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Billet de blog 17 juin 2014

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Ce que pourrait la grève des cheminots si elle était bien conduite

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La grève des cheminots de la SNCF ressemble sur un certain nombre de points à la grève de 2003 que les enseignants  - au cœur de la bataille des salariés contre la réforme des retraites - ont menée…et perdue, même si – à leur décharge – ils ont donné du fil à retordre au gouvernement Raffarin, à Luc Ferry et Xavier Darcos d’alors et qu’ils ont au moins gagné de nombreuses années de répit[1].

En 2003, les enseignants grévistes se sont retrouvés, comme les grévistes cheminots, confrontés au problème du baccalauréat que le gouvernement de Raffarin, tant avec Luc Ferry que Xavier Darcos, avait très rapidement soulevé. Pour les grévistes, ils étaient en grève parce qu’ils dénonçaient une réforme inacceptable. Mais, scandaleusement, en face on usait enfermait les grévistes dans une logique difficile : faire grève et compromettre le baccalauréat d’une génération de jeunes gens.  

En Martinique où le mouvement avait brusquement démarré à l’issue d’une réunion intersyndicale à la Maison des Syndicats lors du rassemblement et du défilé du 1er mai et avait donné lieu au verrouillage de tous les établissements scolaires, des écoles primaires aux lycées en passant par les collèges. Tous les matins avant 6 heures on se retrouvait par exemple, une poignée de grévistes du lycée Schœlcher pour mettre des chaînes aux portails d’entrée en haut et en bas du site et on attendait. Et les grévistes, tous corps confondus, passaient ensemble la journée, déjeunaient ensemble en apprenant à se connaître en tissant des liens d’amitié. Dès avant 5 heures le rectorat, à Terreville, était verrouillé interdisant tout accès à son personnel. C’est dire si pendant plus d’un bon mois, les établissements étaient lockoutés.

En France métropolitaine, la situation était bien différente, bon nombre de grévistes faisaient grève dans des établissements qui  continuaient à fonctionner grâce aux non-grévistes dont le nombre était loin d’être négligeable !

Il n’empêche, lorsque le rectorat s’est aperçu que le baccalauréat ne pourrait se tenir, il fit appel un week end à une société privé pour nettoyer et préparer les salles avec les bons offices des directions et un lundi, les forces de l’ordre ont envahi un à un tous les établissements scolaires fermés.

J’en ai retiré pour ma part, de cette grève de plus d’un mois en Martinique, la leçon qu’une grève doit se préparer et savoir se conduire (cela semble une Lapalissade mais bien souvent le point de départ d’une grève est émotionnel. Or l’émotion est le contraire de la raison, et de la maîtrise des évènements par la raison).

Une grève nécessite une force morale car – et notamment dans le public – les grévistes sont généralement minoritaires ou, s’ils ne le sont pas au début, ils le deviennent rapidement. La raison en est que peu de gens ont une véritable culture syndicale et une connaissance suffisante des réalités des luttes syndicales. Les pressions extérieures sont nombreuses et à tenir un établissement pendant un mois est épuisant psychologiquement. Après, le fruit tombe, mûr comme un fruit à pain blè (trop mûr).

Il faut aussi conduire. La plupart des grévistes attendent de leur direction depuis le plus petit niveau de la grève jusqu’aux directions des centrales, qu’on leur trace la voie à suivre. Cela suppose qu’à tous les échelons on dispose de relais suffisamment écoutés et capables d’expliquer ce qui se passe, les écueils à affronter et comment les esquiver ou leur faire face.

En fait, d’une manière générale, il faut communiquer. De ce point de vue, les cheminots et notamment la CGT ont à mon sens réussi à faire comprendre ce que nous autres enseignants avons vécu depuis 1972 : le mensonge institutionnel qui, s’appuyant sur le prétexte d’une structure au fonctionnement insatisfaisant, dépècera en fait le bastion petit à petit. Ainsi la division de la SNCF en deux structures a donné l’accident de Brétigny qui accable la SNCF mais met en évidence ses dysfonctionnements imputables à son éclatement. C’est aussi cette aberration de commandes de rames trop larges pour entrer dans les gares qui a donné lieu à toutes sortes de plaisanteries sur la SNCF disqualifiée dans son fonctionnement.

Pour les enseignants, Haby puis la kyrielle de ministres de l’éducation et notamment le fameux Allègre, ont dépecé le mammouth. Au motif que l’école ne favorisait pas l’ascenseur social, réforme après réforme, l’école est moins performante mais plus défavorable que jamais aux jeunes issus de milieux défavorisés. La différence entre la situation au moment de la grève des enseignants et aujourd’hui chez les cheminots, et malgré la sympathie de bon nombre de parents pour les professeurs, c’est que jamais comme maintenant, le public n’a été aussi conscient du démantèlement des services publics, en particulier celui des transports. Pour l’école, tant bien que mal, tant que l’enfant passe dans la classe supérieur – ici une classe entière est passée de 4ème en 3ème avec de 5 de moyenne, sans sourciller - , les parents s’émeuvent peu, sauf s’ils ont l’impression d’un manque de surveillance, tant l’école s’apparente à une garderie malgré les velléités de résultats des parents.

