 2025. J'ai croisé pour la première fois Michaël en décembre 2008 lors de la première réunion fondatrice du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire, après les propos de Nicolas Sarkozy alors président de la République à l'hôpital d'Antony qui a prononcé un discours sans nuance sur la la dangerosité de la folie. 
"Vagabondages, un itinéraire buissonnier d'un psychiatre de secteur", ce livre de Michaël Guyader raconte son engagement permanent et quotidien de tenir cette éthique du soin qui ne doit jamais nuire à l'autre quel qu'il soit. Michaël m'a fait le plaisir de me faire parvenir son livre. J'en ai écrit cette recension pour VST. 
Nous avons cheminé dans ce collectif des 39 pendant plusieurs années entre meetings, rassemblements et communiqués pour la défense d'une psychiatrie humaniste revendiquant la clinique au sens de se pencher auprès de...comme position incontournable de la rencontre de la personne en souffrance. 
Merci à mon ami Yves Gigou de publier ce texte dans son blog, une invitation à lire ou relire ce livre.
Dominique Besnard 
Psychologue, ancien directeur national de la psychiatrie et du travail social des Cemea, membre du comité de rédaction de VST."

Psychiatre, psychanalyste, mais aussi artiste peintre, amoureux de poésie, fin lettré d’une grande culture, humaniste et indigné. Michaël Guyader est tout cela à la fois et indissociablement. Chaque page de cet ouvrage est portée par ces composantes de sa personnalité, ce qui fait son originalité et l’impossible exercice de le résumer.

Il faut prendre le temps et aimer les chemins de traverse pour se laisser emporter dans la lecture de ce livre. La réflexion foisonnante et brillante de Michaël Guyader est faite de multiples détours, des écrits reproduits, des prises de parole en diverses occasions, des vers de poètes – des détours certes, mais non ceux qui égarent, ceux qui éclairent, enrichissent par les mises en révélation des détails, des moments du quotidien, ces petits riens des plis de la pensée.

Psychiatre de secteur, M. Guyader le fut pendant toute sa carrière, et il y est attaché à cette dénomination de « psychiatre de secteur », lui l’héritier de son maître et ami Lucien Bonnafé. Car psychiatre de secteur dit tout de son engagement. Le secteur tel qu’il en parle, ce n’est pas seulement la géographie, le découpage du territoire de l’Essonne, c’est avant tout « l’aller vers », la rencontre entre celui qui souffre de sa folie et celui qui, présent, l’accueille et l’accompagne.

Psychiatre de secteur, c’est également être psychiatre avec d’autres, infirmières et infirmiers, psychologues, assistantes sociales, celles et ceux qui font cette équipe, ce collectif qui contient et borde les délires, les tentatives de passage à l’acte, mais aussi qui facilitent les initiatives, les essais de sortie de l’hôpital ou d’insertion dans la ville. Psychiatre de secteur, c’est encore le soin au plus près des patients et les lieux divers et communs des territoires ; avec les autres professionnels du social, de la culture et les élus. Citant Ronald Laing, antipsychiatre, « l’institution psychiatrique n’est pas faite pour les patients mais pour les soignants », M. Guyader s’est attaché au fil des années à créer et à procurer aux patients des conditions d’existence moins inhumaines. Cette ligne directrice est fondatrice de sa pratique qui se veut avant tout une lutte contre toutes les formes d’aliénation.


« Je me sens profondément solidaire de la folie qu’il y a dans l’autre. » Cette phrase de Tony Lainé, son autre maître, il la fait sienne et les lignes de cet ouvrage en témoignent à chaque page. D’ailleurs les mots « folie » et « fous », il les revendique comme une reconnaissance de la part humaine de ces expressions d’angoisse et de souffrance, qui ne peuvent se réduire seulement à une classification de maladies. Dans la première partie de son livre intitulée « Quelques considérations sur la fonction de chef de service », l’auteur évoque entre autres son attention et sa considération à l’endroit des personnes autistes, cet autisme que d’au- cuns voudraient réduire à une « panne d’une partie de cerveau ». Reconnaître à « ces grands blessés du narcissisme », toujours Tony Lainé, une part de folie dans leur autisme, c’est reconnaître l’humanité de leurs personnes. Naissait alors le projet des petites maisons pour adultes autistes dans ce département. De même, la néces- sité de l’accessibilité des lieux d’écoute et de soins et du maillage du territoire, une psychiatrie de service public au service du public ont amené son équipe à créer le bel exemple du PAEJ (point accueil écoute jeune) à La Grande Borne à Grigny. Et bien d’autres projets qui virent le jour.

