De nombreuses personnes racisées - c'est-à-dire victime d'une idéologie hiérarchique en fonction de prétendues races -, sont fouillées, ainsi que d'autres adolescents ou jeunes adultes principalement. Avant même le début de la marche, les policiers semblent vouloir intimider les personnes demandant justice pour le jeune Nahel, exécuté d'une balle en plein cœur par un policier . Un groupe de jeunes garçons, entre onze et quinze ans, s'approche d'un policier et l'aborde. Par volonté d'être témoin si les choses dégénèrent, je tends l'oreille. Ces jeunes, tous racisés, se pressent autour des policiers et les questionnent sur la raison des fouilles. Ils ne sont pas impressionnés par eux malgré leur jeune âge, ce qui laisse supposer qu'ils ont souvent affaire aux uniformes. L'un des mineurs commence à raconter à un des policiers qu'il a subi des violences deux jours auparavant, à Cleunay, l'un des quartier défavorisé de Rennes. Le policier tient sa posture, et tente d'ignorer les jeunes garçons tandis que des collègues derrière lui procèdent à des fouilles et des vérifications d'identité. Le communiqué d'Alliance avait mis en garde : il faut se débarrasser "des nuisibles". Le jeune mineur insiste, le policier fini par lui demander de lui montrer ses blessures, sans vraiment y croire. C'est alors qu'estomaquée, je vois cet enfant lever son t-shirt et laisser entrevoir sa cuisse où sont visibles à chaque endroit deux bleus énormes, circulaires, qui ne laissent pas le doute qu'il s'agit là de trace de blessures par LBD, ces fameuses armes qui ont déjà éborgné à plusieurs reprises et dont l'usage est remis en question par de nombreux organismes et associations, comme Amnesty (Albertini, 2023). Semblant surpris, le policier fronce les sourcils avant de se ressaisir et de décréter qu'on ne tire pas sans raison. Je demande au garçon qui ne dépasse pas le mètre cinquante son âge : treize ans. Je me sens alors honteuse. Honteuse de mes tremblements dans la foule, lorsque l'on se trouve au centre-ville dans nos révoltes de petits-bourgeois, honteuse de cette peur au ventre et de cette gorge qui se noue à chaque manifestation où je me rends. Honteuse de partir avant la fin des heurts par peur d'être blessée. Mais surtout, honteuse que de jeunes garçons soient si habitués à la violence qu'ils reçoivent des balles sans broncher, allant sans la moindre panique montrer à leur agresseur potentiel les coups reçus.
Le gouvernement actuel, doté d'un premier ministre et d'un président qui ne cessent de faire des clins d'œil à l'idéologie d'extrême droite, et qui n'a cessé de faire appel aux forces de l'ordre pour le protéger et le maintenir en place, peut-il se permettre de condamner un policier ? La solidarité du corps policier et les conséquences qui pourraient s'ensuivre font douter d'une telle condamnation. Mais peut-il fermer les yeux sur le racisme systémique qui subsiste en France, résidu d'un long passé colonial, quitte à laisser s'embraser toute une partie de la France qui, depuis l'inflation, vit en plus avec une épée de Damoclès au dessus de la tête ? C'est un pari risqué, c'est pourtant celui que semble prendre notre cher président.
Plusieurs lectures de l'évènement se dessinent. Nous observons le plateau de BFM TV, qui ces derniers jours a invité l'avocat Laurent-Franck Liénard, l'avocat du policier tardivement mais dernièrement mis en examen, Eric-Dupond Moretti, l'actuel ministre de la justice, mais aussi Jordan Bardella, président du Rassemblement National. Ce n'est pas tout. Deux autres vidéos sont diffusées : "Émeutes: le témoignage d'un policier dans une brigade de nuit des Hauts-de-Seine" mais également "Le poste de sécurité de la prison de Fresnes attaqué par des émeutiers". Si la ligne éditoriale de BFMTV est claire depuis que Marc-Olivier Fogiel en est le directeur, qui interdit par ailleurs l'usage de l'expression "violences policières", les journalistes font tout de même mine de faire leur travail en s'opposant à leur interlocuteur, soutenant ainsi la devanture plus modérée d'Emmanuel Macron. Autrement dit, le bras de fer entre LREM et le RN est entrain de se jouer. Macron est en quelque sorte piégé : il ne peut à la fois soutenir la police dans ce qui a été une exécution sommaire d'un jeune garçon, mais il ne peut à la fois s'opposer à la police, déjà bien partisante du RN, et qui a permis qu'il tienne jusqu'ici ses mandats. Funambule sur un fil gelé, le monarque semble avoir fait son choix : glisser vers l'extrême droite pour se maintenir, au péril de la sécurité du peuple face à la police et en particulier de ceux logeant en banlieue, fermant encore une fois les yeux sur le racisme systémique et les meurtres commis par l'institution policière. La prise de parole d'Emmanuel Macron depuis la cellule de crise est on ne peut plus claire sur son choix de garder la police auprès de lui quitte à alimenter la xénophobie déjà si présente en France. De ceux qui se réunissent pour dénoncer la violence de l'institution policière qui les contrôle, les mutile, les tue depuis des décennies, Macron affirme qu'ils instrumentalisent la mort d'un enfant. Aux familles si peu aidées et délaissées, il appelle "tous les parents à la responsabilité". Si le chef d'Etat a prononcé ces mots en visant les participants aux marches blanches et aux manifestations, on ne peut s'empêcher de songer à ce qu'a rétorqué l'extrême droite à la mère en deuil du jeune Nahel.
Tandis que le RN use toujours d'un imaginaire raciste et lie honteusement cette affaire à l'immigration, le gouvernement, qui les a laissés s'exposer sur les plateaux de télévision, penche dangereusement dans leur sens. En réduisant ce qui s'est produit à un pur acte individuel, en confondant les manifestants avec des émeutiers, le mot violence avec celui de vandalisme, et en appelant "tous les parents à la responsabilité", la gouvernement promet là de fermer encore une fois les yeux sur la violence systémique de la police, le manque de sélection comme de formation en son sein, et le racisme d'Etat dont nous nous passerions bien. RN, macronistes, bonnet blanc ou blanc bonnet ? Ce qui est certain, c'est que les colons ne sont pas prêts de quitter les lieux, à moins qu'on les en chasse.