À Julien Gracq…
Le 22 décembre 2007, sur sa rive, du côté de Saint Florent le Vieil, la Loire a perdu un fidèle promeneur.
Julien Gracq s’est absenté…………
Passe muraille, intellectuel affranchi, ciseleur de la langue et prosateur de génie quelques rares fâcheux voyaient en lui un écrivain précieux, alors qu’il était, qu’il est un immense, humble et précieux écrivain. Il faut toutes affaires cessantes le lire ou le relire.
Faisant miens ces mots de Cioran : « Nous sommes uniquement la langue que nous parlons, point final. » Cela m’avait valu d’être aimablement chahuté par nos amis du café littéraire, lors de nos dernières réunions à la médiathèque de Pornichet, lorsque j’émettais les plus vives réserves envers les œuvres traduites. Je considérais et considère encore, qu’il ne peut en résulter qu’une trahison, et au mieux, en espérer une ‘à la manière de …’
Conforté aujourd’hui dans ma défiance, par la courte et cinglante réponse que me fit à ce sujet J. Gracq en ce début de mois de décembre 2007 : « Toutes les traductions sont des défaites, si le texte traduit en vaut la peine, mais il y a des défaites glorieuses. »
(Il répondait assez volontiers au courrier, à la seule condition, qu’il ne fut question que de littérature.)
Dans un entretien avec Jérôme Garcin je crois, il lui confiait : « Mon souhait, irréalisable, aurait été que mes livres tiennent tellement à la langue qu’ils en soient pratiquement intraduisibles. »
Dans l’écume de la première guerre, Julien Gracq enfant découvrait en famille, sur la toile tendue pour l’occasion sur la terrasse, face à la mer, du casino de Pornichet, les aventures d’une Gloria Swanson, ou d’une Pola Négri, alors glorieuses stars du cinéma muet ;
La lanterne éteinte, le plaisir se prolongeait à l’intérieur, où l’imposant décorum des salons donnait à la citronnade, dont plus de quatre vingts ans plus tard J.Gracq gardait le plus frais souvenir : « Un goût de breuvage de luxe, qu’on ne pourrait se permettre en toute occasion. »
C’était du temps d’avant le remblai, quand de monumentales et indécentes villas semblaient s’être échouées sur le sable.
La pierre a gagné la dune et Gracq a périodiquement continué à visiter la côte. #
Julien Gracq s’est toujours volontairement tenu à l’abri des prix, des académies et des trompettes de la renommée, fussent-elles bien embouchées ; Mais, il n’y aurait pas d’inconvenance à lui dire aujourd’hui que nous l’aimons. Il y a déjà un certain temps, la municipalité de Pornichet avait envisagé de donner le nom de Julien Gracq à sa médiathèque, contacté, celui-ci ne s’y était pas opposé, mais, post- mortem aurait-il précisé.
Après la dispersion totale de ses biens, dans cette vente aux enchères de Nantes il y a une quelques semaines, Il reste l’essentiel, son œuvre, que personne ne nous enlèvera.
Yvonnick Crahé Escoublac