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Billet de blog 27 avril 2011

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Nous sommes dans l'innommable

Nous savons tous que le choix de l'énergie nucléaire est un choix d'apprenti sorcier. La totale maîtrise est le délire de l'homme, qui témoigne de son hostilité pour toute la partie de la réalité qu'il ne maîtrise pas (à commencer par le fait qu'il est mortel et qu'il n'en maitrise ni le jour, ni l'heure, ni les circonstances!!)

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Nous savons tous que le choix de l'énergie nucléaire est un choix d'apprenti sorcier. La totale maîtrise est le délire de l'homme, qui témoigne de son hostilité pour toute la partie de la réalité qu'il ne maîtrise pas (à commencer par le fait qu'il est mortel et qu'il n'en maitrise ni le jour, ni l'heure, ni les circonstances!!) Ce déni de la limite de ce qui est en son pouvoir, lui revient en « pleine figure » et le met dans l'emprise de la Loi de l'Oeil pour Œil, Dent pour Dent. Dans le discours du gouverneur de Tokyo, Mr Ishihara Shintaro, « la vengeance céleste » qu'il évoque, malencontreusement, certes, à propos du désastre consécutif au séisme du 11 mars, peut être entendue comme une figuration de ce retour en boomerang, de l'omnipotence de l'homme qui se prend pour Dieu. Cet homme « sans foi ni loi », sans limite, cet homme fou que fabrique la grande dérèglementation du Marché ... érigée en Loi.
Car la catastrophe de Fukushima qui met le Japon en état de choc, n'est pas seulement « la faute » de la nature et de sa violence, mais de l'inconscience de l'homme à s'être permis de dérèglementer le jeu des échanges économiques. Ouvrant la porte à une escalade des pulsions les plus archaïques de l'espèce humaine. La concurrence « libre et non faussée » selon l'expression fabriquée par ce Marché du diable, n'est qu'une modalité du droit au parricide, au fratricide, à l'infanticide etc.. Il ne renvoie pas à la rivalité fraternelle dynamique, stimulante, mais à celle meurtrière de Caïn et d'Abel. « Libre et non faussée » cela veut dire : libérée des limites qu'imposent les <Interdits> ... fondateurs des sociétés humaines ! Selon l'expression jadis utilisée.
L'on ne peut penser le lobby nucléaire en dehors de ce contexte du Marché, où tout est bon, même les conséquences mortifères qu'il engendre du moment que cela profite à son « business ».
Si bien que la catastrophe (pour la part qui n'est pas à mettre sur le dos de la nature) se présente comme la facture de cette autre violence meurtrière, qui, elle, vient de l'homme, à se prétendre au dessus des Lois. Tout en fabriquant des lois « hors la Loi » qui prolifèrent comme un cancer généralisé. Car c'est l'homme qui a fabriqué le nucléaire. C'est lui, qui malgré l'usage inaugural qui en a été fait à Hiroshima, en « solution finale » d'une guerre qui n'arrivait pas à trouver son terme, s'entête à en faire une énergie du futur. Pour la raison que les profits à en tirer sont juteux.
Il suffit de voir comment Areva, à l'heure où le Japon connaît une catastrophe (dont nous savons aujourd'hui qu'elle est à la hauteur de Tchernobyl) qui devrait remettre en cause l'avenir même du nucléaire ... s'active pour se faire coter en Bourse. Le but étant de rendre la privatisation irréversible, selon un schéma prévu de longue date ... (Médiapart 31 Mars 2011)
Dans ce monde Hors la loi, la seule Loi que nous sommes en droit (et en devoir) de considérer comme légitime, pour retrouver le cap d'un progrès dans l'ordre de l'humain (qui est celui de notre espèce) ... c'est le fait que la Vie nous a été transmise. Nous n'en sommes pas les fabricants !! n'en déplaise à la Science à Frankenstein. Qui n'a renversé les dieux que s'étaient fabriqué les hommes que pour se mettre à leur place. Ètant de passage sur terre, le sens de ma vie d'humain consiste à la transmettre. À en être le vecteur. Que mes actes s'inscrivent dans les Lois de la Vie. Si celles que fabriquent les hommes ne se construisent pas sur la base de cette donne là ... alors elles sont illégitimes ! Et nous avons le devoir de les dénoncer et de les boycotter. Ce repérage suppose que nous considérions « la Vie sur terre » (et non pas seulement nos vies personnelles) comme un patrimoine qui nous a été transmis et dont nous n'avons la jouissance qu'à condition de le respecter, de l'entretenir, de le faire fructifier. De manière à pouvoir le transmettre à notre descendance, comme un objet qui est bon et non ruiné par la cupidité et l'avidité de l'homme ... régi par le fameux Marché.
