En mars 1977, ma femme fut admise à Port-Royal pour une grossesse difficile : le "célèbre" Minkowski promouvait une maternité à la pointe du progrès mondial. Fin juin, un obstétricien grave, 2 mètres, maigre, roux et barbu (sans doute une sommité) me prit dans un coin : "Votre femme a dépassé les 9 mois. C'est très grave. Elle doit accoucher promptement !".
Vu mes déplacements professionnels comme journaliste, la date de cette naissance était impossible. Son message était donc clair : "Vous n'êtes pas le père". Un message péremptoire, dur à encaisser. Après discussion intime et franche avec ma femme, ce fut clair : le grand mandarin rouquin se plantait. Nous décidâmes donc tous deux de la faire quitter cette maternité mensongère et d'attendre fin août, comme nous l'avions calculé. Tous les papiers de sortie furent remplis pour une sortie le 5 juillet.
Le mardi matin 5 juillet, j'attendis donc sereinement un coup de fil pour me confirmer la paperasse remplie et aller chercher ma femme. A 15h, sans nouvelles, j'appelais. "Mais, votre femme a accouché !", me répondit-on, outré. Sidéré, je me ruais à Port-Royal. Là, j'appris que l'accouchement avait duré toute la nuit, que personne ne m'avait averti (j'avais demandé à être présent) et qu'il s'agissait à l'évidence d'un accouchement provoqué.
Quand je découvris mon fils Keran, il haletait sous une couveuse et pesait 2, 200 kg. Certainement pas un post-mature : nos calculs étaient juste et le mandarin rouquin m'avait angoissé pour rien. Mais le pire restait à venir.
Ne pesant pas les 2,5 kg requis pour sortir, il devait rester en couveuse. Quotidiennement, je rendis ainsi visite à Port-Royal, obligé par les tire-laits de ma femme, le préma n'étant pas assez costaud. Et ce que je découvris m'effara : la salle des prémas comptait 60 couveuses.
Et qui pour s'en occuper ? Deux femmes de salles, aucunement sage-femmes ou infirmières : je les avais repérées passant la serpillère les mois précédents ! Sachant qu'un préma n'a pas de force de succion, qu'il faut au moins 15 minutes pour faire absorber un biberon, que vous en avez 60 aux mains de femmes de ménage et qu'il faut répéter l'exercice toutes les trois heures, faîtes votre calcul de la quadrature de ce cercle ! C'est impossible, bien sûr.
Résultat, je fis une colère début août. Je vis la directrice (la seule volontaire pendant ce mois d'août, sans doute), et la menaçait de tout raconter à mes copains journalistes. "Mais votre fils ne pèse que 2,3 kg. C'est impossible !". Je réitérais mes menaces, et, un quart d'heure plus tard, je repartais avec lui.
Aujourd'hui, tout va bien : il a 35 ans et pèse 75 kg.
Mais vous comprendrez ma révolte et mon indignation face au rejet de cette pauvre femme qui vient de perdre son bébé : en 35 ans, rien n'a changé. Moi, je pouvais avancer l'excuse des vacances de juillet et d'août où tous les compétents fichent le camp et se font remplacer par des filles de salle qui n'en peuvent mais.
Là, on est en février 2013. Je veux bien que les "moyens" manquent. C'est évident. Mais subsiste, après un tiers de siècle, une autarcie incompétente et inquiétante.
Billet de blog 4 février 2013
Le scandale Port-Royal, une vieille tradition
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