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Billet de blog 16 nov. 2015

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Face à l’horreur qui s’abat sur Paris ce soir, des changements profonds sont à attendre. La France est concernée, mais l’ensemble du monde également, tant il semble que la coïncidence entre ces attentats et la venue programmée dans deux semaines de l’ensemble des dirigeants mondiaux pour la COP 21 apparaît comme une punition pour la France mais aussi comme un défi lancé à l’ensemble de la communauté internationale. Mais l’horreur ne doit pas empêcher la réflexion, même à chaud.

On ne détruit que ce qu’on remplace. Une idéologie de mort et de violence ne peut donc se combattre que par une politique de justice et de progrès. Cela vaut sur le plan national et sur le plan international.

En interne, trop de personnes semblent aujourd’hui perdues, n’ayant plus de valeurs, de savoir ou de capacité de recul. Elles traversent l’époque hébétées, fragilisées et ouvertes à tous les vents, à toutes les influences, jusqu’au moment où le défaut de sens qui les étreint se cristallise sur la dernière accroche possible : le fanatisme et le terrorisme. Rien n’y fera : sans la restauration d’un sens de notre histoire nationale, sans culture générale et religieuse, et sans réforme politique interne et internationale, ce fléau ne sera jamais éradiqué.

L’histoire nous enseigne qu’il faut dépasser pour rassembler. Les valeurs républicaines, auxquelles tout le monde appelle sans les définir, ne sont pas innées. Elles se cultivent et s’entretiennent. Elles doivent dépasser chaque individu pour le convaincre de son appartenance à une aventure collective qui est celle de sa patrie, à défaut de quoi le morcellement et le repli sur soi prennent le dessus. Mais comment transmettre des valeurs tant on a confondu l’idée d’un roman national avec l’expression absurde d’un nationalisme étroit et borné et tant le relativisme absolu, c’est-à-dire l’idée qu’au fond toutes les opinions se valent et qu’aucune n’est vraiment légitime, est aujourd’hui la posture dominante dans notre société. Le roman national unit, le nationalisme divise, le relativisme éloigne. L’un vise à exalter des valeurs de générosité et de solidarité, l’autre cherche à développer l’esprit de supériorité d’un peuple sur un autre et le dernier renvoie chacun à son jardin et à ses oignons en lui faisant miroiter l’idée qu’il n’est pas grave que les différences s’accroissent dans une même société. Tout est une question de juste mesure. Ne nous étonnons pas sinon que le défaut de sens entraîne à son tour des actions insensées.

Restaurer un sens commun ne peut cependant se faire que si l’esprit républicain est fidèle à lui-même, que s’il permet des esprits larges et le goût du raisonnement. Et pour cela, il existe des moyens : instaurer une année obligatoire de culture générale à visée propédeutique à la fin du lycée, développer l’enseignement des religions à l’école (non un enseignement religieux mais une histoire contextualisée des religions, qui permette à chacun de se situer) ou encore renforcer l’enseignement de l’histoire et de l’éducation civique qui sont intimement liées.

Restaurer un sens ne suffit cependant pas si l’on ne permet pas aux gens de vivre correctement. La question sociale n’explique pas tout, mais l’on n’explique rien sans elle. Toutes les personnes plongées dans la misère ne basculent heureusement pas dans l’endoctrinement et le terrorisme, mais pour certaines, la misère facilite le passage tant il est vrai que les difficultés économiques entraînent toujours des replis identitaires et communautaires. Pendant trop longtemps, les besoins ont été ajustés aux moyens, alors qu’il faudrait ajuster les moyens aux besoins. La politique d’austérité conduit en permanence à déshabiller Paul pour habiller Jacques, quand elle ne conduit pas à les dévêtir tous les deux en même temps. Lorsque l’on donne à l’armée et à l’éducation, on donne moins aux politiques de l’emploi et du travail, moins au développement économique ou à l’aide au développement. Telle est notre réalité depuis plus de dix ans. Nous gérons une pénurie imaginaire de moyens, en grande partie à cause de l’absence d’une politique monétaire autonome et de notre focalisation sur la dette. Cela nous empêche même de donner suffisamment de moyens aux services de renseignement dont l’action est essentielle pour déjouer ce type d’attentats. En permanence, le jeu est à somme nulle. Une priorité efface une autre, au lieu de s’y ajouter. Notre société finit par en faire les frais, dans les quartiers délaissés mais aussi au-delà, par l’augmentation des inégalités, de la pauvreté et de la défiance, remettant en cause l’idéal d’une société juste.

