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Billet de blog 3 janvier 2025

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La rage, la peur, la colère... et l'espoir

J'ai écrit ce texte avant une réunion d'organisation du Nouveau Front Populaire à laquelle on m'avait demandé de prendre la parole, en tant que jeune engagée. « J’ai toujours eu la foi, l’espoir, que l’amour et la joie emportent tout. Aujourd’hui je doute, j’ai peur, je suis en colère, j’ai la rage, je suis atrocement triste et parfois terriblement sans espoir ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bonjour à toutes et à tous,

Par quoi commencer ? 
Je m’appelle Zoé Delabre, j’ai 28 ans, je suis cuisinière artisane engagée pour l’alimentation durable pour toutes et tous. Actuellement, je suis co-gérante et cheffe du restaurant Matahari Boui-Boui à Ars-en-Ré.

Notre entreprise existe depuis plus de 7 ans et depuis le début de cette histoire nous avons cessé de nous remettre en question et d’essayer de faire du mieux que nous puissions pour faire exister un nouveau modèle de restaurant. Nous nous considérons comme faisant partie du mouvement Slow Food et nous opposons à toute forme de travail sans qualité et donc à l’industrialisation de la cuisine, la violence, le sexisme et toute autre forme de domination.

Voilà, j’avais envie de vous raconter une histoire.
J’ai commencé à travailler en cuisine car j’étais passionnée par ce qu’elle transportait, les odeurs, les souvenirs, les sourires, les rires, les larmes, les histoires d’amour, les histoires politiques, les liens du coeur qui ne tiennent qu’au souvenir d’un repas partagé… et surtout par amour des aliments, les petites graines trop mignonnes qui glissent le long de mes doigts, les légumes feuilles qui me remplissent de joie par la complexité de leurs formes, la poésie des casseroles fumantes, la sensualité des fruits trop mûrs, la douceur des farines sur ma peau, sentir l’eau couler sur mes mains quand je lave des herbes : parfois même, j’imagine que je suis loin en mer et que je me transforme en poisson et quand je frotte un champignon, que j’imagine toutes ces ramifications de mycelium, fondement de la vie sur terre : je me dis, que je suis là pour ça, pour être au service de cette vie, au service de cette magie.

J’ai les larmes aux yeux, parfois, quand je vois des minis légumes, comme si, des enfants venaient de naitre.

Quelle difficulté d'entrer dans des supermarchés et de voir, ces petits bébés sous plastiques, traités comme de vulgaires objets sans vie auxquels on a enlevé leur sacré.

J’ai commencé la cuisine car je suis persuadée que je peux changer le monde avec mon assiette. Seulement, nous avons toutes et tous une assiette et je veux remplir toutes vos assiettes d’espoir et d’actions politiques, de saveurs sensées, de légumes vibrants, vivants, dansants.

J’ai toujours eu la foi, l’espoir, que l’amour et la joie emportent tout. Aujourd’hui je doute, j’ai peur, je suis en colère, j’ai la rage, je suis atrocement triste et parfois terriblement sans espoir.

Je suis fatiguée d’expliquer, de répéter… que l’écologie n’est pas une passion, un hobby, mais plutôt une fatalité, un choix que nous n’avons pas, du temps que nous n’avons plus. Que si nous sommes privilégié.es, blanc.ches, de classe moyenne, valide etc, nous ne pouvons pas regarder ailleurs et que nous devrions utiliser ces privilèges pour que toutes et tous soient libres. Je suis fatiguée d’entendre « mais, il est-où le plaisir ? » quand toute ma pratique de la cuisine est fondée sur le plaisir même. Le plaisir… de toucher des légumes, de se souvenir des personnes qui travaillent avec la terre pour je puisse manger, de me lécher les doigts de bonheur en pensant aux petites pousses que j’aide à voir grandir en choisissant de travailler avec des producteurs.ices respectueux.ses ,de savoir que ce que je mange ne détruit ni le sol, ni de vies, le plaisir, encore, de voir les sourires gourmands…ne sachant pas encore que pour manger il faut de l’énergie. De l’énergie humaine, technique, politique, militante, électrique, animale.

Je suis perdue.

J’ai envie de continuer à cuisiner haut et fort pour les personnes qui en ont besoin, de réparer des cœurs à coups de saveurs, de choisir de participer à une économie du vivant, de contourner les schémas faciles car… n’est-ce pas si délicieux, ce sentiment de déconstruire, de tout péter, tout changer, déplacer les meubles, se couper les cheveux, mettre une nouvelle robe… pour tout reconstruire à l’endroit, dans le sens du vivant, de l’humain, de l’amour.

La cuisine se doit d’être accessible à toutes et à tous.

Tant d’énergie passée à faire de jolies assiettes, qui coûtent chère en argent, en énergie humaine et en force d’action ; alors oui, c’est beau, c’est de l’art, c’est important. Mais, est-ce plus important que des assiettes vides, des assiettes malades, pleines de pesticides, d’injustices, de tristesse, de deuils et de souffrances ?

Je me questionne, sur la place de la lutte des classes dans nos assiettes, du racisme dans nos assiettes, du sexisme dans nos assiettes.

J’écris ces mots, avec beaucoup d’humilité, comprenant que je ne sais rien, que j’apprends chaque jour, que je suis autant élève que professeure.

Lorsque je doute si fort, que je n’ai presque plus d’espoir, souvent je fais la cuisine avec toute mon âme. J’y mets toutes mes plus belles intentions, ma force d’action, ma douceur, ma tolérance, mes plus beaux pas de danse, ma patience… et je recommence, me souvenant que jamais je ne serai assez fatiguée pour arrêter de lutter. 
Lutter... oui, mais pas seulement avec des mots, des idées et des bonnes intentions. Lutter par l’action. Lutter par amour. Lutter par don de soi. Lutter parce qu’on a plus le choix. Lutter haut et fort.

