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Billet de blog 8 juillet 2015

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Et si les fous viraient la Grèce...

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Imaginons un instant que la Grèce soit étranglée au point de devoir quitter l'euro. Quelles seraient les conséquences :
- dans un premier temps : la Grèce déclarerait l'annulation de sa dette unilatéralement, non plus comme elle le propose de 30 %, mais de pratiquement 100 %.
- dans un deuxième temps (voire dans le même temps) : elle s'adresserait à la Russie, la Chine, le Brésil, la Turquie et les USA pour de l'aide. 
- La Russie, parce que celle-ci cherche à affaiblir l'UE et est elle-même porteuse d'un projet alternatif au FMI (avec la Chine et le Brésil) et d'un autre à l'UE (avec l'Union Eurasienne). 
- La Chine, parce que celle-ci a beaucoup investi en Grèce (le port du Pirée est géré par un consortium chinois) persuadée que l'UE chercherait sincèrement à régler la question grecque. 
- Le Brésil, parce qu'il cherche à prendre pied en Europe et qu'il participe comme les deux précédents à l'alternative au FMI. 
- La Turquie, parce qu'elle cherche depuis des années à s'allier avec d'autres pays et que, depuis son rejet par l'UE, elle n'y est pas parvenue.
- Les USA, enfin, parce que toute une série de fonds d'investissement ont parié sur un règlement de la crise grecque par l'UE et ont investi dans les banques grecques. Si ces investisseurs américains ne pouvaient récupérer leurs mises, ce sont des faillites en chaîne qui se déclencheraient alors avec une crise auprès de laquelle celle de 2007 paraîtrait une plaisanterie. Le gouvernement US interviendrait aussi pour ne pas laisser le champ libre à la Russie et ses alliés.
Dans un tel contexte, le gouvernement grec pourrait même se retrouver avec une marge de manœuvre plus souple pour l'application de son programme social et économique de développement. Un tel paradoxe ne serait pas sans effet sur d'autres pays de l'UE.
- dans un troisième temps : l'impact sur les pays de l'UE pourrait être considérable et contradictoire :
- pour l'ensemble des pays, une sortie de l'euro de la Grèce suivi d'une annulation de sa dette et de l'intervention de pays hors UE aurait pour conséquence non seulement une perte sèche, mais l'importation de produits extra-européens dans l'UE, via la Grèce entrant en concurrence avec ceux de l'UE. L'UE serait donc tentée de pousser à l'exclusion de la Grèce (ce qui est techniquement possible).
- les pays considérés comme les "mauvais" par la BCE, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, la Slovaquie, pour ne citer que ceux-là, à savoir le Portugal, l'Espagne et l'Italie pourraient être tentés par reprendre les mêmes mesures qu'en Grèce. Certes leurs gouvernements actuels n'y sont pas disposés, mais le succès d'un Podemos en Espagne annonce peut-être d'autres remous populaires et d'autres bouleversements politiques, d'autres volontés d'appliquer un programme social, avec les mêmes risques de sortie non seulement de l'euro mais de l'UE et d'intervention extra-européenne.
- les pays considérés comme les "bons" seraient certes contraints de faire une croix sur un certain nombre de dettes, mais se débarrasseraient d'un boulet financier. La situation serait plus claire, mais sur le plan qualitatif, l'affaire serait beaucoup plus complexe. Certes il serait théoriquement possible de financer des pays comme la Slovaquie, mais la résurrection de nouvelles barrières douanières en Europe grèveraient les exportations, à commencer par celles de l'Allemagne sur lesquelles toute son économie repose. Jusqu'à quel point ? Bien malin qui peut le dire, mais ce qui est certain, c'est que la crise sociale sr'accentuerait chez elle et chez les autres, France en tête.
- les pays auxquels on demande ou on a demandé des "efforts" (c'est-à-dire des baisses de salaires, des pensions retraites, une augmentation du chômage, un recul des droits sociaux, etc.), de la Roumanie aux pays baltes, pourraient se retrouver avec, eux aussi, l'apparition de nouveaux mouvements sociaux s'inspirant de l'exemple grec.
- Enfin, la Grande-Bretagne face à une UE mal en point pourrait sauter le pas et se tourner vers un renforcement de son alliance avec les USA. La Suisse et la Norvège cesserait le processus de rapprochement avec l'UE. Les investisseurs, qui ont horreur de l'instabilité, seraient hésitants face à ce qui apparaîtrait comme un processus de désintégration.
Dans un cadre pareil, l'Europe ne pourrait évidemment plus avoir de politique étrangère commune (comme c'est le cas pour les interventions françaises en Afrique ou l'Ukraine) hormis en s'alignant sur l'ami américain. Il ne resterait plus grand chose, voire plus rien du tout des espoirs d'union, surtout si des alliances (Europe du sud, Balkans, etc.) voire la création de nouvelles unions ou l'intégration dans d'autres existantes sont jugées plus intéressantes ou nécessaires par les exclus.
Si cela ressemble à un scénario catastrophe, c'est que l'exclusion entraînerait un scénario catastrophe, peut-être différent, peut-être moins violent, mais peut-être pire. Dans tous les cas de figure, rien de bon pour nous, les petits, les Européens.
Nous serions les premiers à subir les conséquences des inconséquences de ces messieurs...
Eux aussi perdraient des plumes, beaucoup d'entre eux connaîtraient la ruine. Alors pourquoi prennent-ils de tels risques ?
- D'abord, il n'est pas certain qu'ils aient conscience des risques. Pour nombre d'entre eux, les choses doivent s'améliorer d'elles-mêmes. Les forces du marché sont là pour tout résoudre. Leur seule tache est de veiller à ce qu'elles puissent agir le plus librement possible et la dette grecque, tout comme les droits sociaux, sont des entraves à cette liberté.
- Pour ceux qui sont conscients, il leur faudrait pour enrayer la situation remettre en cause un certain nombre de règles, comme l'interdiction pour la BCE de prêter directement à des États, par exemple, ce qui exigerait de leur part une autre remise en cause : celle de la règle de la primauté de l'économique sur le politique. Or, les gens en poste sont tous issus de courants politiques et de formation, qui, depuis des décennies professent ce point de vue. Tout ce qu'ils s'efforcent de faire, c'est poser des conditions aux acteurs du marché, mais sans avoir les moyens de les imposer.
- Enfin, qu'ils soient conscients ou non, la plupart des "décideurs" politiques européens sont soumis aussi aux pressions de leur électorat. C'est ainsi que Merkel a laissé passer toutes les occasions de résoudre la crise grecque par peur de perdre pied face à ses adversaires politiques de l'extérieur et de l'intérieur de son parti politique.
C'est tout cela qui explique l'incapacité qu'ont eu les politiques à trancher entre les intérêts de tel ou tel secteur économique et de remettre en cause les traités et les règles qui en découlent, à commencer par celui de Lisbonne. Ce sont leurs insuffisances qui expliquent la violence avec laquelle ils ont réagi face à la victoire électorale de Syriza et sa volonté d'appliquer son programme. Et ce problème ne concerne pas que la Grèce, mais toutes les régions d'Europe en voie de désindustrialisation, en proie à une crise sociale de plus en plus dure, et qui auraient besoin d'un plan de développement que l'UE, du coup, est incapable ne serait-ce que d'imaginer.
Nous sommes dans l'impasse. L’abîme est devant nous et le conducteur est devenu fou.

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