Ce samedi le temps est une nouvelle fois avec les manifestant.e.s. Un soleil d’hiver qui réchauffe les cœurs malgré le froid. Si la foule semble moins dense que pour les Actes VIII et IX, la motivation et la force qui se dégage du cortège n’en est pas amoindrie.
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La manifestation commence, comme les samedis précédents, sur la place de Verdun. On reconnaît des têtes à force, et ces rendez-vous hebdomadaires prennent petit à petit des allures de réunion familiale. On retrouve une mamie avec son appareil qui diffuse une sirène assourdissante, ce qui en fait sourire certain.e.s (pendant que d'autres grincent des dents).
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La semaine précédant l'Acte X a vu les médias « traditionnels » s’atteler à la question des nombreux cas de violences policières qui ont été recensés depuis le début du mouvement. Ces abus des forces de l’ordre ont d’ailleurs été méticuleusement classés et récoltés par David Dufresne, un écrivain-documentariste. Il commente dans une vidéo Arte intitulée Violences policières et gilets jaunes : « C’est quand même incroyable de se dire qu’en France, chaque samedi les gens qui vont aller manifester, peuvent et savent, qu’ils peuvent perdre un œil. »
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Un des gilets jaunes de l'île d'Oléron et du bassin de Marennes (GJMØ) fait d'ailleurs parti des personnes qui ont été grièvement blessées par ces lanceurs de balles de défense (LBD). Il a perdu son oeil droit à Bordeaux le 8 décembre, après s'être pris un tir d'une arme de type flash ball (LBD40) en pleine tête.
Dans les rues, sur les gilets jaunes, et les pancartes, de nombreux messages font référence à ces violences. Ce qui surprend, c'est aussi le nombre de personnes qui viennent en manifestation avec du matériel de protection. Masque de chantier ou à gaz, lunettes de piscine, sérum physiologique ou simple foulard pour éviter le fichage. On parle ici de mères et de pères de famille, de personnes âgées, de jeunes et moins jeunes..
Un cap a été franchi dans l’opinion publique. On ne peut plus dire que ce sont seulement les gens qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre qui viennent avec du matériel de protection. Mais bel et bien tous les manifestant.e.s pour se prémunir de cette violence étatique émanant des forces de l’ordre.
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Le passage par le Vieux-Port est toujours un moment très fort car les badaud.e.s de la Rochelle, attablé.e.s en terrasse avec leur café ou leur bière, regardent passer ce cortège délirant. L'ambiance reste souvent cordiale, même si certain.e.s manifestant.e.s n'y tiennent plus et lâchent des "Mais quand est-ce que vous allez vous réveiller", "C'est honteux", "Les terrasses avec nous!". Mais sur les terrasses personne ne bouge, on croit parfois voir dans leurs regards un brin de mépris, de moquerie, de honte, mais aussi d'indifférence ou au contraire de soutien silencieux.
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Ce week-end, l’atmosphère est moins tendue entre les manifestant.e.s et les forces de l’ordre comparé à l'Acte VIII et surtout l'Acte IX. Rappelons que l’Acte IX, samedi 12 décembre, à la Rochelle s’est terminé dans une énorme confusion au goût de lacrymo, avec courses-poursuites dans les ruelles près du Vieux-Port, des blessés par tirs de LBD, dont un journaliste (pour Sud-Ouest et AFP) visé au genou. Il a eu la rotule fracturée et un arrêt de travail de 45 jours.
On a aussi pu assister à des scènes choquantes où des groupes d’officiers de la brigade anti-criminalité (BAC) étaient en roue libre, coursant des personnes présentes à la manifestation (beaucoup de jeunes) jusqu’au parking près de la place de Verdun. N’hésitant pas à les viser au dessus de la ceinture ce qui est illégal. Ces violences sont désormais devenues une réalité pour une plus grande tranche de la population.
