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Billet de blog 27 mars 2025

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« Boualem Sansal : mythe sur ordonnance germanopratine »

Sous couvert de défense des libertés, deux soirées ont rejoué le vieux théâtre de l’Oriental rêvé, version germanopratine. Sansal y tient le rôle principal.

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*Chronique qui était déjà en préparation avant le verdict de la condamnation de Boualem Sansal à cinq ans de prison tombé aujourd'hui.

Mise au point : littérature captive et mémoire truquée

Il est des réveils tardifs qui valent pourtant la peine d’être racontés. Le mien s’est produit à la faveur de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Sansal ». En tant qu’Algérienne francophone, familière de la langue française autant que de ses bibliothèques, et auditrice assidue des émissions littéraires de l’Hexagone, j’ai découvert, non sans trouble, à quel point la littérature – ce lieu que j’espérais encore habité par le doute et la nuance – était devenue un théâtre d’enjeux politiques simplistes, captif d’idéologies aussi confortables que périlleuses.

Il me faut ici faire œuvre de rectification. Longtemps, j’ai moi aussi cédé au récit convenu. Comme beaucoup, j’ai cru ce que répétaient à l’envi ces milieux qui s’auto-consacrent dans les salons littéraires : j’ai cru à l’écrivain exemplaire, au héraut de la liberté persécuté par son pays. Puis les circonstances ont changé. J’ai eu accès à d’autres récits, venus de proches ayant côtoyé Boualem Sansal. J’ai surtout pris le temps d’observer avec précision les conditions de son ascension en France : son cheminement médiatique, ses silences, ses emphases, ses redites. J’ai lu trois de ses ouvrages clés, bien avant que son nom ne devienne slogan. J’ai écouté des dizaines d’interviews. Non pour juger l’homme, mais pour comprendre le dispositif.

Aujourd’hui, je me dois d’intervenir. Car ce qui se construit autour de Boualem Sansal n’a plus rien à voir avec la littérature – encore moins avec la vérité. L’hystérisation du discours, l’exagération du martyre, la torsion de sa biographie ont fait de lui un pur produit de marketing idéologique. Et plus précisément, un produit germanopratin.

Il y a quelques mois encore, Boualem Sansal était un inconnu pour la grande majorité du public français. Et le voilà désormais érigé en figure tragique, en symbole de l’intellectuel traqué, presque en icône sensuelle. L’expression peut paraître excessive. Pourtant, les deux soirées de soutien organisées à Paris l’ont démontré avec une limpidité involontaire : la mise en scène fétichiste d’un écrivain malade et désormais français, la grandiloquence des discours, l’aveuglement lyrique d’un cénacle peu habitué à la contradiction, tout cela relevait moins de la défense de la liberté que d’un théâtre mondain où chacun jouait son rôle avec une ferveur étrange.

On aurait pu croire à une parodie. Mais non. Le Germanopratin Comedy Club est bien réel. On y fait rire, on y fait pleurer, on y brode des récits de pure fiction. On y compose des éloges à la sensualité de la prose sansalienne. On y détourne les genres – la chanson, le film, la tragédie – pour mieux sanctifier une figure dont le parcours réel reste soigneusement évité.

Il est d’autant plus important de rappeler les faits. Boualem Sansal a été haut fonctionnaire. Il n’a jamais été inquiété pour ses livres, vendus sans interruption en Algérie. Il a continué, jusqu’à très récemment, à voyager librement entre Alger et Paris. Son arrestation récente – que je condamne sans réserve, comme toute incarcération d’écrivain – n’est pas liée à ses œuvres mais à des propos publics tenus dans un média d’extrême droite français, tombant sous le coup d’un article précis du code pénal algérien, le fameux 87 bis. Cette disposition juridique – que je récuse par ailleurs dans ses principes – a été appliquée à bien d’autres prisonniers d’opinion, qui eux, n’ont bénéficié d’aucune tribune, d’aucune soirée, d’aucune pin’s.

C’est là que réside le cœur du problème : non dans l’émotion suscitée par l’incarcération d’un écrivain, mais dans le deux poids deux mesures d’une intelligentsia sélective, capable de s’embraser pour un Sansal et de rester muette devant les détenus du Hirak ou les enfants de Gaza. Cette hypocrisie endémique – ce jeu d’intérêts et d’identifications politiques – ne sert pas la cause de la liberté. Elle la ruine.

Elle ruine aussi, plus gravement encore, la parole des Algériens qui se battent depuis des années pour la démocratie. Ceux-là, qui ont marché, risqué, écrit et espéré, se retrouvent aujourd’hui pris en otage dans une équation mortifère : s’ils dénoncent le pouvoir algérien, ils sont aussitôt enrôlés dans le camp des nostalgiques de la colonisation. S’ils se taisent, ils trahissent leur propre combat. Telle est la tragédie actuelle : une lutte pour les droits vidée de son sens par ceux-là mêmes qui s’en font les porte-voix quand cela les arrange.

