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Billet de blog 29 septembre 2025

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Les polémiques dans le champ des psychédéliques

Il y a quelques jours, une interview de deux heures d’Hamilton Morris a été postée sur YouTube. Vous connaissez peut-être Hamilton Morris pour ses reportages géniaux sur les psychotropes dans Vice. Mais l'interview pose un certain nombre de problèmes. 

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Hier, une interview de deux heures d’Hamilton Morris a été postée sur YouTube et risque de mettre un beau bordel dans la communauté psychédélique.

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Vous connaissez sûrement Hamilton Morris pour ses reportages géniaux sur les psychotropes dans Vice. C’est vraiment à voir si ça n’est pas le cas.

Dans cette interview, il dénonce la campagne anti-MDMA menée en 2024 par des activistes du groupe Psymposia. Et bien qu’il apporte des éléments intéressants, sa posture est problématique par bien des aspects. Ça manque de nuance, ça polarise le champ des psychédéliques, ça minimise certains problèmes importants. À voir avec un œil TRÈS critique donc, mais à voir quand même, surtout si vous évoluez dans ce domaine, quelle que soit votre discipline/votre position (académique, scientifique/médicale, psychonaute…)

Avant toutes choses, pour poser les bases de la compréhension de la polémique, j'ai fait un point sur la situation du rejet de la mise sur le marché de la MDMA par la FDA en août 2024 dans la newsletter de la Société psychédélique française.

Morris commence par aborder la question des brevets déposés par centaines par des entreprises aux USA en lien avec les psychédéliques, et  décrédibilise complètement les travaux sur le sujet en expliquant que ces personnes créent des peurs inconsidérées. Pour vous faire votre avis, je vous recommande le travail essentiel de la journaliste Shayla Love sur le sujet, attaquée justement dans l’interview, qui a par exemple donné une conférence à la Breaking Convention de 2023 . Ça vous permettra d’avoir un regard critique sur ce que raconte Morris.

Son argument, c’est que combattre le dépôt de brevet sur des trucs qui sont impossibles ou totalement illégaux pour le moment détourne les gens qui s’intéressent à ces questions de combattre le vrai problème qui est la prohibition. Pour moi c’est le même argument que de dire « les féministes qui se battent pour l’écriture inclusive passent à côté des VRAIS sujets comme les violences faites aux femmes ». Mais euh… on peut très bien faire les deux en fait, et c’est ce qui est fait d’ailleurs dans le champ des psychédéliques. Sauf qu’assener ça avec beaucoup d’assurance comme le fait Morris empêche de s’en rendre compte. Pour le « grand public » qui n’a pas une vision un peu large du champ, ça donne une impression fausse.

Il fait aussi une défense unilatérale de Rick Doblin, qui oui, a fait des choses géniales et doit être reconnu pour son travail essentiel sauf que Morris dit carrément que Doblin « a tout fait aussi bien que c’était possible ». Mais non en fait, et c’est pas grave, personne n’est parfait. Par exemple quand Doblin affirme qu’avec la MDMA il n’y aura plus de trauma en 2070, ça dépolitise toute la question ! Vous pouvez donner autant de MDMA à quelqu’un, si vous ne réglez pas les problèmes de société qui ont permis ce trauma en premier lieu, on risque pas d’en éradiquer la possibilité... Doblin est plein d'affirmations problématiques comme ça (il déclare lors d'une conférence avoir donné de la MDMA à son chien, il propose à ses enfants de faire un "rite de passage" à leurs 13 ans en prenant soit de la MDMA soit du cannabis avec lui et sa femme...). En faire une figure iconique ça n'est pas très objectif.

Morris affirme que c’est Rick Doblin qui a designé la psychothérapie assistée par psychédéliques (PAP) avec deux thérapeutes (un homme et une femme) spécifiquement pour éviter les abus sexuels, c’est faux, ce modèle est inventé en 1957 par Betty Eisner et pas pour éviter les agressions sexuelles mais pour faciliter le processus de transfert. Il explique que malheureusement un thérapeute a eu une relation de deux ans avec une ancienne patiente qui avait pris de la MDMA lors d’un essai clinique et que ça a créé un scandale, or c’est au sein même de la thérapie qu’il y a eu des pratiques condamnables et répréhensibles avec la mise en place d’une situation d’emprise, voir ce thread sur Twitter et cette vidéo qui montre la séance en question.

