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Billet de blog 13 octobre 2025

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La destruction créatrice selon Trump

Alors que le Nobel d’économie 2025 consacre la théorie de la destruction créatrice, Donald Trump semble en avoir trouvé la version la plus brutale : détruire Gaza pour mieux la reconstruire. Entre croissance, cynisme et chaos, la confusion des mots atteint son apogée.

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Le prix Nobel d’économie 2025 vient d’être attribué à Philippe Aghion, Peter Howitt et Joel Mokyr, trois économistes récompensés pour leurs travaux sur la croissance et l’innovation, autrement dit sur la fameuse “destruction créatrice” héritée de Schumpeter : il faut parfois détruire pour mieux reconstruire, transformer, inventer.

Mais à voir le monde aujourd’hui, on se demande si Donald Trump n’a pas voulu en donner sa propre interprétation.

Peut-être s’est-il dit, dans un élan de génie brutal, que pour créer de la richesse, il fallait d’abord rayer Gaza de la carte.

Détruire pour reconstruire, bombarder pour stimuler la croissance et, pourquoi pas, décrocher le Nobel de l’économie après avoir manqué celui de la paix.

Sauf que la destruction créatrice, dans la pensée d’Aghion ou de Schumpeter, visait à remplacer l’ancien par le neuf, à permettre à l’innovation d’émerger, à faire progresser les sociétés.

Rien à voir avec le chaos, le cynisme ou la spéculation sur des ruines.

Et là, la vieille critique de la croissance revient en mémoire.

John Maynard Keynes, dans un passage célèbre, ironisait déjà : si le Trésor enfouissait des bouteilles pleines de billets et payait des gens pour les déterrer, le chômage baisserait et le PIB grimperait.

Autrement dit, on peut créer de la “croissance” avec des activités parfaitement absurdes.

Joseph Stiglitz a prolongé la réflexion : creusez un trou, rebouchez-le , le PIB augmente, mais la société n’est pas plus riche.

La croissance devient alors un indicateur de mouvement vide, un thermomètre qui grimpe même quand le malade s’enfonce.

Trump, lui, pousse cette logique à l’extrême.

Sa version du keynésianisme est militaire : bombarder pour rebâtir, détruire pour investir.

Il confond économie et économie de guerre.

Et voilà que, sous couvert de “faire la paix”, il fabrique du marché.

Sous couvert de “reconstruire”, il transforme la ruine en opportunité.

On en revient toujours à la même équation :

creuser un trou, le reboucher ou bombarder une ville, la reconstruire c’est de la croissance.

Mais à quel prix, et pour qui ?

Alors oui, peut-être Trump croyait-il mériter le Nobel de l’économie.

Après tout, il pratique la “destruction créatrice” à sa manière : il détruit, et d’autres créent des profits sur les décombres.

Mais au fond, ce n’est ni de la destruction créatrice, ni de la croissance ,c’est juste la barbarie mise en Bourse.

Mais à bien y regarder, il mérite sans doute le Nobel de l’économie de guerre un prix que l’Académie de Stockholm devrait sérieusement songer à créer.

Ce serait, au moins, une distinction cohérente : la reconnaissance officielle d’une économie qui prospère sur les décombres.

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