La Martinique pour beaucoup est un lieu de vacances : tel chef d’entreprise d’une grosse boîte d’origine italienne confiait il y a peu qu’il n’osait venir visiter l’île et la société qui les représentait car, indiquer qu’il partait en Martinique évoquerait inévitablement auprès de ses salariés des vacances à la mer.
Et pourtant ! La Martinique vit, travaille, et souffre sans doute plus que la France et ses Français prompts à considérer comme Camus et Aznavour que la misère est plus facile au soleil.
Qu’on regarde quelques chiffres et l’on comprendra :
61% des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage. Les entreprises sont majoritairement des entreprises de moins de 10 salariés et encore ! Et d’ici 2020 nous serons le département de France le plus vieux. Enfin, en matière d’éducation, la Martinique est l’académie où l’on a supprimé le plus de postes depuis les années 2007.
Autrement dit, la Martinique est le reflet de la France dans son évolution mais en pire ! C’est bien la raison pour laquelle, ce qui s’y passe devrait nous intéresser tous; et tous, nous devrions nous pencher pour trouver des remèdes, des solutions à une situation que trop d’hommes politiques ici et en Métropole, considèrent comme inéluctable. Après tout à quoi bon savoir qu’on va dans le mur si ce n’est pas pour tourner le volant, freiner et enclencher la marche arrière ?
Ainsi les suppressions de postes sont l’exemple type de ces manœuvres perverses du ministère – relayées d’ailleurs par les gouvernements de droite comme de gauche – puisqu’on supprime les postes et non les hommes. On a donc une situation ubuesque : on supprime des postes au motif que les ratios (nombre d’élèves par classe, nombre d’élèves par prof) sont trop bas, alors que les indicateurs des niveaux socio-professionnel et économiques de la population sont particulièrement faibles, et qu’on pourrait utiliser cette manne d’enseignants pour dédoubler les classes, faire du soutien, etc., etc…
Non, on enlève ces enseignants pour les placer comme TZR (titulaires sur zone de remplacement) rattachés administrativement à un établissement d’où ils sont censés partir à tout moment pour remplacer des collègues absents ou malades… Seulement leur nombre devient tellement important qu’il n’y a pas assez de remplacements pour les occuper.
Le résultat de ces suppressions se mesure d’abord par la destruction des êtres : un enseignant au placard est un enseignant qui devient vite dépressif, même là où il y a du soleil et de la mer, car son métier est sa vie. Mais c’est aussi un gaspillage inimaginable de moyens. Ainsi il y a quelques années, on a purement et simplement supprimé la filière STI et les professeurs de physique qui y enseignaient. A-t-on préparé l’affaire ? Non ! On a d’abord supprimé et ensuite on a cherché à recaser les personnels impossibles à entrer directement dans le corps des professeurs de physique et chimie du second degré puisqu’ils ne disposaient pas souvent d’une formation de professeur de chimie !
Et pourtant, ce gaspillage a un sens . Il permet de déclarer des surnombres.
Ainsi la Martinique dispose de surnombres dans de nombreuses disciplines car, outre les fermetures de postes pour maintien de ratios imbéciles, on a aussi drastiquement diminué les horaires dans bon nombre de matières[1]. Du coup, on ferme le goulot de la bouteille : on verrouille quasiment les mutations. Plus personne quasiment n’entre en Martinique et tous les jeunes frais émoulus sont envoyés en Métropole.
L’idiotie est que l’on n’est pas en surnombre dans toutes les disciplines et que certaines disciplines sont déficitaires comme la philosophie. On ne trouve donc personne dans ces disciplines mais globalement on ferme. Ainsi il y a deux ans, deux contractuels COP (Conseillers d’Orientation Psychologues), ont été encouragés à présenter le concours, ont été reçus et sont partis pour deux ans de formation en France. Au moment de revenir sur leur île où sont restées les familles, ils découvrent que l’académie refuse de les laisser entrer. Elle préfère recourir à des contractuels.
