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Billet de blog 25 octobre 2021

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Et dans la vie, tu fais quoi ?

Que répondre à cette question si souvent formulée ? Qu'est-ce qu'elle me demande, en vrai ? Pourquoi le « qu'est-ce que tu fais dans la vie ? » est le plus souvent suivi d'une réponse qui commence par « je suis... » ? Est-ce que je suis ce que je fais ? Ai-je le droit de me définir autrement ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Moi, je respire.

J'ai longtemps redouté cette question, esquivé habilement son entrée dans les conversations, répondu avec maladresse. Elle me gêne encore, parfois.

Et dans la vie, toi, tu fais quoi ? 

J'ai désormais envie de répondre que moi, dans la vie, je respire. Enfin, j'essaie. Car les occasions de me couper le souffle ne manquent pas. Il suffit que j'épluche les nouvelles le matin, ou que j'oublie trop longtemps d'écouter la forêt.

Dans la vie, je respire. Je souris aussi. Et puis je marche, je dors, je porte partout mon corps qui joue son rôle d'alchimiste à la perfection : je le nourris, il digère, et chaque jour il se transforme, se régénère, vieillit.

Je respire, de ce souffle qui est à la fois l'origine et la manifestation de toute vie.

Je respire au rythme des battements de mon cœur qui se crispe et se dilate, qui se gonfle de sang puis se vide, comme la sève des arbres s'élance au printemps vers les cimes feuillues et retourne à l'automne aux racines. Comme la mailloche d'un tambour qui percute la peau tendue puis s'en éloigne pour faire naître un rythme fait d'ondes et de vibrations.

Je respire. N'est-ce pas assez ? Que voulez-vous que je vous dise ?

Je lis aussi, j'apprends.

Je vis de l'air qui pénètre mes poumons, de la nourriture que j'ingère, de la caresse du vent sur ma peau, de la peau d'un être aimé contre la mienne.

N'est-ce pas cela, le plus important ?

Je vis des sourires que l'on m'offre et des larmes que je reçois en cadeau. Je vis des secrets que l'on ne partage que sur l'oreiller ou autour d'un feu de bois par une nuit d'été. Je vis des confidences et des éclats de rires partagés. Je vis de tout l'amour que l'on m'a donné, que je reçois encore et que j'offre à mon tour.

Je vis sans raison et sans but, simplement parce que ce souffle m'habite. N'est-ce pas suffisant ?

Je vis en me rappelant assez souvent que tout peut s'arrêter à tout instant. Je vis comme j'aimerais mourir : de tout mon enthousiasme, de toute ma gratitude, les yeux pétillants à l'orée de chaque nouveau voyage.

Je profite, oui.

Le travail ne me fait pas envie. Pas au sens où vous l'entendez. Pas pour amasser de l'argent, pas pour avoir l'air important, ni pour le mirage de la sécurité. Nombres de mes choix et de mes orientations ont longtemps été motivées par le besoin de pouvoir sans gêne répondre à vos questions, pour éviter la honte de lire dans vos regards ma condamnation. Fainéants, profiteurs. Vos mots tant de fois entendus et tant redoutés. Parasites, chômeurs. Les mis au rebut de votre société. J'ai investi tant de mon temps, tant de ma vie à faire en sorte que l'on ne puisse surtout pas me les attribuer.

J'ai réussi.

À m'en rendre malade, à m'en étouffer. Pourtant ce qui me faisait envie, à moi, c'était qu'on me laisse respirer. Alors, j'ai accepté d'échouer. De perdre au jeu de la performance, de la course succès. Je respire de toute façon. Alors jusqu'à mon dernier souffle, j'aurai gagné.

Je respire et je vis et je crée.

J'écris.

J'écris et vous me lisez.

J'écris les mots que vous m'insufflez.

J'expire et vous m'inspirez.

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