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Comme le rappelle un collectif d'élus et d'intellectuels dans une tribune du Monde publiée cette semaine : "Ce choix de la répression et de la violence policière est à l’œuvre depuis longtemps dans les quartiers populaires et touche particulièrement les pauvres, les précaires, les jeunes, les migrants. Il est également à l’œuvre contre les ZAD et les mouvements d’écologie radicale." Mais les gilets jaunes sont composé.e.s de personnes qui ne sont pas forcément habituées à manifester ou militer, et comme pendant le mouvement Nuit debout, on assiste à des violences policières qui ne se déroulent plus qu'en dehors des centres villes.
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C'est donc peut-être grâce au fait que les médias s’intéressent désormais aux violences policières que cette semaine, le rituel des manifestant.e.s, qui consiste à tenter de rejoindre la préfecture de la Rochelle après la fin du parcours tracé, ne s'est pas terminé dans le chaos.
Pourtant, les manifestant.e.s se sont, comme ces derniers samedis, retrouvé.e.s face à des barricades et des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) positionnés entre eux et la préfecture. Ce bâtiment symbole de L’État, inatteignable depuis le début du mouvement.
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Mais cette fois-ci, pas d’offensive ou de réplique des CRS présents. Ils baissent leurs visières lors d’un ou deux jets de pétards, mais n'usent pas de grenades lacrymogènes même lorsque deux bouteilles en verre et des invectives leurs sont lancées. Certain.e.s manifestant.e.s tentent d'entamer une discussion avec eux en faisant part de leur ras-le-bol, en vain.
Vers 18 heures, les manifestant.e.s commencent à se disperser et à s'éloigner des environs de la préfecture, on entend des « À samedi prochain ! », « Merci vous avez été gentils cette semaine ». Suivi peu à peu d’un murmure qui se diffuse parmi celles et ceux qui restent « Grouillez vous ils arrivent par là-bas ! ». Effectivement les renforts de CRS et de la BAC se mettent en place dans les ruelles adjacentes.
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En essayant de sortir de ce guet-apens sans altercation, nous sommes tombés près du Vieux-Port, sur un homme qui lui n’a pas eu notre chance et s'est retrouvé encerclé avec son chien, par quatre-cinq CRS qui disaient vouloir fouiller son sac. Ils ont pourtant jeté son sac par terre sans même l'ouvrir et l'ont frappé alors qu'il n'opposait aucune résistance. Ils l'ont mis à terre en lui donnant un coup sur le côté du genou mais quand ils ont vu que des gens se rapprochaient, et surtout, les filmaient, l'un d'eux a dit à ses collègues de le laisser et ils se sont dispersés.
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Nous avons accouru pour lui demander s'il allait bien, il saignait un peu du doigt mais a été chanceux comparé à d'autres. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi les forces de l'ordre s'en étaient pris à lui en particulier il nous a expliqué qu'il portait autour du cou un masque à gaz datant de la deuxième guerre mondiale que son grand-père lui avait légué.
La confiscation de matériel de protection pendant les manifestations est un sujet qui a déjà été abordé. Libération a récemment consacré un article là-dessus, pointant qu'Amnesty International abordait déjà le sujet dans un rapport de 2017 intitulé "France, le droit de manifester menacé". On ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il serait arrivé à cet homme s'il n'y avait pas eu de témoins.
Chaque violence gratuite de la part des forces de l'ordre contribue à faire monter une rage sourde d'impuissance face à l'impunité. Et le silence du gouvernement ne fait qu'envenimer les choses. Marie-Laure Leroy, maman d'un gilet jaune blessé de 27 ans, s'adressait à Emmanuel Macron dans une vidéo mise en ligne : "peut-être qu’il serait digne de la part de quelqu’un qui dirige un pays de finir par présenter ses excuses aux familles et peut-être de rendre visite aux gens qui ont été blessés et qui sont marqués à vie, simplement parce que... parce que quoi ? … Parce qu’il en a marre de cette société… où les gens sont pauvres ?"
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