Pourquoi ? Pour des questions de gros sous.
D’une part le surnombre place le rectorat en difficulté vis-à-vis du ministère qui considère qu’il ne doit octroyer de financement que pour les postes. Les surnombres du coup grèvent lourdement, d’année en année le budget du rectorat. Ce dernier n’a donc aucun intérêt à disposer d’un vivier de personnels titulaires dont la progression de carrière va coûter cher, et dont il ne pourra se débarrasser facilement. Mieux vaut des contractuels, sous-payés, et liquidable à tout moment si nécessaire. D’ailleurs, depuis deux ans, ces contractuels jusque-là payés en juillet et août dès lors qu’ils effectuaient un remplacement à l’année, ne sont plus payés que jusqu’en juin inclus.
Parallèlement, le rectorat préfère ne pas appliquer la loi Sauvadet et passer en CDI les contractuels qui ont atteint le seuil de 6 ans d’ancienneté voire plus. Un dossier est actuellement au Tribunal Administratif et le rectorat de la Martinique adopte la même attitude qu’à l’égard de la contractuelle qui a dû saisir le tribunal administratif : on ne répond pas, on gagne du temps….
A côté de cela, bon nombre de contractuels ne sont pas payés depuis de mois : lors d’un blocage du rectorat au moment des vacances de carnaval, les services du rectorat ont reconnu des dysfonctionnements…Et après ? Que penser de ces personnels précaires qui s’affolent de voir qu’ils ne pourront plus payer l’essence pour faire ces cours dont ils attendent qu’ils leur soient payés pour sortir un peu de l’ornière financière ?
Mais le rectorat fait mieux encore : à l’heure actuelle, il ferme à tour de bras les filières bac pro. Pourtant on sait bien que c’est le diplôme qui pourra assurer du travail aux jeunes chômeurs et que même un bac pro n’est pas la panacée. Possible mais en fermant le robinet des bacs pro, on élimine des filières, on supprime des postes et on évite aussi d’avoir des comptes à rendre en matière de décrochage scolaire car la plupart des élèves qui n’entrent pas en bac pro restent avec un CAP. Ils ont 17 ans et donc n’apparaissent pas dans les statistiques. Ainsi, en Martinique, les CAP occupent 44% du paysage contre 28% dans la Creuse ! Tous les ans, ce sont au bas mot 500 élèves qu’on laisse sur le carreau dans l’anonymat ! 2000 depuis 4 ans. Et l’on s’étonne du taux de chômage de nos jeunes ?
En plus, de cela on ne tient nul compte de la courbe de la vieillesse qui fait que nous avons absolument besoin de jeunes diplômés aux niveaux les plus élevés pour remplacer ceux qui vont partir. Lorsqu’on observe les chiffres même du rectorat, pour l’année 2012, concernant les enseignants du 2nd degré on découvre 644 qui ont 60 ans et plus (déjà donc à moitié partis), 1052 entre 50 et 59 ans et 1092 la tranche juste derrière de 40 à 49 ans, sur un total de 3500 et quelques enseignants ! Dans quelque 20 ans nous aurons perdu tout notre corps enseignant dans le Second Degré. Et le rectorat le sait. Qui le remplacera ?
Personne. Car le ministère attend, derrière l’amplification de ses réformes qui visent à faire faire plus de travail aux personnels avec donc moins de monde. Sans compter qu’on constate que l’Education Nationale publique est peu à peu transformée en garderie afin d’éviter que les jeunes des cités, en colère et désœuvrés, ne mettent le feu au pays. Et pourtant, leur ressentiment à l’égard de l’Etat et de sa politique semble bien légitime.
[1] Ainsi un enseignant de Français en 6ème dans les années 70 y faisait 9 heures, soit la moitié de son service (3 heures la classe entière – 27 élèves environ - et 6 heures la classe dédoublée), alors qu’on est passé aujourd’hui à 5 ou 6 heures sans dédoublement avec des effectifs qui peuvent grimper jusqu’à 30 et parfois plus !