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Billet de blog 5 avril 2024

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Algérie : le vrai chantier, c’est celui des idées

Alors que l’Algérie cherche sa voie entre espoirs populaires et blocages institutionnels, une question s’impose : et si le vrai changement commençait dans nos idées, avant même la politique ou l’économie ?

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L’Algérie d’aujourd’hui : et si tout commençait par nos idées ?

Beaucoup d’Algériens se posent aujourd’hui une question simple mais lourde de sens : « Où va notre pays ? » C’est une question qu’on entend dans la rue, qu’on lit sur les réseaux sociaux, qu’on ressent dans les discussions de tous les jours. Elle vient d’un mélange d’amour profond pour l’Algérie et de frustration devant ce qu’elle est devenue ou ce qu’elle ne parvient pas encore à être.

Malgré les difficultés de la vie, malgré les rêves d’ailleurs, malgré les files d’attente pour un visa, beaucoup gardent au fond du cœur une fierté sincère d’être Algérien. C’est un attachement presque irrationnel, à une Algérie qu’on critique sans relâche, mais qu’on ne cesse d’aimer. Une Algérie qu’on voudrait différente, plus juste, plus ouverte, plus moderne. Mais chacun de nous rêve d’une Algérie à sa manière… et c’est peut-être là que le bât blesse.


Un tournant décisif

Aujourd’hui, nous sommes à un moment crucial. Ce n’est pas juste une nouvelle crise ou une réforme de plus. C’est peut-être le début d’un vrai changement. Pas seulement politique, mais aussi dans notre manière de penser, de comprendre le monde, de vivre ensemble.

Les réformes passées ont souvent échoué car elles ont été faites « sur le papier » : des lois sans application, des institutions sans âme. Ce qu’on vit depuis 2019, avec le mouvement populaire pacifique, c’est autre chose. C’est une prise de conscience collective. Ce mouvement, calme mais déterminé, a montré au monde une image différente de l’Algérie : des citoyens matures, civiques, unis dans leur diversité, capables de revendiquer sans violence.

Et si ce mouvement était le vrai point de départ d’un changement profond ? Celui qu’on n’avait jamais vraiment essayé ?


Pourquoi l’Algérie ne décolle pas économiquement ?

Depuis longtemps, on se demande pourquoi notre pays, riche en ressources et en talents, n’arrive pas à décoller économiquement. La réponse se trouve peut-être là où on ne regarde pas souvent : dans nos idées. Plus précisément, dans la manière dont on organise nos institutions, c’est-à-dire les règles du jeu qui gouvernent notre société (lois, écoles, justice, administration, etc.).

Un économiste américain, Douglas North, prix Nobel, a bien expliqué que ce ne sont pas les ressources qui font la richesse d’un pays, mais la qualité de ses institutions. Et les institutions, elles, dépendent des idées dominantes dans une société. Autrement dit : si nos idées sont dépassées ou improductives, nos institutions le seront aussi. Et donc, notre économie en souffrira.


Le poids des croyances

Dans l’histoire, beaucoup de sociétés ont pris de mauvaises décisions parce qu’elles étaient guidées par des croyances erronées. Par exemple, au XIXe siècle, la médecine croyait à des choses qui faisaient plus de mal que de bien. Aujourd’hui encore, nos institutions sont souvent guidées par des idées héritées, qui ne correspondent plus aux réalités du monde moderne.

Mais quelque chose est en train de changer. Le mouvement populaire algérien a montré une autre voie : une société qui refuse la violence, qui défend ses droits avec humour, créativité et solidarité. Cela montre que de nouvelles idées sont en train d’émerger. Des idées qui pourraient, si elles sont partagées par une majorité, transformer nos institutions et donc notre avenir.


L’éducation, internet et la jeunesse

On pourrait se demander comment ces idées nouvelles peuvent naître alors que notre système éducatif est en crise. La réponse est simple : internet. Grâce aux nouvelles technologies, la connaissance circule plus vite que jamais. Les jeunes, les étudiants, les citoyens curieux, ont accès à des milliers de ressources, de débats, d’exemples venus du monde entier. Cette ouverture change peu à peu notre manière de penser.

Le développement, ce n’est pas seulement une affaire d’argent ou d’usines. C’est d’abord une affaire d’idées. Et c’est quand les idées circulent, se confrontent et se transforment, que les sociétés avancent.


Des institutions pour tous

Des chercheurs comme Acemoglu et Robinson, auteurs du livre Pourquoi les nations échouent, ont montré que les pays qui réussissent sont ceux qui construisent des institutions inclusives. Cela veut dire : des institutions qui servent tout le monde, et pas seulement une élite.

Ces institutions naissent souvent après des révolutions politiques, mais pas forcément violentes. Le plus important, c’est que la société civile—c’est-à-dire nous tous, citoyens engagés—participe à la construction du projet collectif.

Et c’est exactement ce qui a manqué à l’Algérie pendant longtemps : une large adhésion à un projet commun, porté par des citoyens conscients et impliqués.


L’Algérie de demain : une question de choix

L’Algérie d’aujourd’hui a une opportunité rare. Si nous choisissons de mettre la connaissance, la réflexion collective, la solidarité et la justice au cœur de nos institutions, alors l’Algérie de demain ne pourra qu’être meilleure. Mais si nous restons prisonniers de nos vieilles habitudes, de nos croyances figées et de nos divisions, alors nous risquons de tourner en rond encore longtemps.

Ce n’est pas une fatalité. C’est un choix. Et ce choix commence en chacun de nous.

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