Je le redis avec fermeté : aucun écrivain ne devrait être emprisonné pour ses idées. Et je souhaite à Boualem Sansal de retrouver sa liberté, ne serait-ce que pour raisons de santé. Mais j’ajoute ceci : la liberté d’expression ne se mesure pas à la quantité d’invectives proférées sur les plateaux. Elle exige rigueur, éthique, et responsabilité intellectuelle. Elle n’est pas un passeport, ni un sauf-conduit. Elle est un travail.

Et ce travail, ni la presse française, ni le microcosme germanopratin, ni les nouveaux inquisiteurs d’émotion publique ne semblent décidés à l’entreprendre. Tant pis pour la littérature. Tant pis pour la vérité.

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🎭 Chronique : Le Germanopratin Comedy Club présente : Sansal Story – Saison 1, épisode 1

Mesdames et messieurs, bonsoir ! Aujourd’hui, on revient sur un évènement littéraire majeur – non, pas la parution posthume des Mémoires de Nabilla – mais les soirées de soutien à Boualem Sansal, nouvelle coqueluche du show-biz éditorial germanopratin. Ambiance cabaret. Moquette rouge. Frissons garantis.

🍸 Soirée 1 – 19 décembre 2024 : ouverture des hostilités.
1200 personnes (si si, ils les ont comptées) venues soutenir un écrivain qu’ils n’avaient jamais lu, organisé par une dream team improbable : Marianne, Gallimard, La LICRA, Le Point, la Revue Politique, la République en Kit et le Comité Laïcité-République (à ne pas confondre avec le Comité Thé-Lait-Sucré).

Première impression ? C’était du préliminaire. La soirée 2 promet d’être plus hot. Mais restons concentrés.

Au micro, un casting cinq étoiles, digne des Victoires de la Littérature de Droite mais Softe, avec en ouverture…

🎙️1. Alexis Benedetti
À 7 minutes, il déclare que Sansal est un symbole de l’esprit libre persécuté. Point. Ça ne se discute même pas.

👉 Commentaire : « Veni, vidi, Benedetti ».
Esprit libre, en effet, qui a roulé pour l’État algérien pendant 37 ans… Et qui découvre son âme de Che Guevara à 75 ans. Il n’est jamais trop tard pour se sentir opprimé.

🎙️2. G.-M. Benhamou
À 10 minutes, l’homme-lance-roquettes :

« Sandrine Rousseau, barbare moderne… Sansal qualifié de suprémaciste ! »

Il fustige la gauche, les radios publiques, Benjamin Lucas et la politique FLN d’Alger. En gros : tout ce qui bouge à gauche est islamogauchiste, tout ce qui soutient Sansal est éclairé.

👉 Commentaire : un vrai Zemmour junior, en live !

Mais puisqu’on parle de liberté d’expression, une question brûle les lèvres : y a-t-il eu un comité de soutien à Hervé Ryssen, écrivain lui aussi, emprisonné pour… ses écrits ?

Bah non. Parce qu’en France, insulter les Juifs, ça ne passe pas. Ryssen attaque la kippa, Sansal l’a portée. Ryssen, FN antisémite. Sansal, RN sioniste. Et pourtant, même combat médiatique.

Traduction pour les Français qui découvrent Sansal depuis son arrestation : en Algérie, il est vu comme vous voyez Ryssen. Chacun sa ligne rouge : la Shoah pour la France, la colonisation pour l’Algérie. Chez l’un comme l’autre : le révisionnisme, c’est niet.

🎙️3. Kamel Daoud
Lui, c’est le moment Moi, Moi, Moi… ouin ouin !

👉 Résumé express : Il cherche encore quelqu’un pour mourir à sa place, vivre à sa place… selon les jours. Avale un dico à chaque phrase. Bref, du Daoud.

🎙️4. La Miss Encoua, la présentatrice
Elle parle de « régime autoritaire algérien ». C’est sûr, quand on bosse pour CNews ou Judaïques FM, on est un modèle de neutralité. Prochaine étape : Canal Histoire, rubrique fantasmes.

🎙️5. Jean-François Colosimo
« Sansal, c’est Soljenitsyne »

Aïe. On en est là. Le gars compare notre écrivain-poète-ministre à un dissident soviétique. À ce rythme, on va nous ressortir Boualem au goulag.

👉 Commentaire : Même le procureur d’Alger n’avait pas pensé à une auto-accusation aussi efficace.

🎙️6. Antoine Gallimard
Sobre, digne. Petit moment poésie. Mais pourquoi ce silence pudique sur les accointances idéologiques ? Citer Soljenitsyne, OK. Mais pas Céline ou Brasillach ? La peur de la vérité, même éditoriale.