Cet hiver, j’ai eu la chance d’être bénévole pour plusieurs ONG.
D’abord, celle du Capitaine Paul Watson, co-fondateur de Greenpeace et fondateur de Sea Shepeard : nous avons passé un long temps en mer, sur la manche, à suivre de près les chalutiers usines qui pillent les océans et raclent les fonds marins. J’ai été sidérée, complètement bouleversée de voir cette horreur de mes propres yeux, même en ayant vu ces images des dizaines de fois sur un écran, je balbutiais et en y repensant, à chaque fois, un frisson me traverse de part en part.
Et puis, ne pouvant plus rester tranquille sur mon temps libre, me disant que si je ne fais rien, je brule et me consume, comme le reste de la nature. Je suis partie rejoindre l’équipe de l’ONG Louise Michel.

Louise Michel, c’est un bateau rose financé par la vente d’oeuvres de l’artiste Banksy, qui part en mer, sur la Méditerranée, sauver des vies.

Des vies de vraies personnes, des personnes qui migrent, qui quittent tout, leur pays, leur famille, leurs foyers, leurs cultures, leurs saveurs, leurs langages, leurs enfants, leurs parents.

Beaucoup meurent en tentant cette traversée à cause de la politique migratoire européenne. Ils sont bloqués et se noient devant une forteresse pleine de trésors pillés et de privilèges mal acquis. 

Cette forteresse, c’est l’Europe.


Si les gens migrent aujourd’hui ce n’est pas pour voler le travail des braves gens, ni pour violer des femmes.

D’ailleurs, ce mensonge honteux lancé par Marion Maréchal Le Pen et autres candidat.e.s du Rassemblement National, disant que les agresseurs sont toujours des personnes migrantes et racisées est complètement faux : dans 90% des cas, la victime connaissait son agresseur. Les agresseurs sont potentiellement tous les hommes, nos frères, nos cousins, nos pères, nos amis. L’agresseur n’a pas de couleur de peau ni de portrait robot sauf celui d’être masculin.

Si les gens migrent et continueront de migrer c’est à cause de la colonisation, du pillage de leurs ressources, de contextes politiques envenimés par nos gouvernements occidentaux, du changement climatique causant sécheresses, inondations, feux de forêts, chaleurs assassines et famines. Les mouvements de population ont toujours existé et chacun.e devrait pouvoir se déplacer à sa guise.

N’oublions pas que nous avons de la chance d’être né.e.s avec un passeport très, très, privilégié.

Seulement moi, maintenant, j’ai honte. J’ai honte d’appartenir à un pays livré aux mains des fascistes qui ne se cachent plus d’être ouvertement racistes, homophobes, climatoseptiques et sexistes.
J’avoue que j’ai toujours cru dur comme fer à la légende du colibri qui dit que si chacun.e faisions notre part, ce serait suffisant pour éteindre le feu.

J’ai compris que le feu est immense et que certain.e.s l’attise à grand coup de haine. Je ne crois plus seulement au colibri mais à une armée de colibris prête à faire passer des lois pour punir les écocidaires, taxer les riches, laisser passer les gens aux frontières et agir pour le climat et la biodiversité, soutenir les femmes et la santé ainsi qu’une agriculture durable et une alimentation accessible à toutes et tous.

Il m’est très difficile aujourd’hui d’essayer de convaincre avec des mots rationnels et sages le pourquoi du comment il y’a urgence, que le racisme, le sexisme, l’homophobie et j’en passe sont inacceptables quand tout ça me parait tellement… évident.

Ce sont des questions de vie… ou de mort.

Je ressens que je n’ai plus vraiment envie de ramener des décisions politiques à des problèmes personnels ou de territoire, je ne comprends pas pourquoi certain.e.s craignent pour leur sécurité en premier avant de penser à la solidarité internationale. 

Je ne comprends pas toujours les codes de la politique et j’ai souvent vu ça comme une grande mascarade, une grande pièce de théâtre où se joue les plus belles guerres d’égos. J’ai voulu arrêter de voter, penser l’anarchie individuelle, me disant que si au moins moi, j’agis, c’est déjà ça, parce qu’à force d’essayer de convaincre je me suis fatiguée et je me suis résignée.

Je ne comprends pas… beaucoup de choses.

Vous aurez beau essayer de m’expliquer qu’on peut comprendre que les gens réagissent comme ça, que la dédiabiolisation du RN etc et bla bla bla…. Je ne comprends pas comment on peut encore fermer les yeux quand le feu fait autant de lumière. 


Je raconte tout ça aujourd’hui pour vous dire que je suis partagée depuis quelques mois et encore plus depuis quelques semaines par des vents contraires  : j’ai la peur, la rage, le feu, la colère, la tristesse, la honte etc MAIS depuis que le Nouveau Front Populaire existe j’ai, un peu, (un peu) la foi et l’espoir de voir naitre une nouvelle société et je pourrai encore parler des heures de tout ce que j’espère de cette nouvelle alliance, de ce mouvement qui se crée et se nourrit chaque jour.


Alors, merci à toutes les personnes qui oeuvrent pour que le Front Populaire vive, à celles et ceux qui sauvent des vies sur l’océan, qui oeuvrent pour le vivant et la solidarité, la justice sociale et climatique, celles et ceux qui aiment librement qui iels veulent, quand iels veulent et surtout, surtout à toutes ces femmes qui me portent.  

Merci à vous de m'avoir lue. 

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