Quand tout a commencé
En 1978, le monde découvrait deux miracles : Superman de Richard Donner (L’Arme fatale, La Malédiction) et Wuthering Heights de Kate Bush. Deux œuvres suspendues entre ciel et vent : l’une promettait qu’un homme pouvait voler, l’autre qu’une voix pouvait hanter les vents.
Moi, j’étais ailleurs. En Algérie, où les révolutions culturelles arrivaient en différé. Ce n’est qu’en 1981 à l’âge de 12ans que j’ai vu Superman pour la première fois, et que Kate Bush est entrée dans ma vie. Le monde avait déjà avancé, mais j’ai aimé ce décalage : comme si j’ouvrais une porte secrète vers un univers que d’autres avaient déjà traversé.
Puis vinrent les suites : Superman II (1980), Superman III (1983) signées un autre Richard mais Lester cette fois-ci (Les Trois Mousquetaires, Help!) avec cet humour anglais tapi derrière la cape rouge. Même Superman IV (1987) du Canadien Sidney J. Furie (The Ipcress File) – si souvent renié – avait sa place dans mon panthéon. Parce que dans chacun de ces films, deux visages demeuraient indétrônables : Christopher Reeve et Margot Kidder. Ils n’incarnaient pas Superman et Lois Lane : ils les étaient. Et ils le resteront toujours.
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Quand l’ombre a recouvert la lumière
Puis, en 2006, Bryan Singer (Usual Suspects, X-Men) tenta la résurrection avec Brandon Routh. Ambition haute, mais magie absente.
En 2013, Zack Snyder (300, Watchmen, Justice League) déchaîna Man of Steel. Une fresque grandiose, mais figée dans sa gravité. L’humour ? Évaporé.
Puis vinrent Batman vs Superman et Justice League. Snyder régnait… jusqu’à ce que la tragédie l’écarte, laissant Joss Whedon ( Avengers 1 et 2 ) injecter une dose d’ironie dans un univers qui se prenait trop au sérieux.
J’en suis convaincu : les super-héros privés d’ironie deviennent des statues froides. Or Superman n’est pas un dieu. Il est notre humanité sublimée.
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Kate Bush, James Gunn et une prophétie oubliée
Et soudain, hier soir, en sortant de la salle, un souvenir m’a traversé.
1978, encore : tandis que le monde découvrait Superman et Kate Bush, la maison de disques voulait lancer un titre oublié : James and the Cold Gun. Mais Kate refusa. Une chanson étrange, un western psychédélique, qui resta dans l’ombre. Moi, adulte, je l’ai découverte des années plus tard. Et j’avoue : je l’ai toujours préférée à Wuthering Heights. Parce qu’elle avait ce grain de folie que le succès efface parfois.
Hier, ce titre a pris chair. Il avait une barbe malicieuse, des yeux d’acier et une caméra comme une guitare électrique : James Gunn (Les Gardiens de la Galaxie, The Suicide Squad).
Si une chanson pouvait devenir un homme, ce serait lui. Gunn filme Superman avec la même audace que Kate Bush composait son refrain James and the old gun : en refusant la ligne droite, en osant l’accident poétique, en réconciliant la gravité et la légèreté.
Et si j’avais pu lui souffler quelque chose à l’oreille, à ce grand mélomane qui a toujours su faire chanter ses films, je lui aurais murmuré :
« James, choisis James and the Cold Gun pour la BO de Superman 2025. Elle t’attendait depuis 1978. »
Car hier soir, dans cette salle obscure, j’ai cru entendre ses notes invisibles accompagner le vol de Clark Kent.
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James Gunn : le retour de l’éclat
Le Superman 2025 de Gunn est un pont entre trois âges :
• l’innocence solaire des deux Richard
• l’humour fou des Gardiens de la Galaxie (2014)
• la lucidité contemporaine face à un monde fissuré.
Dans cette saga interminable, il ne faut pas oublier les variations : la série culte des années 90 (Lois & Clark : The New Adventures of Superman) qui nous montrait un Clark Kent maladroit, ancré dans le quotidien. Gunn s’inscrit dans cette continuité. On rit, on s’émeut, on respire. Gunn n’a pas oublié que Clark Kent, avant de tomber du ciel, est un homme gauche, presque burlesque : un Buster Keaton cosmique, mais surtout l’héritier direct de Harold Lloyd, avec ses lunettes rondes et son sourire timide, ce héros muet suspendu à une horloge, défiant la gravité comme Clark défie le destin.
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Lois Lane : question de vérité
Pour moi, Lois Lane a toujours été brune. Margot Kidder en était la preuve vivante : indépendante, incisive, un regard qui pouvait faire trembler Clark lui-même. Alors, quand Superman Returns nous l’a livrée en blonde (Kate Bosworth), ça ne passait pas. Même Amy Adams, irrésistible dans la trilogie de Zack Snyder (Man of Steel), n’était pas brune – et quelque chose, au fond, restait dissonant.
Heureusement, il y eut la série culte des années 90, Lois & Clark, avec Teri Hatcher, fidèle à l’esprit originel. Et aujourd’hui, James Gunn rétablit l’équilibre : Rachel Brosnahan, brune, vibrante, drôle, mordante. Une Lois Lane qui retrouve ce qu’elle n’aurait jamais dû perdre : l’âme d’une journaliste prête à tout pour la vérité.
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Un miroir tendu à notre époque
Et ce n’est pas qu’un film nostalgique. Gunn y injecte des résonances politiques et sociales brûlantes : un clin d’œil à Gaza, une Amérique qui se perd, une humanité manipulée par des fous milliardaires.
Dans ce chaos, un journal continue son combat pour la vérité, des journalistes se dressent contre les supercheries. Oui, j’y ai vu Netanyahu, Trump, Macron, une Europe complice… mais aussi des hommes et des femmes debout, refusant de renoncer.
Superman devient alors un symbole : celui de notre humanité vacillante, celui qui nous rappelle qu’il faut croire, encore, à l’enfant en nous.
Et puis, ce détail magnifique : les enfants et le super chiot invincible , ces éclats de pureté qui sauvent tout.
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Agrandissement : Illustration 1

Une renaissance, dans la salle obscure
Hier, j’ai soufflé mes bougies devant Superman. Et j’ai retrouvé l’enfant de 12 ans. Mais cette fois, il n’était pas seul : à ma droite, mon fils, 25 ans, fidèle à son tee-shirt Batman, riait. Lui qui croyait à la force des ombres a compris que la lumière a un nom : Superman.
Parce qu’au fond, il est aussi l’origine de notre humanité, et ce n’est ni la peur, ni la vengeance, mais l’espoir.
Hier soir, j’ai cru qu’un homme pouvait voler. Et ce vol, je l’ai partagé avec le monde entier, dans le même instant, branché au vaste réseau des émotions et des cultures. Moi qui avais connu Superman dans les marges du temps, je le retrouvais dans une Algérie qui se hisse, fière, décidée, malgré les griffes invisibles qui la retiennent encore.
Peut-être que renaître, c’est aussi ça : ne plus rattraper le temps, mais voler avec lui.
« James, rentre à la maison
James, come on home
Tu es parti trop longtemps bébé
You've been gone too long baby
Nous ne pouvons pas laisser notre héros mourir seul
We can't let our hero die alone
Tu nous manques jour et nuit
We miss you day and night
Tu as quitté la ville pour vivre près du fusil
You left town to live by the rifle
Tu nous as laissé nous battre
You left us to fight
Mais ce n'est tout simplement pas bien d'enlever la lumière
But it just ain't right to take away the light »
paroles de James and the cold gun par Kate Bush
Signé
SuperZou