C'est l'un des points de discorde qui revient tout au long du documentaire IRANIEN de Mehran Tamadon. L'objet ou le symbole qui révèle, pratiquement à lui seul, l'incapacité des deux camps à franchir certaines barrières idéologiques.
En France, le voile se retrouve régulièrement au centre des débats et cristallise bon nombre de préjugés, qui rejoignent souvent une mauvaise interprétation du principe de laïcité, évoqué dans un article précédent et intitulé " La laïcité est-elle devenue une nouvelle religion ? "
Toujours dans une volonté de réflexion et d'échange, nous avons demandé à plusieurs personnalités d'exprimer leur point de vue sur le voile, sur la manière dont il est perçu en Iran, et par extension en France, afin de confronter les différentes positions qui existent sur le sujet.
• Le voile et l'Iran, une histoire particulière
Dans l’extrait, le mollah affirme que « le fondement de l’islam c’est le respect du hijab ». S’il s’agit du voile des femmes, c’est évidemment faux : dans tout le Coran, un seul verset le recommande – ce n’est qu’un conseil, pas une obligation – aux croyantes.
Cependant, « hijab » ne veut pas spécialement dire « voile » au sens vestimentaire du terme, mais plus généralement, tout ce qui sépare en dissimulant (écran, rideau, etc.). Le hijab dont le respect est au fondement de l’islam est celui qui sépare le créateur des créatures, Dieu des humains – et non les femmes des hommes.
Par ailleurs, il faut rappeler que l’Iran a une histoire un peu particulière avec l’abandon par les femmes du voile traditionnel. Dans les années 30, le régime de Reza Shah a exigé avec une grande violence des femmes qu’elles se dévoilent. Entre la destitution de Reza Shah (1941) et la révolution (1979), les Iraniennes ont eu le choix de le porter ou de ne pas le porter. Puis le régime de l’ayatollah Khomeini a mis le même acharnement à obliger les femmes à se voiler que celui du shah à les contraindre de se découvrir. Le problème n’est peut-être pas tant le voile en soi que la prétention du pouvoir masculin à légiférer en matière de vêtement féminin.
Bruno Nassim Aboudrar // Auteur de Comment le voile est devenu musulman (Flammarion, 2014)
• Une femme voilée vit ! Eh oui !
De mes vacances familiales au Maroc, je reviens toujours avec les mêmes images. Celles de femmes, plus particulièrement celles de ma famille, très actives... même proactives. Et surtout portant le hijab (voile).
Étudiante, employée dans un atelier de confection, médecin, engagée dans l'armée, supermaman au foyer, participant à des marathons... Toutes ont des activités quotidiennes. Aucune plongée dans le noir, fouettée, frappée pour avoir des centimètres de tissu sur les cheveux. A ces femmes de ma famille s'ajoutent aussi toutes ces autres que je ne connais pas mais qui occupent aussi des postes dans les banques, les écoles, les ministères... Bref ! Ce n'est pas parce que toutes sont voilées qu'elles sont interdites de vie professionnelle, de vie sociale. Dans une société où l'Islam est inscrit dans la constitution il est bien plus facile de porter le hijab il est vrai. Mais c'est aussi dans cette même société musulmane qu'on retrouve des femmes non voilées... et certaines n'ont ni vie professionnelle, ni vie sociale. Comme quoi il n'y a pas de corrélation entre hijab et activités ! Cette réalité lorsqu'on l'a bien comprise pousse (normalement) à s'interroger sur la situation en France.
Le même type de femmes voilées existe en France. Des femmes aux cheveux cachés qui ont une vie dont 24 heures par jour ne suffisent pas. Elles sont multi-tâches, de vrais couteaux suisses qui souvent sont autoentrepreneurs ! Ces femmes que BFM TV ou TF1 ne montrent pas car il est plus simple de résumer les femmes musulmanes de France à celles oppressées par leurs époux pour porter le hijab. Ces femmes existent, il ne faut pas le cacher mais elles sont plus nombreuses celles qui sont épanouies avec leur hijab et qui sont rejetées par la France !
La France est laïque, on l'a bien compris. Pas un mois ne passe sans entendre parler à la télévision, à la radio, sur Internet... de violation de la laïcité. Et en y regardant de plus près, l'Islam est à chaque fois pointé du doigt. Lorsqu'une maman voilée souhaite accompagner une sortie scolaire, elle peut recevoir un refus. Pourquoi ? Par crainte qu'elle ne fasse du prosélytisme dans le bus menant au lieu de visite ? En lui refusant ce droit on prive cette femme de sa liberté sous prétexte de laïcité !
Il faut rappeler que le voile n'est pas présent qu'en Islam. Signe de pudeur dans les religions, il en est aussi question dans la religion chrétienne. Observons simplement les bonnes soeurs qui l'arborent et j'imagine qui l'adorent... Dans le judaïsme, les femmes se couvrent aussi les cheveux.