Autrefois on parlait « des règnes » minéral, végétal, animal » ... oui, « des règnes » car chacun a ses lois et doit exister à part entière. Or c'est de l'interpénétration de ces règnes dont résulte la Vie. Dans cette donne, il y avait, comme on dit, un équilibre. Un équilibre entre les règnes. Or, l'homme moderne a rompu cet équilibre. Il s'est construit sur un fantasme de « violence fondamentale », comme s'il n'y avait pas de place pour deux, ni pour trois. Et donc pour tous. Il s'est mis à n'exister qu'au détriment de l'Autre. L'Autre avec un grand A.
L'homme des temps modernes est un arriviste : avant moi le Néant, après moi le Déluge. En déclarant que rien n'existe sur la terre, et dans ses entrailles, et au fond des océans, et dans les airs, que pour sa propre jouissance ... il a perdu son âme. Car le rapport à l'Autre est ce qui fonde l'âme. L'Autre exclu ... c'est l'âme perdue. Ce faisant, il précipite sa descendance dans le Néant sans que cela (apparemment) ne semble l'affecter. Du moins au point de se mobiliser sur le seul combat qui vaille aujourd'hui : la construction de barrages pour endiguer la Vague de ce Tsunami dévastateur qu'a engendré la dérègementation des échanges sur Terre.
Aujourd'hui l'on en est à discuter, à débattre (comme on dit !) sur le choix que nous aurions, à transmettre ou non ... la mort ! Désormais aucun Interdit ne nous protège plus du crime. Visible ou invisible. Même énoncé il n'est plus qu'un mot creux. Dans un monde où n'existe que ce qui se voit et qui est prouvé scientifiquement, le mal invisible fait l'objet du déni, de la dénégation. Ca ne se voit pas donc ça n'existe pas. Dans ce fonctionnement, il est impossible de tirer l'enseignement du passé. Il n'y a plus de clairvoyance. L'homme est condamné à avoir le nez sur le mur de la catastrophe. Pour finir par la reconnaître (bien obligé !) tout en niant la part de ses agissements qui l'ont mené là. Faute de tirer les leçons, les catastrophes ne peuvent que se répéter ... dont seul le scénario change.
Nous savons que le propre du nucléaire c'est son effet mortifère invisible. Même à petites doses. Et ceci sur des générations et des générations. Impact sur la santé des êtres humains, mais tout autant sur les autres espèces : animales, végétales, minérales, et sur les éléments l'air, l'eau, qui constituent la texture de la Vie sur terre.
Nous le savons ... mais nous le nions. Nous banalisons le mal, ce qui est, comme l'a si bien montré Anna Arendt, la porte ouverte à toutes les barbaries. Nous l'avons d'ores et déjà franchie cette porte de la barbarie. Nous sommes dedans, depuis que l'ultralibéralisme s'est donné le droit, la liberté (sans que nous parvenions à faire barrage) de réduire en pièces sonnantes et trébuchantes tout ce qui vit sur la planète. Vampirisant les ressources qu'elle avait mis des millions d'années à fabriquer. Nous sommes dedans la barbarie depuis que ce système s'est donné la liberté de coloniser les peuples, puis les cerveaux, comme ultime territoire. Pour les manipuler de l'intérieur. Jusques dans l'inconscient. Détournant les trouvailles des sciences humaines qui avaient pour fonction de libérer l'homme de ses emprises intérieures (inconscientes), pour en tirer les ficelles. Comme un marionnettiste diabolique.
