Ce qui me fascine et m'horripile, c'est notre refus obstiné de comprendre ce qui se passe. Surtout en Europe, mais également ailleurs dans le monde.
L'«amalgame» entre les gauches radicales et les extrêmes-droites décrié par les Donald Tusk, Juncker, Rajoy, Hollande (hé oui!) et autres représentants des «partis de gouvernement» de toutes obédiences est certes une manoeuvre pour discréditer les authentiques mouvements populaires d'opposition à la dérive ultralibérale de l'Europe. Mais c'est AUSSI l'énoncé d'une réalité, que curieusement les gens qui la vivent refusent presque partout de reconnaître. L'exception majeure est Podemos, en Espagne, sans doute grâce à l'expérience populiste sud-américaine de ses animateurs.
Avant de me crucifier, essayez de voir les choses autrement que par le prisme manichéen gauche-droite qui nous déforme tous. Quelque part en 2011, après une longue hibernation et à partir de l'improbable point d'origine d'une petite ville tunisienne sous le vocable trompeur du »Printemps arabe», la guerre des classes a repris les armes dans le monde. Avec une vigueur qu'on ne lui avait pas connue depuis au moins un demi-siècle. Mais, et ce mais est énorme, pas sous son uniforme «rouge-bleu» traditionnel. En effet, il ne s'agit plus de la lutte de la gauche contre la droite, ou des travailleurs contre les patrons, ou même des pauvres contre les riches. Il s'agit d'un nouveau combat, sans doute plus diffus, plus difficile à cerner et à orienter mais plus fondamentalement pertinent au contexte contemporain, celui des peuples contre leurs élites. Des sans-pouvoir, de TOUS les sans-pouvoir contre TOUS les puissants. De ceux qui subissent contre ceux qui «savent mieux que les autres ce qui est bon pour eux». Que les premiers soient chômeurs, étudiants, ouvriers, gratte-papiers, homosexuels, boutiquiers, artisans, de droite et même d'extrême-droite comme de gauche. Et que les seconds soient financiers, politiciens, industriels, chefs syndicaux, imams, archévêques, dalaï-lamas, éditorialistes, philosophes, de gauche comme de droite.
Cela veut dire que oui, le Front de gauche et le Front national ont d'une certaine façon le même combat. Que l'alliance Syriza-ANEL n'est pas contre-nature mais logique. Que Podemos en Espagne et Cinque Stelle en Italie peuvent se parler sans rien trahir. Et ainsi de suite. Bien sûr, il y a ensuite d'énormes nuances à apporter. Mais auparavant, il est indispensable que ceux qui veulent changer les choses trouvent des façons d'agir ensemble contre ceux qui ne veulent rien changer.
Si on refuse de comprendre ça, non seulement on ne peut prétendre comprendre ce qui se passe dans notre monde mais pire encore, on ne peut prétendre l'améliorer.