Me concernant, je me couvre les cheveux et ce lundi du mois d'octobre 2005 quand je me suis présentée à l'université, mon professeur ne m'a pas reconnue immédiatement. Mais ma scolarité a suivi son cours. Je n'ai pas arrêté mes études pour rester chez moi. Le savoir est important en Islam. Puis j'ai fait mes stages retirant mon foulard aux portes des établissements et le remettant après. J'ai eu mes diplômes. Je suis rentrée sur le marché du travail. Aujourd'hui je suis documentaliste et rédactrice indépendante notamment sur mon blog. D'ailleurs j'ai durant un an couvert des matchs de football (masculin) amateur en région iseroise. J'essaie d'être active au niveau associatif. J'aime les loisirs créatifs. Je suis maman. Et tout ça les cheveux couverts par conviction et choix. Bref ! Je vis, eh oui !
Siham Touil // Auteure de Gaza va mal... Ne vous en faites pas ! et Rédactrice indépendante sur le blog À l'Encre de ma Plume... Mes Amis les Mots
• Le corps féminin, cet interdit absolu
Le hijab comme fondement de l’Islam ? Ce qui reviendrait à dire que le corps de la femme est au fondement de l’Islam. Plus justement, le corps-tabou de la femme. Car si le voile est si fondamental, c’est que le corps féminin est l’interdit absolu.
Le voile ne recouvre pas la nudité, il recouvre la femme tout entière avec ses aspirations à exercer ses droits politiques et sa liberté de conscience. Accepter l’Islam, c’est accepter le voile ? C’est donc accepter la ségrégation dans l’espace public, c’est inférioriser la femme juridiquement, c’est renvoyer son corps dans le néant politique. Emmurée la femme, emmurée dans son voile, dans ses prérogatives féminines, dans ses tissus qui l’étouffent et cadenassent la société tout entière. Car sans égalité politique et sans mixité sociale, toute société est figée, tout citoyen frustré, tout Etat autoritaire.
Ne cherchez pas la liberté sous le voile, vous ne le trouverez jamais. Par contre, vous soulèverez un monde où les hommes sont des barbus tremblants devant la liberté de la femme et des femmes corbeaux, qui pour ne pas se désintégrer, acceptent docilement la prison qui leurs est assignée.
Abnousse Shalmani // Auteure de Khomeiny, Sade et moi (Grasset)
• Le package
Aurel // Dessinateur de presse (Le Monde, Politis, Yahoo!)
• En Iran, j’ai eu envie d’être plus féminine, voilà mon paradoxe !
Auteure et voyageuse, fraîchement rentrée d’Iran, où j’ai bien entendu couvert ma tête de mes préjugés, je suis heureuse de pouvoir partager un point de vue sur la question du voile, qui n’en a pas terminée de questionner le sens du monde.
Sans tomber pour autant dans des travers féministes, gratuits et belliqueux, il me semble avant tout nécessaire de sortir de cette « iranophobie » ambiante et de cesser de mélanger torchons et serviettes en rattachant cette question brûlante à des considérations géopolitiques. Sur la question du voile et des mœurs, voici ce que je retiens de mon premier voyage dans la dernière théocratie du monde : une décence et une pudeur rafraichissante du peuple iranien, qui prend indirectement le contre-pieds d’une société occidentale qui instrumentalise le corps de toute part. Des sourires amusés, embarrassés et compatissants aussi, dans le métro téhéranais, où finalement le déguisement de circonstance d’une occidentale déclenche surprise et autodérision.
A Téhéran, pas de publicités scandaleuses dans les rues et les magazines, le corps fait partie de la sphère privée, un premier constat fort reposant pour la parisienne que je suis, et pour qui l'espace public met inlassablement en exergue les diktats d’une mode de plus en plus exigeante et martyrisante à l’endroit de la condition féminine. De ce point de vue, je trouve les iraniennes riches du fait que leur corps leur appartient encore…En Iran, à défaut de serrer la main à une femme, on la regarde dans les yeux.
Et pourtant, une histoire qui se voile à chaque fois qu’elle s’expose. Le port du voile est une loi dans ce pays, ce qui engendre forcément une facture tout autre au quotidien. Au-delà des contraintes physiques et sanitaires (dont on ne parle jamais) que représente le port permanent d’un tissu, pour la peau et les cheveux, dans des pays chauds notamment, j’ai eu la chance d’échanger sur le sujet avec des femmes actives et épanouies, chefs d’entreprises, artistes pour la plus part, dont la désinvolture et la malice a agréablement inversées mes croyances et bousculées mes certitudes quant à leur détresse supposée. « Me voiler ne m’amuse pas, mais cela ne m’empêche pas pour autant de travailler et de créer mon entreprise, il s’agit simplement d’une règle supplémentaire dont il faut savoir s’accommoder », m’a –t –on le plus souvent rétorqué. Et on mesure aisément le degré de dévotion de chacune d’elle, au choix de la couleur et à la masse de cheveux qui s’échappe de leur parure, iphone en main et bijoux affriolants. Et quitte à se couvrir autant le faire avec style ! J’ai été avant tout interpellée par la grâce, la beauté et la dignité de ces femmes, qui redoublent de créativité pour marier désir de sensualité et dress code imposé.
