Dressés, l’œil furtif, ils ne font pas un bruit. Qu'observent-ils ? Que cherchent-ils ? Leurs regards se croisent sans jamais se confondre. Il semble pourtant si semblables. Ce chasseur, dressé sur ses deux jambes, silencieux et furtif, de cet animal, qui l'observe, interrogateur, inquiet, mais aussi désarmé. Un bon chasseur doit connaître sa proie : il reproduit son sifflement, se fait aussi discret que cette dernière, et se faufile sur son territoire. Mais alors, pourquoi leur regard se croisent-ils toujours sans jamais se confondre ? Je vais vous le dire. Si un chasseur n'hésite jamais à décocher sa flèche, c'est à cause des mots. Les mots ont le chic pour raconter des histoires, sans que l'on s'interroge jamais sur ces dernières. « Nuisibles », « prolifération », « maladie », il en faut peu pour dresser les hommes contre les bêtes, et parfois même les hommes contre des hommes.
Importés au XIXème siècle d'Amérique du Sud pour sa fourrure, elle est cependant vite passée de mode, et les ragondins sont alors relâchés dans la forêt sans autre mesure, et s'y sont reproduits. Les hivers devenant plus doux, et les ragondins craignant le froid, leur population n'a fait que croître. Creusant des galeries qui sont leur habitat, nos berges s'effondrent causant de graves inondations. À côté de l'homme et des dégâts qu'il cause à la biosphère, le ragondin n'est qu'un amateur. En Amérique du Sud, où il devrait se trouver, le ragondin a suffisamment de prédateurs pour que sa population soit régulée. Les chasseurs ont aussi massacré jusqu'aux derniers des prédateurs pour pouvoir chasser. L'homme oublie souvent, sous couvert des mots, ses bêtises.
« L'heure n'est pas à l'action syndicale, mais au combat contre ces nuisibles », martelait le communiqué d'Alliance, syndicat de police, en réponse aux révoltes qui ont éclatées suite au meurtre du jeune Nahel, abattu froidement d'une balle dans la poitrine par un policier.
- Ils reviennent sans cesse, souffle le chasseur.
Et la petite bête se murmure à son tour, sans être entendue : ils reviennent sans cesse.
Il est trop tard. La flèche a été décochée, et déjà gît dans l'eau stagnante le corps de la pauvre bête. Le chasseur s'approche, sans émoi pour cette petite bête aux pupilles pourtant si semblables aux siennes. Il sort son opinel et s'empresse de lui mutiler la queue, pour courir chercher sa mince récompense.