Pour illustrer son propos, ils ont mis une image de Ben Sessa, qui est un autre thérapeute utilisant les psychédéliques ayant été condamné pour avoir eu une relation avec une de ses patiente, patiente qui s’est ensuite suicidée, je détaille cette affaire ici. Ça donne l’impression que c’est une même affaire : non, et des comme ça il y en a un paquet, bien documentées depuis les années 80 (et j’ai des échos de cas similaires aujourd'hui en France/Belgique avec des psychiatres ou « pseudos thérapeutes », je parle de tout ça dans le podcast Thérapies Psychédéliques).

A Montpellier ce 30 septembre 2025, un gourou utilisant du LSD et se prétendant psychothérapeute vient d'être condamné à 18 ans de prison.

Cette minimisation du problème est aussi visible dans le passage où il affirme sans apporter aucune preuve qu’une des membres de Psymposia a « tenté de détruire un homme indigène avec qui elle avait eu des relations sexuelles consensuelles » alors que la personne en question décrit des viols et une situation d’emprise ; je ne connais pas la vérité de cette histoire, mais à minima pour nier l’expérience de quelqu’un qui dit être victime de viol avec autant de détails, il faut amener des preuves. Les affaires de viols dans les cérémonies à l’ayahuasca sont documentées depuis les années 90.

Durant toute l’interview Hamilton Morris balaie d’un revers de la main les faits d’agressions sexuelles dans le milieu en expliquant que ces activistes sont payés par Usona pour détruire MAPS et Compass. Mais ce problème de financement ne justifie pas qu’on cesse de s’attaquer effectivement aux violences sexuelles !! Et c’est dramatique parce que cette manière de créer deux camps (ce qu’à commencé à faire Psymposia en premier d’ailleurs hein, iels sont coupable de ça à la base), empêche de se concentrer sur ce qu’il faut adresser, étudier et régler dans le milieu.

Ah et la psychophobie permanente là… il appelle toutes les personnes qu’il accuse des « psychos » (des fous), faut arrêter de faire ça hein, merci.

Dans un mois je suis invitée par l’Université de Madison, aux USA, pour un symposium sur les psychédéliques, organisé… à Usona 😳 Bon, c'est pas eux qui m'invitent, pour l'instant je n'ai pas de conflits d'intérêt, promis ! J’y vais aussi pour documenter ce lieu, qui est assez dingue, un peu le Disneyland pour millionnaires sur les psychédéliques.

Illustration 2
Une des salles du complexe d'Usona Institute

Évidemment je vous ferai partager tout ça sur mes réseaux sociaux ! Et… il y aura Shayla Love (que je ne connais pas personnellement), qui y présentera son travail. L'interview de Morris me permettra d’être particulièrement vigilante et attentive quant aux dynamiques en place.

J’aimais beaucoup le travail de Neşe Devenot avant l’affaire de la FDA. J’ai passé plusieurs jours avec iel au Mexique peu de temps avant que tout ça explose. Je pense qu’iel a apporté énormément à la réflexion politique sur les psychédéliques. Ses articles restent des contributions majeures pour comprendre et avoir un regard critique sur ce champ. La question du financement possible de sa démarche n’est pas suffisante pour l’expliquer. Je pense qu’il y a des tensions personnelles entre iel et Doblin/MAPS qui restent à élucider, Devenot ayant travaillé pour MAPS il y a  des années. Iel a aussi en partie raison de mettre en lumière les traditions de pratiques controversées dans la PAP, dont je retrace historiquement l’origine (ça n’est pas encore publié, ça sera dans mon livre, iel n'en a donc pas connaissance, je me demande comment ça va être reçu par les deux parties vu les polémiques…). Mais sa posture « j’ai contribué à l’histoire », le fait qu’iel manipule un peu ses sources, décrédibilise tout son propos malheureusement.

Illustration 3

Pour terminer, je trouve la posture d’Hamilton Morris caricaturale et orientée, c’est bien dommage, ça empêche d’avoir une vision nuancée des problèmes. Parce que des problèmes, il y en a, et cette manière d’aborder les choses ne permet pas de les résoudre. Psymposia et Neşe Devenot ont mis en lumière des faits graves auquel il faut se confronter pour avancer, et qui sont par ailleurs en partie aussi soulignés par d’autres chercheurs dans des publications scientifiques. Morris et d’autres comme la sociologue Joanna Kempner dénoncent les problèmes liés aux gueguerres internes, au financement de la recherche, à la corruption des journalistes. Ça n'est pas spécifique au domaine des psychédéliques tout ça, et c’est un bon signe que la communauté s’y penche. Mais ça n’est pas en lançant dans un camp comme dans l’autre des accusations personnelles, sans preuves, et en minimisant les problèmes soulevés parce qu’ils viennent de l’autre côté, qu’on va faire évoluer la situation.

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