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Billet de blog 29 avril 2024

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Le checkpoint de Gaza

Circuler à Gaza en temps de guerre et d'occupation de l’armée israélienne, ce n’est pas une sinécure ! Notre groupe de soignants, composé de dix personnes, devait traverser la bande de Gaza pour aller de l’hôpital Kamal Adwan, au nord, vers Rafah, au sud. Une véritable épreuve. Voilà notre aventure au checkpoint.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voyager à Gaza en temps de guerre et envahissement de l’armée d’occupation israélienne, ce n’est pas une sinécure.

Notre groupe de soignants composé de dix personnes devait traverser la bande pour rentrer de l’hôpital Kamal Adwan, au nord, vers Rafah, au sud.

Les dates et autorisations ont été accordées par l'armée pour l’aller et le retour. Mais il faudrait toujours reconfirmer le matin du jour J. Attendre la réponse et l’ordre de démarrer. Puis attendre à bonne distance, 800 m environ du checkpoint, pour une autre vérification ou juste pour attendre avant de recevoir l'autorisation d'avancer, sinon à vos risques et surtout périls parce que les soldats en poste à ce point névralgique ont, disons, la gâchette facile.

On reçoit l'ordre de démarrer alors on se bouscule pour saluer nos collègues et leur dire au revoir ou adieu, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer sous un ciel plutôt chargé en produits inflammables et mortel.

On se précipite vers le checkpoint désigné, celui du boulevard Rachid qui longe la mer et qui est tristement célèbre pour les humanitaires puisque c'est sur ce magnifique boulevard devenu funeste qu’on a ciblé les trois véhicules des sept volontaires de l’ONG World Central Kitchen et qui sont morts sur le coup. Il y a eu des condoléances mais pas d'excuses et une enquête est bien évidemment en cours. Aucun coupable.

Le temps et l’oubli feront le reste.

On arrive vers 10h30 et on fait savoir à la coordination qu’on est sur place. On nous dit qu’on va nous rappeler. Une heure, puis deux, on rappelle, on nous dit d’attendre. Rien au bout de la troisième heure, on rappelle une nouvelle personne. Celle-là ne parle pas arabe. Notre responsable local me la passe pour que je puisse lui parler en anglais. Je dois tout lui expliquer. Elle me dit qu’elle doit vérifier et ensuite nous rappeler. On attend... Quelques véhicules de l’ONU et des camions passent du sud au nord. Du fioul, des sacs de farine... Des camions vides tentent de retourner du nord au sud mais se font refouler, en l'absence de coordination. On apprend qu'ils sont coincés depuis 5 jours...

Au bout de la 4ème heure d’attente, la coordination nous appelle et nous demande d’avancer.

Le chauffeur bien qu’habitué à ces traversées à risque me semble perturbé, il avance doucement. La route est mauvaise, chaotique, l’asphalte a disparu et le sable enveloppant le véhicule nous empêche d’avancer, et surtout empêche le chauffeur de voir devant lui... C'est pas très rassurant !

On s'approche doucement à un checkpoint très particulier - et pourtant j’en ai vu et traversé durant ma longue expérience en zones de conflits ! Les soldats, une dizaine environ sont en hauteur dans un ancien site touristique, il est vrai qu’on est devant la Méditerranée. Ils  demandent au chauffeur de mettre le véhicule face à la mer puis de le faire reculer, puis d’ouvrir le coffre et de ramener les passeports.

Le chauffeur perd un peu ses moyens. Il ne souhaite pas apporter les passeports, comme il l’a fait à l’aller. Il me demande de le faire - je crois qu'il a bien fait ! J' ai pris les dix passeports des soignants et les deux cartes d’identité des deux Palestiniens qui nous accompagnent (le chauffeur et le responsable associatif local). J'avance vers le bunker à pas assuré, mais un drone d’identification s’approche de mon visage et me perturbe, ça fait sourire les soldats. Je m’avance encore un peu plus, puis on me demande de m’arrêter. Deux soldats me pointent avec deux mitrailleuses. Derrière eux, un chef plus âgé me parle en arabe.

Pour détendre l’atmosphère, je commence par un : « Salam, Shalom ».

- Vous êtes de quelle nationalité ?
- Français d'origine marocaine.

Ça se voyait à ma tête et parce que je lui parlais en arabe.

- Ah ! c'est le sud de la France ?
- Oui c'est cela, le grand Sud. Maroc, Algérie, Tunisie on a toujours des relations fortes avec la France.
- Général de Gaulle.
- C'est cela.
- Et les autres ?
- Deux autres français, une américaine, un canadien, trois allemands et deux jordaniens.

En fait tous étaient des musulmans à part Yasmine, l’infirmière, qui était une française de Bretagne.

Pendant ce temps, les deux mitrailleuses sont pointés sur mon buste et les collègues restent alignés derrière moi, juste devant l’arrière du véhicule, dirigé vers la mer.

Je fixe les jeunes soldats des yeux et ne bouge pas en parlant .

L’expérience de ces situations à haute tension font que les soldats ont peur et ils sont sur le qui-vive. À la moindre sensation de danger, ils tirent.

Donc calme, aucune provocation verbale ni physique.

- Et qu’est ce qu'il y a dans les bagages ?
- Nos affaires personnelles, à l’aller, on avait également des médicaments, maintenant que nos affaires.
- Ok, en faisant un signe de la tête.

Ouf, on échappe à la fouille qui aurait pu prendre beaucoup de temps.

Après vérification des passeports, une jeune recrue imberbe qui avait pris les passeports me les ramène.

Pour rigoler avec nous, il me dit : « Verdict : exécution de tous... Non je rigole, vous pouvez partir et le drone va vous accompagner jusqu'à Rafah ». 

Je prends les passeports, je souris, lève ma main droite et leur dis à tous : « Shalom ».

Les soldats menaçants ont fini par se décontracter et un d’eux lève sa main en plus du chef pour nous saluer.

On nous autorise à remonter dans le véhicule et à partir.

Un fois tout le monde dans le véhicule, le coffre ne veut pas se fermer. On rééquilibre les valises et on y arrive enfin. Le chauffeur trop prudent ne veut pas démarrer, il attend les ordres. On lui dit que c'est bon, mais il redemande en ressortant sa tête, mais c'est difficile parce que le véhicule est dans le mauvais sens. Ne pas bouger n'est également pas un bon signe. Je l’encourage, il démarre, fait une marche arrière puis avance vers le sud.

Vrai et réel soulagement de toute l’équipe.

Ce fut une véritable épreuve, parce que le moindre soupçon ou fausse interprétation peut se terminer par un désastre. D'autant plus qu'il y a une impunité totale en cas de bavure... Juste des vies perdues.

Voilà notre aventure au checkpoint

Dr Zouhair Lahna.
Responsable du groupe des ONG  Rahma et Palmed pour les hôpitaux du nord de Gaza

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