Les fous sont-ils malades ? La deuxième partie du livre révèle les réflexions et analyses éminemment fines et très référencées de l’auteur, qui n’évacue pas les éléments des contextes historiques et sociaux, ni les avancées scientifiques des cures et des traitements, les partis pris et les interrogations. Mais qui conserve comme garde-fou cette éthique dans tout acte thérapeutique de ne jamais nuire et de porter une permanence de l’attention aux patients par le souci de l’accueil au quoti- dien. Citant Lucien Bonnafé à nouveau, qui disait : « L’important c’est le bouquet de fleurs sur la table de nuit. » Et dans cette ébauche d’un corpus théorique, les pages à propos du suicide sont d’une analyse très éclairante et aidante pour saisir la question du « ratage » au soubassement de nombre de pathologies.

Psychiatre, mais aussi psychanalyste, convaincu que cette dimension, la psychanalyse, est tout à fait à sa place dans une pratique de psychiatrie de secteur. La lecture psychanalytique permet d’apprécier les sinusoïdes que sont les lignes des souffrances individuelles heurtées au réel. L’inconscient traverse en permanence les interrelations entre les soignants, les accueillants et les patients. L’inconscient est structuré comme un langage et la logique de la psychose suppose d’entendre là où c’est dit. Cet outillage, l’analyse psychanalytique, aide à la compréhension également de l’approche sociale des expressions des souffrances, justes protestations qui inter- pellent le champ du politique.

Évoquant dans la troisième partie les travaux de Gisela Pankow sur les rapports des psychotiques à leur corps et comment rendre ces corps « habitables », il retrace la création de l’association Les Temps Mêlés, ce lieu d’expression des possibilités créatrices et du rapport avec l’art qui va devenir pour les patients ce havre de tranquillité relative et d’apaisement, cet endroit où il sera possible de se rassembler avec soi-même. Les Temps Mêlés, telle « une bande de Moebius où la psychiatrie, la culture et le social sont inséparablement liés ». Vint, dans le prolongement de ce lieu, le temps du festival « Désaliéner ».

La quatrième et la sixième partie de ce livre sont d’admirables lignes consacrées aux belles rencontres qui ont été celles de M. Guyader, notamment celles des membres de son équipe, qui écrit-il, lui donnait l’im- pression de conduire « le philharmonique de Berlin », excusez du peu. C’est vrai que cette équipe, il lui rend hommage à maintes reprises. Les belles rencontres sont aussi celles de patients qui l’ont marqué et dont il dresse le portrait comme le partage de ce que ces rencontres et compagnonnages de soins, parfois au long cours, lui ont permis d’être, ce psychiatre toujours attentionné et en recherche. La sixième partie, donc, rend compte de quelques portraits de compagnons de vagabondages, Bernard  Doray, son ami, et Lucien Bonnafé, sonmaître.

Portraits intimes mais dont Michaël Guyader tient à livrer ce qu’il a puisé de ces cheminements auprès de ces personnes, qui l’ont construit d’une certaine manière et lui ont permis d’exercer son métier avec l’engagement indispensable.
Psychiatre engagé auprès de ses patients, mais aussi psychiatre engagé en résistance aux errements de certains, homme politique par exemple, ou pour défendre des combats qui préservent la dignité humaine. Ainsi de la constitution du « Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » en 2008. J’en fus et c’est là que je rencontrai pour la première fois Michaël Guyader. Les lignes qu’il dédie à ce collectif dans la cinquième partie du livre expriment ce que l’engagement signifie dans la rencontre de la folie des hommes et la nécessaire obligation de la préservation de l’humanité et de la dignité en chacun. C’est par ses prises de position qu’il lui fut demandé de participer au rassemblement du plateau des Glières, haut lieu de résistance. C’est là, lui le psychiatre engagé, indigné, qu’il rencontra Stéphane Hessel, ce grand monsieur. Son engagement, il le relate également à propos de l’internement des gens du voyage, de ses séjours en Irak et en Palestine.

Michaël Guyader est artiste peintre et ce livre se découvre et se lit comme un tableau. Il y a ce qui se lit d’abord comme d’évidence, ce qui se lit de plus près pour en saisir la subtile essence, ce qui se lit ou plutôt se relit dans l’après-coup, comme un retour sur un moment, un propos qui ont échappé au premier regard ou plus précisément à la première compréhension. À la toute fin, le lecteur en ressort enrichi, je le crois. Si « le soin est un humanisme », pour paraphraser Cynthia Fleury, puissent les jeunes profes- sionnels de la psychiatrie, aujourd’hui fort mal en point, y découvrir par cette lecture les possibilités créatives indispensables. Ces vagabondages sont un beau voyage.

DOMINIQUE BESNARD

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.