Evoluer ? Qui ne le veut ? Mais on est bien là comme dans l’Education nationale dans un bras de fer qui oppose le gouvernement (voire les gouvernements) aux vrais professionnels : les salariés !  Et, entendre le Président de la République dire qu’il faut savoir arrêter une grève alors qu’elle vient de commencer à de quoi révolter. Comment accepter qu’un Président de la République qui vient de trahir ceux qui ont voté pour lui, puisse se permettre de donner des leçons aux travailleurs, ceux qui donnent leur sueur et leur intelligence à faire marcher une machine publique qu’on démantèle pour la donner au privé ? Comment le petit télégraphiste (l’expression est de Mitterrand à Giscard si je ne me trompe) en scooter, peut-il venir intimer l’ordre d’arrêter la lutte ? A qui revient la faute ? Que demandent les grévistes ? Des augmentations de salaire ? Des primes ? Non, de revoir le statut de la SNCF en revenant à une seule entreprise tant le système actuel ne tient plus la route.

Or, ici encore, comme pour les retraites, comme pour les rythmes scolaires, la politique de gauche, le président de la République et son premier ministre refusent d’entendre, et s’enferment dans des œillères avec l’espoir de réussir un jour à mener une politique qui porte quelques fruits.

Et pourtant, le Président de la République et Manuel Valls portent conjointement l’échec de la lutte contre le chômage. Ils portent conjointement l’échec de la réduction des déficits de la France et de l’ambition à pouvoir revenir au seuil de 3% fixé par la communauté européenne. Ils portent implicitement l’échec de la politique en faveur des entreprises dans la mesure où la chute des entreprises ressemble à un cauchemar dont on croit qu’on va se réveiller pour mieux se rendre compte qu’il continue de plus belle. Mais surtout, et avant tout, le gouvernement porte, aux yeux de tous, la responsabilité d’un discrédit des hommes politiques (certes amorcé avec la droite Fillon-Coppé-Sarkozy-Jupé et quelques autres plus impliqués dans toutes sortes d’affaires) par le sentiment profond qu’il donne de ne pas avoir d’autre politique que l’improvisation. Et cela est impardonnable. C’est d’ailleurs bien le reflet du miroir des sondages qui rappelle le jugement lucide des Français.

Dans ce contexte, les cheminots paraissent légitimes dans leur revendication si ce n’est qu’ils désorganisent un peu plus la vie des Français, déjà soumis à la pression de la hausse des prix, et de l’incertitude du lendemain.

Pourtant, ces cheminots, combien de temps peuvent-ils tenir une grève générale et forte ? Cela suppose des réflexions que les grandes centrales n’ont pas véritablement menées. Nous en sommes restés sur ce point à des grèves-agitation dont le seul but serait une relève politique que nous n’avons pas. Quand bien même nos cheminots arriveraient à désorganiser le transport public, à quoi aboutiraient-ils sinon à rendre les Français un peu plus conscients que le gouvernement et le Président de la République sont incapables de gérer le pays, d’apaiser les souffrances, de calmer le mécontentement social qui gronde ?

Or, si la grève cesse sans avoir rien obtenu, ce nouvel échec syndical décrédibilisera un peu plus les syndicats et renforcera le sentiment qu’il ne sert à rien de se syndiquer et que seules les urnes permettent une solution. On sent bien, que comme sous la droite de Sarkozy, les syndicats n’ont plus de pouvoirs et qu’ils se heurtent à un mur chaque fois qu’ils s’opposent aux mesures gouvernementales. Le paradoxe est que plus les syndicats apparaissent comme inopérants, plus ils sont condamnés à une négociation dont la marge de manœuvres se révèle particulièrement étriquée, plus le gouvernement fait comme s’il écoute les syndicats ou leur offre des opportunités de débattre…sans qu’une quelconque issue syndicalement voulue émerge de ces grands messes.

En fait, il faut bien admettre qu’à gauche comme à droite, on voudrait se débarrasser des syndicats sans pour autant apparaître comme les tenants d’un pouvoir totalitaire. En même temps, plus les syndicats sont affaiblis, plus existent des risques d’explosions sociales incontrôlables. On l’a vu à propos des rythmes scolaires, ou à propos du grignotage des jours de vacances des enseignants à la fin du mois d’août ou sur le mois de juillet… Dès lors que la grève des cheminots apparaît légitime, dès lors que les centrales syndicales proposent des perspectives claires d’action et non une vague perspective d’un retour – quand ? – à la forme première de la SNCF ; cette grève peut être mobilisatrice pour l’ensemble des salariés du public comme du privé. Une simple étincelle peut suffire et on peut gager que le gouvernement mieux que personne en est conscient. Bien conduite, elle peut obliger le gouvernement à dissoudre l’assemblée. La gauche est-elle prête ?


[1] Si d’une manière générale la grève s’opposait à la réforme des retraites, dans l’Education Nationale, il s’agissait aussi en même temps de lutter contre le basculement des TOSS aux collectivités locales , d'éviter de même le transfert des Conseillers d’Orientation Psychologues (COPsy), et même le démantèlement de la médecine scolaire.

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