Dans les ghettos se développent le chômage, les désillusions, la violence symbolique et sociale et le repli imaginaire sur une appartenance largement fantasmée. L’eldorado que beaucoup attendaient en Europe n’est pas là. Cela doit aussi nous conduire à réfléchir sur l’immigration en tant que phénomène social. Le défaut de volonté n’a jamais fait une politique. Les phénomènes d’intégration ou d’assimilation (la guerre sémantique entre les deux termes n’ayant que peu de sens) prennent du temps, plus encore en période de crise économique et sociale car les rouages ascensionnels sont grippés. Verser trop d’huile trop rapidement empêche la mayonnaise de prendre et de former un tout uni. Et indirectement, cette fracture sociale alimente les désillusions sur lesquelles le terrorisme compte pour recruter. Comme le dit Régis Debray, « une frontière doit être une passoire », elle doit servir à filtrer en fonction de ce que l’on peut et ce que l’on souhaite conserver à l’intérieur.

L’extérieur n’est pas à oublier pour autant puisque l’espace et le temps se sont désormais raccourcis sous l’effet des techniques de transport et des médias de masse. Plus encore qu’avant, la connaissance du monde est indispensable puisque les drames qui l’émaillent nous sont accessibles en permanence, sans recul ni contextualisation la plupart du temps. La violence qui touche aujourd’hui la France est semblable à celle que connaissent tous les jours d’importantes parties du monde, à commencer par le monde arabe. Sous de bons sentiments et de faux prétextes, nous en sommes en partie à l’origine.

En contribuant à déstabiliser l’Irak, la Lybie, puis la Syrie, nous avons participé à l’émergence de forces politiques radicales que ces Etats contribuaient à contrôler et qui ont aujourd’hui force de symboles pour les plus islamistes les plus radicaux à travers le monde. La Syrie devient une nouvelle guerre d’Espagne dans l’imaginaire de jeunes du monde entier. Certes, le caractère autoritaire de ces Etats ne faisait et ne fait toujours aucun doute dans le cas de la Syrie. Ils permettaient néanmoins de conserver unies des populations divisées, autour d’une idée adaptée de la laïcité. Nous avons désormais le règne des tribus et le fantasme d’un califat du désert, dont les moyens énormes nourriront le terrorisme pour plusieurs années encore, bien au-delà du Moyen-Orient. Une guerre de trente ans s’est ouverte dans cette région, dans laquelle chiites, sunnites, kurdes et autres minorités s’affrontent sans que l’Occident ne sache définir une position.

Tout n’est pas à jeter pourtant : l’intervention de la coalition en Afghanistan, comme l’intervention française au Mali, visaient directement à empêcher l’établissement de bases islamistes radicales dont les buts étaient parfaitement clairs. Mais alors pourquoi, dans cette volonté de défense de l’avant, comme disent les militaires, ne pas appliquer le même principe à l’Etat islamique ? Nous n’avons eu aucun mal à renverser un dictateur comme Saddam Hussein, pour des motifs pour le moins inexacts et intéressés, mais nous ne pouvons rien faire contre un royaume qui est aujourd’hui le cœur et l’âme du terrorisme d’inspiration islamiste radicale ? Et nous laissons le soin à la Russie d’intervenir, sans lui épargner pour autant les critiques alors qu’elle agit là où notre honneur et notre sécurité auraient commandé que nous soyons en première ligne.

