La Littérature à l’estomac…
« Puisque J’en suis aux prix littéraires, et avec l’extrême méfiance que l’on doit mettre à solliciter son intervention dans les lieux publics, je me permets de signaler à la police, qui réprime en principe les attentats à la pudeur, qu’il est temps de mettre un terme au spectacle glaçant d’ ‘écrivains ‘ dressés de naissance sur leur train de derrière, et que des sadiques appâtent aujourd’hui au coin des rues avec n’importe quoi : une bouteille de vin, un camembert ; Comme des bambins piaillants qu’on faisait jadis plonger dans le bassin de Saint Nazaire en y jetant une pièce de vingt sous enveloppée dans un boût de journal . »
Dans ce pamphlet d’une soixantaine de pages, Julien Gracq ne règle pas de compte, il donne à voir sa conception de la littérature, ni dupe, ni complice des coteries des milieux littéraires. Ce texte qui soixante ans plus tard n’a pas pris une ride, nous dit aussi l’intime émotion du lecteur, qui s’exprime parfois avec les mêmes détours et la même pudeur que l’amour.
« C’est ce sentiment et lui seul, qui transforme le lecteur en prosélyte fanatique, n’ayant de cesse, qu’il n’ait fait partager à la ronde son émoi singulier ; Nous connaissons ces livres qui nous brûlent les mains, et qu’on sème comme par enchantement. Nous les avons rachetés une demi-douzaine de fois, toujours contents de ne point les voir revenir. Cinquante lecteurs de ce genre, sans cesse vibrionnant à la ronde, sont autant de porteurs de virus filtrants qui suffisent à contaminer un vaste public. »
Pas de méprise possible, nous évoquons ici des faiseurs de lumière ; On ne saurait prendredes Levy pour des lanternes.
Yvonnick Crahé