Zaëlle Noyoub (avatar)

Zaëlle Noyoub

Poétesse voyageuse

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

3 Éditions

Billet de blog 19 mai 2022

Zaëlle Noyoub (avatar)

Zaëlle Noyoub

Poétesse voyageuse

Abonné·e de Mediapart

Changer les choses : les outils du Maitre ne détruiront jamais la maison du Maitre.

Pardon, mais je crois qu'il est urgent de changer de discours ; c'est une question de survie. Ces discours mêmes sont les outils de notre domination, que nous nous répétons de quinquennat en quinquennat, d'élections en élections, et qui font perdurer la croyance que notre seul espoir de salut serait de remettre aux mains de celleux qui nous gouvernent le pouvoir de nous guider vers la rédemption.

Zaëlle Noyoub (avatar)

Zaëlle Noyoub

Poétesse voyageuse

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un billet précédent, j'expliquais ma décision de m'abstenir de voter aux dernières présidentielles en citant l'écrivaine et poétesse étasunienne, noire, féministe et lesbienne Audre Lorde. En 1984, elle s'exprimait ainsi : « Les structures anciennes de l'oppression, les vieilles recettes de changement sont ancrées en nous, c'est pourquoi nous devons, tout à la fois révolutionner ces structures et transformer nos conditions de vie, elles-mêmes façonnées par ces structures. Parce que les outils du Maitre ne détruiront jamais la maison du Maitre »*.

Ce que j'entends dans ces propos, c'est qu'il est illusoire d'espérer s'extraire d'un système qui nous oppresse sans être prêt.es à regarder en face ses fondements, sans être prêt.es à les remettre en question et, une fois compris les mécanismes structurels de nos oppressions, s'emparer de nouveaux outils pour les démanteler. En d'autres mots, il est illusoire d'espérer que le jeu change tout en continuant à jouer selon ses règles.

À cela il m'a été rétorqué que, peut-être, nous pourrions tout de même essayer nous emparer des outils de celleux qui nous dominent pour à notre tour les soumettre, que « si tu ne t'occupes pas de la politique, la politique s'occupera de toi », qu'un bulletin de vote dans l'isoloir serait le seul outil démocratique et non-violent nous permettant d'occuper nos places dans le champ politique et qu'il s'agirait d'une « chance inouïe par rapport aux pays non-démocratiques ».

Pardon, mais je crois qu'il est urgent de changer de discours ; c'est une question de survie. Ces discours mêmes sont les outils de notre domination, que nous nous répétons de quinquennat en quinquennat, d'élections en élections, et qui font perdurer la croyance que notre seul espoir de salut serait de remettre aux mains de celleux qui nous gouvernent le pouvoir de nous guider vers la rédemption. Chaque bulletin dans l'urne est une marque d'adhésion à cette croyance, chaque vote est un acte de dévotion. Peut-être que, la prochaine fois, on pourrait remplacer les bulletins par des cierges : ça ne causerait surement pas plus de dégâts.

Non mais sans rire : il est grand temps d'aller de l'avant, de repenser les choses, d'inventer de nouveaux outils. Les vieux préceptes n'ont plus cours, allez, on change de disque, c'est comme ça : il y a des tubes qui vieillissent mal. Je sais que mes ancêtres se sont battue.s pour ça, je comprends en tant que femme que c'est un droit acquis durement. Mais je crois que ces mêmes ancêtres aujourd'hui se battraient encore pour obtenir à nouveau voix au chapitre. Cette démocratie ne fonctionne plus (a-t-elle jamais fonctionné ?). Cinq ans de mandat, ça laisse à peine le temps de préparer les prochaines élections : où peut-on alors espérer trouver celui d'agir pour des causes dont les résultats ne se feront peut-être ressentir que dans une, deux, dix générations ? Les discours galvaudés et rabâchés en boucles ne nous permettent que de nous dédouaner de nos propres responsabilités : on va aller voter, faire notre devoir de bon citoyen, pour pouvoir ensuite gueuler devant bfm en toute légitimité, insulter ces parlementaires qui ne foutent rien pour des salaires indécents, y ajouter un petit commentaire raciste ou sexiste au passage, l'air de rien, peut-être même sans s'en apercevoir, et puis au prochain tour aller quand même voter Macron.