A défaut de révolution, elles proposent une évolution. Lunettes de soleil surdimensionnées, maquillage ajusté, vernis à ongles assorti, en Iran, j’ai eu envie d’être plus féminine, voilà mon paradoxe ! On comprend d’ailleurs d’autant mieux la passion du designer iranien Araz Fazaeli, 26 ans, installé à Paris, qui à travers le blog qu’il a créé « Tehran Times » s’est emparé du phénomène et publie des clichés fidèles à cette féminité exacerbée, et ce en dépit des entraves gouvernementales locales. Des images prises dans les rues de la capitale iranienne qui tordent le cou aux idées reçues et à ce à quoi les médias nous ont habitués jusqu’ici (hijab). Jamais les iraniennes n’ont affiché autant d’audace que depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président Hassan Rohani. On est très loin de la burka et de ces femmes afghanes qui traversent leur vie sans être vues…
Ainsi, je dirais que la question du voile, invite davantage à redéfinir les contours de la séduction. Depuis que l’œil est devenu un membre sexuel à part entière, cette thématique renvoie, selon moi, les hommes, de par le monde, à leur propre cage intérieure et à l’intendance de leur désir. Peut-être qu’un jour la féminité pourra se vivre en dehors des dogmes et du fantasme masculin, en Iran, mais aussi en Occident. Il me semble qu’en attendant, l’Iran n’a de leçons à recevoir de personne à ce sujet. Quant à la question du voile, en France, je révèle volontiers ma confusion, lorsque sur une terre qui se dit laïque, le débat existe encore…
Barbara Kan //Auteure, voyageuse, fondatrice du site Moodstock
• Citoyenne critique et musulmane
Barthes conseillait de toujours définir le lieu d'où l'on parle...
Partant d'une notion critique élaborée, à très juste titre, par l'ethnologue Claude Lévi Strauss, "l'ethnocentrisme" est un délit d'aveuglement : on pense, on juge, on condamne un fait à l'aune de ses propres préjugés ou de ses postulats subjectifs, culturalistes. En France, le port du voile en est la victime toute désignée. On le juge et le condamne en le décontextualisant, en le ramenant à une pratique archaïque.
En tant que citoyenne critique (j'espère) je ne peux que m'ériger face à ces contre vérités nuisibles au "vivre ensemble". Enfin, en tant que musulmane (ne portant pas le voile) son port reste pourtant pour moi, un idéal. Idéal pour se rapprocher de Dieu, ainsi que le font les religieuses chrétiennes. Dieu, qui pour nous les croyants, n'est pas mort (même si en occident, elle a été décrétée depuis le 19ième siècle par ses penseurs, ses poètes ou ses révolutionnaires laïques) D'où cette impossibilité, peut-être, à saisir le sens du voile, incompréhensible pour notre société laïcisée à outrance.
Fatiha Dahmani // Enseignante, Scénariste, Auteure notamment de la pièce de théâtre Nerval ou le rêve et la vie (Éditions de l'Amandier)
• Libre de choisir
La logique implacable de cet imam qui se base sur un choix de société fait par les iraniens lors de la révolution de 1979 enferme tout un peuple dans un système qui semble contesté aujourd’hui par beaucoup d’iraniens. Cet imam peut-il souffrir l’idée qu’une vraie consultation démocratique en Iran remettrait les choses en cause? Et notamment la place de la femme dans la société iranienne? Et donc le choix, libre, de porter ou non le voile. Car c’est bien cette liberté que je défends.
Ce voile, ce hijab qui attire toute notre attention en occident, et plus encore en France, est un leurre qui nous empêche de repenser notre vision de la laïcité. Cette laïcité, pensée dès la révolution française, inscrite dans la loi en 1905 puis dans la constitution en 1958 doit être aujourd’hui reformulée pour une société qui est bien loin de celle qui a vu naître ce concept républicain majeur. Ne nous arrêtons pas au voile comme un épouvantail agité par ceux qui voudraient l’instrumentaliser pour renforcer un anti-islamisme latent. Il ne tient qu’à nous d’entendre ces femmes qui en France font ce choix en toute conscience religieuse ou culturelle, et parfois fort heureusement (contrairement à l’idée reçue) sans la pression d’un père, d’un mari, d’un frère.
Au nom de la laïcité nous n’avons pas le droit de stigmatiser ces françaises car la laïcité d’aujourd’hui devrait être la garantie par l’état d’une totale liberté de croyances et de pratiques tant qu’elles ne portent pas atteinte à qui que ce soit. Ce hijab couvrant les cheveux devrait être considéré comme un choix de femmes libres, au même titre que la décision de porter une croix pour certaines, un décolleté pour d’autres.
Sébastien Bailly // Réalisateur de Où je mets ma pudeur
SUIVEZ-NOUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX :
Facebook : http://www.facebook.com/iranienlefilm
Twitter : http://twitter.com/ZED_cine (#IranienLeFilm)