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Billet de blog 13 septembre 2025

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Palestine : Le Victoria-Tatin colonial

Quand l’Empire cuisine, c’est toujours le voisin qui paie l’addition

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Illustration 1

Tout est parti de là : le Victoria-Tatin colonial.

La Déclaration Balfour, 1917

Un texte rédigé à Londres, quelques lignes griffonnées comme une recette de cuisine par quelqu’un qui n’avait jamais touché un fouet ni approché un four. On promit aux juifs martyrisés en Europe un gâteau national… mais sur la table d’un autre.

Les Alliés, eux, y virent une trouvaille. Un moyen d’obtenir l’appui de l’opinion juive mondiale alors que la guerre s’enlisait.

Toute une brigade coloniale s’était mise aux fourneaux. La Grande-Bretagne, en chef autoproclamé, dictait la recette et tenait la louche. La France, en pâtissier grincheux, réclamait son coin de tarte. L’Italie, en marmiton distrait, se contentait de surveiller la cuisson sans rien servir. Les États-Unis, en critique gastronomique, goûtaient du bout des lèvres et prenaient déjà des notes pour le menu du siècle suivant. Quant à la Russie, convive bougon, elle ne toucha pas au gâteau, mais exigea qu’on lui réserve un doggy bag idéologique.

Et quelle recette ! Sykes et Picot ne tracèrent pas une carte, ils improvisèrent un dessert improbable : un Victoria-Tatin.

Moitié pudding de Sa Majesté, moitié tarte renversée berrichonne. Le tout recollé à la hâte comme un collage de Picassiette. Résultat : une pâte trop lourde, des fruits brûlés, et un gâteau que personne n’arrive à digérer depuis plus d’un siècle.

La table fut dressée au Moyen-Orient. La Grande-Bretagne s’y servit largement : Palestine, Jordanie, Irak, Égypte, Arabie, Émirats, Koweït… Elle rafla la plus grosse part, jusqu’à surveiller la cuisson de régions entières. La France eut ses morceaux en Syrie et au Liban. L’Italie, elle, se contenta d’observer la cuisson, sans vraiment croquer. Quant aux États-Unis et à la Russie, ils ne se goinfrèrent pas du gâteau, mais se réservèrent le glaçage idéologique : capitalisme contre communisme.

La recette, griffonnée en 1917, resta dans un tiroir. On la laissa lever trente-et-une années de trop. Quand on sortit enfin le gâteau du four, en 1948, il était brûlé, indigeste, et imposé de force à toute une région.

Réparer la recette:

Il est temps que ceux qui ont griffonné la mauvaise recette, et qui l’ont fait cuire dans le mauvais four, se décident enfin à réparer devant l’Histoire. Car le seul gâteau qui reste à préparer est celui qui doit revenir, en entier, à ceux qui en furent dépossédés : la Palestine.

Mais plutôt que d’imposer encore un Victoria-Tatin sans saveur, pourquoi ne pas laisser enfin à cette région sa propre recette, son patrimoine culinaire autochtone ?

Qu’on leur rende leur maqlouba : un plat renversé, mais qui, lui, se mange, se partage et se savoure.

Car dans ce cas, le « renversé » n’est plus une erreur culinaire : il devient un geste politique.

Renverser la recette coloniale, pour remettre enfin les choses à l’endroit.

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