Mais tous.tes ces politicien.nes ont tout de même un mérite, que je leur reconnais volontiers : iels savent s'emparer du pouvoir. Iels osent occuper la place qu'iels estiment être la leur. Iels ont conscience qu'iels peuvent changer les choses. Et iels le font. Ou plutôt, iels font en sorte que surtout rien ne change, que leurs privilèges restent intouchés. On a bien vu la vitesse à laquelle des règlements et des lois peuvent être instaurées de manières tout à fait anti-démocratiques et sans que personne ou presque ne sourcille, d'état d'urgence terroriste en état d'urgence pandémique, de moins en moins de libertés, de plus en plus de contrôle, pour que chacun reste bien à sa place, pour que personne ne se rebiffe. Interdire aux gens de sortir de chez eux, interdire aux gens de se rassembler, de manifester, obliger les gens à montrer patte blanche où qu'ils aillent, le tout par décisions impérieuses de chefs d'états capricieux et sans aucune consultation citoyenne, je n'appellerais pas cela de la démocratie. Je ne m'aventurerais pas non plus à prétendre que vivre dans de telles conditions soit une « chance inouïe ». Et j'ajouterais même que les élections présidentielles sont d'une extrême violence, puisque d'une extrême hypocrisie, qui contraint les citoyens a légitimer le pouvoir d'un homme (et peut-être, un jour, d'une femme ? Allez, soyons fous !) qu'ils redoutent pour éviter qu'un.e autre, pire que lui, ne s'en empare.

Le pouvoir du Maitre est de savoir manipuler la peur, la glisser partout, sur nos écrans, dans nos journaux, l'insinuer dans nos vies, dans nos rues, dans nos fantasmes, dans nos souffles. Il fait résonner fort les mots qui nous empoisonnent : insécurité, chômage, terrorisme, maladie, mort. La peur nous gagne et alors nous attendons, les yeux rivés sur nos écrans qui régurgitent un flot d'informations continu en haute définition, que celleux qui ont le pouvoir de nous sortir de là le fassent. Que pouvons nous faire d'autre après tout, nous, « simples citoyens » ? Aller glisser un bulletin dans l'urne et voter Macron, dont le quinquennat précédent devait être écologique ou ne pas être, dont la grande cause devait être l'égalité entre les femmes et les hommes (il nous l'a resservie à l'identique cette année celle-là, non ? Le disque est décidément bien rayé...), et dont chacun de nous sait pertinemment que les promesses sont de pures mensonges. Des mensonges que l'on nous répète les yeux dans les yeux, sans honte aucune, sans aucune excuse, sans aucune humilité.

Croyez-vous tout de même qu'aller voter et légitimer ce pouvoir-là, ce pouvoir de vous raconter des mensonges en toute impunité, soit un acte citoyen ? Prétendez-vous sérieusement qu'ainsi vous travaillez au bien du collectif, de la société, de la cité ? N'est-il pas temps de mettre fin à ce jeu hypocrite et malsain ? Quand plus personne n'ira voter, de quelle légitimité pourront se targuer les grands qui nous gouvernent ? Et quelle excuse nous restera-t-il pour justifier nos propres inerties, nos propres passivités, nos propres irresponsabilités ? Si l'on refuse de déléguer à une poignée d'énarques notre pouvoir d'agir et de changer les choses, il ne nous restera qu'à nous y coller nous-mêmes.

Mais bon, en attendant, faisons contre mauvaise fortune bon cœur : on se rattrapera aux législatives.

Et après, on fait quoi ?

(à suivre)

*Citation copiée sur le site de la revue-ballast.fr, dans un article du 28 mai 2019 intitulé « Audre Lorde : le savoir des opprimés » de Hourya Bentouhami.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.