Remarquons ceci : parmi les Etats déstabilisés figurent l’Irak et la Syrie, deux régimes baasistes, c’est-à-dire d’inspiration laïque et sociale malgré leur tournure totalitaire, et la Lybie, dont l’inspiration idéologique était proche malgré une personnalisation à outrance du pouvoir à travers la figure de Khadafi (avant de s’effondrer dans la guerre, la Libye avait l’IDH le plus élevé de tout le continent africain). A l’inverse, les rébellions dans toutes les monarchies arabes, islamistes ou non, mais surtout alliées des pays occidentaux malgré le fait qu’elles prônent et financent l’expansion d’un islam radical et rétrograde à travers le monde, ont été étouffées sans aucune protestation de la part des pays occidentaux. A tel point qu’on oublie que ces Etats (Arabie Saoudite en tête) ont participé activement, au moins au début, à l’émergence des groupes islamiques armés qui ont préfiguré l’émergence de l’Etat islamique. Faut-il insister sur la contradiction inhérente à ces deux postures simultanées ?

Evidemment, tout ne dépend pas de l’Occident. Mais la question d’Orient a toujours été aussi une question d’Occident, comme le rappelait l'historien anglais Arnold Toynbee dans les années 20, puisque notre influence dans la région est historiquement, culturellement et politiquement ancrée. Nos mauvais choix, nous les payons aujourd’hui : tantôt nous avons joué les dictatures contre les islamistes, tantôt l’inverse, oubliant toujours le seul camp que nous aurions vraiment eu intérêt à favoriser, à savoir les démocrates arabes, aujourd’hui marginalisés. Ce ne sont pas les démocrates, qui demandaient des réformes progressives, conscients du contexte de leur société, que nous avons aidé en Syrie ou en Lybie, ce sont des mouvements radicaux armés.

La Palestine intègre également cette équation. Dominique de Villepin l’a exprimé avec clarté au lendemain de la guerre de Gaza en 2014 : « Nous n'avons pas le droit de nous résigner à la guerre perpétuelle. Parce qu'elle continuera de contaminer toute la région. Parce que son poison ne cessera de briser l'espoir même d'un ordre mondial. Une seule injustice tolérée suffit à remettre en cause l'idée même de la justice ». Tant que nous ne réglerons pas cette question, elle continuera d’empoisonner l’imaginaire et la réalité vécue par des millions de gens, en Palestine et bien au-delà de la Palestine. Et pourtant Israël connaît la méthode : il a fait la paix avec l’Egypte contre la libération de son territoire, pareil avec le Liban et la Jordanie. Mais il empêche toujours l’émergence d’un Etat palestinien viable. Il faut appeler à des sanctions face à cet apartheid, sans quoi l’aveuglement actuel des dirigeants israéliens continuera d’ajouter au désordre du monde.

Il faut enfin cesser de faire l’amalgame entre tous les mouvements islamistes : non les modérés n’ont rien à voir avec les radicaux. Le Hezbollah combat l’Etat islamique, a fait alliance avec des formations politiques chrétiennes et possède des hôpitaux et des écoles qui accueillent aussi bien des chrétiens que des musulmans, chiites ou sunnites. Les Frères musulmans n’ont jamais appelé à détruire les vestiges historiques de Syrie et d’Irak et à égorger tous les chrétiens, et l’AKP n’a pas instauré une dictature islamique en Turquie. Evidemment, beaucoup de leurs choix et de leurs ambitions peuvent légitimement être critiqués ou combattus, mais il est absurde de les confondre avec les fous sanguinaires qui terrorisent aujourd’hui le monde. En pratiquant l’amalgame constant, nous faisons le jeu des plus radicaux qui défendent l’idée que l’Occident ne s’entendra jamais avec aucun musulman, modéré ou non. Nous leur offrons ainsi l’occasion de rejeter tout dialogue, et c’est la seule chose qu’ils souhaitent.

Il y’aurait encore beaucoup à dire mais ces quelques réactions étaient écrites à chaud, inspirées par le dégoût et par la volonté de le dépasser…

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