Le résultat est que nous avons perdu la boussole. Au point d'en être là, à discuter, à débattre, sur ce qui devrait faire l'objet de l'Interdit. Non ! Nous n'avons pas le droit de transmettre en héritage à nos enfants une terre empoisonnée. Où l'on aura enseveli, comme un secret honteux, les sarcophages de déchets nucléaires, venant s'ajouter aux autres déchets. Ceux là qui ont transformé l'eau claire des rivières, en égouts à ciel ouvert, coulant leurs eaux marronnasses à travers le paysage ; ceux là qui tuent la vie au fond des océans, le dépeuple de sa myriade de poissons multicolores, polluent l'air, déciment à une vitesse vertigineuse toutes les espèces animales etc... Tous ces déchets ne sont que les reliefs du festin cannibale de l'homme, détourné de son destin de croissance dans l'ordre du symbolique (et donc du sens) ... pour être réduit à l'état de consommateur! Tels ces hommes transformés en pourceaux par un effet de sorcellerie de Circée la magicienne, dans l'Iliade et l'Odyssée d'Homère. L'on retrouve cette même figuration dans le film de Hayao Miyazaki : <Le voyage de Chihiro>.
La racine du mal est là. Car c'est au nom des « soit disant besoins de consommation en énergie » que le nucléaire a pris cette place mensongère d'énergie écologique!!! Non ! le monde n'est pas à consommer ! Il est un lieu d'échanges, comme les échanges respiratoires, où doit s'équilibrer ce que je prends et ce que je donne.
À l'heure de Fukushima - qui est aussi l'heure du dérèglement climatique, de la fonte des grands glaciers, de tout ce chaos et de cette dégradation, tant de l'âme que de l'environnement, que l'hyperactivité humaine fabrique - il est temps de s'arrêter pour penser à ce que nous faisons. Et travailler à panser le monde. Nous n'avons pas d'autre choix que d'aller dans le sens de la réparation des dégâts causés dans tous les domaines. Même si nous sommes conscients qu'il y a beaucoup d'irréparable ! Dans ce domaine de la réparation, qui sollicite notre créativité ... il y a du travail pour tous ! Certes, cela suppose un changement de position (psychique, par définition !). Une conversion. Une révolution copernicienne de point de vue sur le sens de notre vie. Seul ce mouvement là est « révolutionnaire », car il nous inscrit dans les processus d'une croissance qui ne peut qu'être dans l'ordre de l'humain. L'autre croissance dont on nous rabat les oreilles est celle du ventre de l'Ogre, que nous n'engraissons des fruits de notre travail ... que pour mieux être en retour dévoré par lui.
Il est bouleversant de découvrir à quel point le travail est fait, par nombre d'entre nous, pour nous informer, nous donner à entendre la réalité de qui se passe. Certains tentent désespérément de nous alerter afin que nous ayons les éléments pour nous positionner, en connaissance de cause (et non de façon idéologique, selon les idées du moment!). Ils sollicitent notre intelligence. Au sens étymologique du mot (inter legere) qui veut dire « lire, déchiffrer » ce qui se joue « entre » moi et le monde. On devrait dire : « les mondes », au carrefour où chacun de nous se trouve, entre le monde extérieur et son monde intérieur.
Plus que jamais d'actualité, il faut lire le livre de Wladimir Tchertkoff intitulé <Le crime de Tchernobyl ou le goulag nucléaire>. Ainsi que celui d'André Aschieri <Silence on intoxique>. Mais encore celui de Stevlana Alexievitch <La supplication>. Ainsi que «<Le testament des Glaces > d'Emmanuel Hussenet qui a fait l'objet d'un petit film que l'on trouve sur Internet et qui s'appelle <La voix des Glaces>. www.lesrobinsonsdesglaces.org
Et puis bien évidemment, le travail rigoureux et généreux de tout le réseau <Sortir du nucléaire>. www.sortirdunucleaire.fr
L'Omerta sur le nucléaire, la vérité cachée, les discours mensongers qui visent à endormir notre conscience... tout ça qui se répète (comme à l'oreille d'un sourd !) de Tchernobyl à Fukushima (en passant par les autres accidents nucléaires) ne dit qu'une seule chose : nous sommes dans l'innommable ! Zoé Bernache 31 Mars 2011

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