🎙️7. Le traducteur allemand
Il voit Sansal comme le Bob Dylan du ministère de l’industrie. 37 ans de rock bureaucratique sous dictature. Titre de l’album : Highway to Hassi Messaoud.

🎙️8. Karina Hocine lisant Philippe Claudel
La voix tremble. Le texte aussi. Le plaidoyer de Claudel est intense : il demande à Sansal d’écrire un chef-d’œuvre en prison. Parce que bon, tant qu’à être enfermé…

🎙️9. L’Éditeur de Sansal
Discours attendu. Panégyrique obligatoire. Clou du spectacle : Sansal aurait bravé les bombes pour sortir du ministère pendant la décennie noire. Fake news : tout le monde sait qu’il était souvent en vadrouille. Mais bon, c’est le storytelling GP.

📚Table ronde n°1 : version camembert carré
Participants : Vermeren, Driencourt, Binhas, Romain.
Présentation affable, ambiance salon du livre en garde à vue.

Vermeren : historien anti-woke, pro-Sansal, critique de l’Islam. Rien de neuf.

Driencourt : ex-ambassadeur, nouveau porte-parole du RN. Il flingue l’image de Sansal sans le vouloir. C’est ça, les amis.

La Binhas : compare Sansal à Sartre. Oublie que Sartre n’a jamais dirigé un ministère sous De Gaulle.

Romain : doctorante ayant fait sa thèse sur Sansal. Émue, tremblante. L’érotisation de la prose germanopratine dans toute sa splendeur.

👉 L’animatrice ose : « Il est libertaire, touche-à-tout, hippie… »
La salle sombre. Il ne manquait que « Come on baby, light my fire » des Doors. Sansal à Woodstock ? Why not.

🧠 Problématique : De Thoreau à Zemmour, comment Sansal a-t-il bifurqué ? Sujet de thèse 2025.
💀 Syndrome de Sansal = évanouissement par ennui.
La doctorante elle-même : « il faut lire plusieurs fois pour comprendre ». Ah ? Merci. On avait du temps libre, justement.

🕯️ Retour des procureurs
Vermeren, Driencourt & co rejouent Les chevaliers de la Table très Ronde. Le roi Littéarthur va-t-il libérer Sansal ?

Driencourt encore, toujours. Il révèle qu’il a dîné avec Sansal juste avant son arrestation. Il croit défendre son ami, il l’enfonce. (Cf. sa bio Wikipédia : proche du RN, membre du comité stratégique de Livre Noir, bras droit de Bardella.)

🎤 Questions-réponses
Moment rare : une question pertinente sur la passivité comme voie au totalitarisme. Driencourt répond : mobilisons-nous pour Sansal. Ah. OK.

📢 Le retour de La Binhas'been
Elle se fait huer en défendant la gauche absente. Clame qu’elle a la liberté d’expression (ouf !). Prête à demander l’asile à Alger. On applaudit. Standing ovation pour le courage inutile.

🎭 Deuxième table ronde : les ténors
Participants : Blanquer, Cazeneuve, Polony, Gernell, Abergel, Zimmeray, Lenoir

Blanquer : Sansal + Daoud = Voltaire + Diderot. Voltaire et Diderot s’excusent post-mortem.

Cazeneuve : discours mou. On passe.

Polony : défend la liberté d’expression. Cite Tahar Djaout. Merci le post-it de Daoud.

Gernell : directeur du Point. Showman. Explication trouvée à ses unes Daoudix & Sansalix.

Abergel : rappelle l’amour universel de Sansal. Jésus 2.0. Mais version RN.

Zimmeray (avocat) : ouin-ouin sur la santé de Sansal. Défend son islamophobie comme universelle. Rêve de rues Boualem Sansal en Algérie. En France ce sera Zemmour, Le Pen et Hanouna Boulevard.

Lenoir : Noëlle de son prénom mais contrairement au père de Noël , elle n’aime pas tous les enfants du monde . Elle voit des musulmans partout , des fiefs d’islamo gauchistes même à l’ONU pour défendre Israël et a rejoint le sommet de la France contre l’islamisme financé par un lobby sioniste afin de crier son humanisme.
Le comité n’est pas politique, jure-t-elle. Sansal choque, donc il faut le protéger. Tout comme Sansal , elle aussi adore l’humanité. Mais seulement sélectionnée.

Fin de soirée. Photo de famille. Titre proposé : Les Guignols de l’Infaux.

🎬 À suivre : soirée 2. Nouveau décor, même casting, même guirlandes. Préparez les pop-corns.

En attendant un Best of des prouesses de Boualem Sansal le fantasme des GP.

Boualem Sansal le fantasme de la littérature germanopratine © folk Quebec

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