En réponse à ceux qui soutiennent que le régime baassiste a permis, comme l'avance Qu'importe Shadok60 dans son commentaire du 04/09, "la cohésion nationale donc une véritable opposition au pillage des ressources du pays", on peut opposer qu'il faudrait encore que le régime baassiste fusse au service de sa population, ce qui est loin d'être le cas puisque celle-ci est en grande partie en révolte contre lui. Cette population, d'ailleurs, ne passe pas son temps à se "taper dessus", loin de là, comme le dit notre commentateur sus-mentionné. Le parti Baas au pouvoir a constitué un État au service d'intérêts pétroliers et autres autochtones et étrangers et, donnant une stabilité à la vie économique du pays, l'affairisme et la corruption qui l'accompagne sont allés bon train. Il faudrait faire le compte du nombre d'accords signés par celui-ci avec d'autres États ou de grandes multinationales pour avoir une petite idée de l'importance que cet aspect a pris sur ce terrain. Or, c'est ce terrain qui est déterminant.
Ni les Européens ni les Américains n'ont de solution de rechange et ce qu'ils craignent avant tout c'est l'instabilité, surtout après l'échec cuisant de la guerre qu'ils ont menés (sans la France, qui, cette fois, avait vu juste) en Irak, ainsi que l'affaire lybienne. Et l'instabilité pour eux, c'est le réveil des peuples, qu'ils soient syrien, égyptien, tunisien, palestinien ou autre. C'est bien pour cela qu'ils n'ont apporté aucune aide sérieuse à l'ASL, encore moins aux comités locaux de quartier, de ville ou de village. C'est bien pour cela qu'Assad, ébranlé voici deux ans au point de manquer de tomber, a pu se ressaisir. C'est bien pour cela que les djihadistes ont pu prendre du poil de la bête, grâce aux armes venues d'Arabie Saoudite et du Qatar, et chercher à imposer leur dictature sur certaines zones libérées. Maintenir ce qu'on appelle l'État profond, garant de la stabilité et des bonnes affaires, tel est l'objectif de l'Occident, d'une part, et de la Russie et de la Chine, d'autre part. La divergence entre eux tient sur le sort de Bachar Al Assad.
Les premiers étaient persuadés avoir une alternative à Bachar, reposant sur une coalition d'opposants. Ils ont cru que cette coalition allait prendre "naturellement" la tête des manifestations. Il n'en a pratiquement jamais été le cas. Expatriée, elle l'est restée. Mais UE et USA avaient fondé leur stratégie là-dessus et repris le mot d'ordre des coalisés : "Démission de Bachar et seulement après négociations". Depuis, ils se sont retrouvés piégés sans stratégie de rechange, à moins de passer pour des girouettes et perdre les quelques alliés qu'ils ont sur le terrain sans en acquérir de nouveaux à la place.
Chinois et surtout Russes l'ont joué plus fine (en dépit de ce que nous serine la propagande médiatique). Ils se sont prononcés pour des réformes mais dans le cadre existant. À chaque fois qu'ils ont pu, ils ont proposé des négociations sans mettre d'a priori, au contraire des Occidentaux. Ces négociations ont, certes, toutes avorté, faute de participation de l'opposition et aussi de la très mauvaise volonté occidentale, mais elles ont laissé la porte ouverte à des renversements d'alliance entre opposition et pouvoir syrien. Dans le même temps, les Russes ont continué de livrer des armes à Bachar Al Assad afin d'éviter que le régime s'effondre, quitte à aller au-delà des contrats initiaux. Cette stratégie les met, pour le moment, en position de force. L'utilisation des armes chimiques, très probablement par le pouvoir (même si les fameuses preuves ne sont que des présomptions), est une ligne rouge que Poutine ne peut laisser franchir sans se retrouver à terme dans une position à son tour intenable. Ses récentes déclarations doivent être entendues dans leur entier et non de façon parcellaire comme l'ont fait nos chers députés. Elles ne constituent nullement une quelconque approbation d'une frappe de l'ONU contre la Syrie, mais, à l'inverse, en exigeant des preuves formelles, l'annonce d'un rejet de telles frappes du moins pour l'immédiat. Car, si Bachar n'entend pas qu'il ne peut pas faire n'importe quoi, c'est-à-dire qu'il ne peut pas faire quelque chose qui mette en péril la stratégie diplomatique russe (et l'usage d'armes chimiques en fait partie), Moscou le lachera. Et, en pleine menace de frappes éventuelles, ne pas livrer des missiles anti-aériens et l'annoncer publiquement est un avertissement. Sans entrer dans le détail, l'Iran, autre allié d'Al Assad, est sur la même ligne.
Dans cette affaire, les USA, et encore moins la France, n'ont les moyens d'une intervention militaire. Et tout le monde le sait. Le bourbier diplomatique ne ferait que se transformer en bourbier militaire. Les justifications du genre "sauver le peuple syrien" ne tiennent pas la route et les carriéristes médiatiques ont bien du mal à les vendre. Mais ne pas réagir est aussi désastreux et c'est là que se trouve le danger. Ils enverront probablement des drones, mais les résultats, comme souvent, seront faibles voire négatifs. Perdre la face rend les puissants dangereux car imprévisibles.
Maintenant, je trouve les USA un peu gonflés de s'indigner de l'usage d'armes chimiques, eux, qui ont inventé la guerre bactériologique en Corée et au Vietnam, mis au point des gaz de combat contre le Vietcong, sans parler des drones agressant en toute impunité des villages du nord-Pakistan, des obus à uranium appauvri, etc. Comment osent-ils parler de venir au secours des Syriens, eux qui depuis 1945 ont agressé les peuples grec, coréen, vietnamien, libanais, dominicain, soutenu le massacre de 500.000 Indonésiens, celui de dizaines de milliers de Sud-Américains, ainsi que celui des manifestants contre le Shah d'Iran, attaqué l'île de Grenade, le Nicaragua, le Salvador, la Colombie, la Somalie, bombardé la Serbie et le Pakistan, occupé l'Afghanistan et l'Irak, sans oublier leur soutien obstiné à Israël et à ses agressions contre ses voisins, à commencer par le peuple palestinien ? Tout cela s'est toujours fait au nom de la démocratie et de la sécurité des peuples. Le monde en a-t-il été plus heureux ? On pourrait en dire tout autant de la France, de l'Indochine à la Françafrique, toujours en place quoiqu'on en dise, en passant par l'Algérie, ses centaines de milliers de cadavres et tout un peuple déplacé. Sans oublier le fait que la France est un des premiers marchands d'armes au monde. À côté, Bachar Al Assad fait figure de petit bras.
Mais même sans un tel curriculum vitae, ni la France ni les USA ni même l'ONU n'ont le droit de se substituer à un peuple, en l'occurrence ici le peuple syrien. Si Bachar Al Assad a commis des crimes de guerre, ce qui est très probable, c'est aux Syriens de le punir (pour reprendre les propos de nos va-t-en-guerre). Et ce n'est pas en bombardant Damas ou toute autre ville de Syrie qu'on y parviendra.