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Billet de blog 15 avril 2012

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Mediapart, Mélenchon et Hollande: réponse à des critiques

Mediapart soutient une nécessaire alternance dans l'espoir d'une souhaitable alternative. Mais Mediapart ne soutient aucun candidat particulier ni aucun parti politique. Cette position suscite parfois des malentendus avec certains de nos lecteurs auxquels je me suis efforcé de répondre.

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Mediapart soutient une nécessaire alternance dans l'espoir d'une souhaitable alternative. Mais Mediapart ne soutient aucun candidat particulier ni aucun parti politique. Cette position suscite parfois des malentendus avec certains de nos lecteurs auxquels je me suis efforcé de répondre.

L'exigence d'un journal participatif comme le nôtre suppose en effet que nous acceptions de rendre compte et de rendre des comptes. C'est ce que j'ai donc fait en commentaires de deux billets de blogs, celui d'un abonné récent, Martin Eden, qui, le 11 avril, annonçait son désabonnement (c'est à lire ici) après notre entretien Mediapart2012 avec Jean-Luc Mélenchon, puis celui d'un abonné du premier jour, Thierry Ternisien, qui, le 15 avril, s'alarmait d'un reportage sur la tentation du "vote utile" en faveur de François Hollande (c'est à lire là). Comme ces réponses, plutôt longues et détaillées, sont un peu perdues dans les fils de discussions alors qu'elles ont une portée générale, j'ai décidé de les reprendre ici afin que tous nos lecteurs en soient juges et participent à un débat essentiel pour Mediapart: celui de son indépendance, y compris si l'alternance que nous souhaitons survient, voire si l'alternative que nous espérons s'invente.

Voici donc ma première mise au point, en réponse à Martin Eden:

Chers toutes et tous, Martin Eden (pseudonyme repris d'un très beau et fort triste roman éponyme de Jack London, pour les curieux voir ici) nous ayant déjà signifié sa résiliation (sujet de son seul et unique billet de blog sur Mediapart), je crains de ne pouvoir le convaincre. Mais, étant interpellé, je vous redis ici ce que j'ai expliqué ailleurs, sur d'autres fils de commentaires, notamment celui de l'appel de Stéphane Hessel (c'est à retrouver ici) qui a donné lieu à un vif débat entre nos lecteurs.

1. La position de Mediapart dans cette présidentielle est sans ambiguïté: nous sommes favorables à une alternance nécessaire, dans l'espoir qu'elle permette l'invention d'une alternative souhaitable. Par nos enquêtes, reportages, analyses, nous participons à cette dynamique collective dans un esprit rassembleur, sans parti pris en faveur de tel ou tel candidat, de telle ou telle formation. Nos lecteurs sont de sensibilités diverses, mais se retrouvent, pour l'essentiel, dans le souhait d'en finir avec cette présidence de dégradation nationale. Chacun à sa place, à sa façon et dans son rôle, nous luttons tous, peu ou prou, pour une République plus démocratique et plus sociale.

2. La supposée "agressivité journalistique" que quelques abonnés nous reprochent lors de la soirée Mediapart2012 avec Jean-Luc Mélenchon (retrouvez ici toutes les vidéos) fut semblable à l'attitude que nous avons adoptée à chacune de nos trois soirées Mediapart2012 (souvenez-vous de la colère d'Eva Joly face à nos "questions qui fâchent", voir ici toutes les vidéos). Et nous ferons de même vendredi prochain 13 avril avec François Hollande.

3. S'agissant de Jean-Luc Mélenchon, nous avons d'autant plus eu cette attitude que nous avons, ces quatre dernières années, porté une exigence démocratique et sociale semblable. Car cette communauté de pensée ne fait pas de nous des journalistes militants qui, au nom d'un intérêt partisan supérieur, devraient abandonner leur sens critique et leur questionnement lucide. Dans cette présidentielle, Mediapart, qui a eu le rôle pionnier que l'on sait dans la mise à nu du sarkozysme, a rendez-vous avec son indépendance: nous devons prouver que nos principes ne sont pas à géométrie variable.

4. Tout lecteur de bonne foi de Mediapart conviendra aisément que (notamment sous la signature de Stéphane Alliès – tous ses articles ici –, ainsi que de Lenaïg Bredoux – tous ses articles là) nous couvrons de très près la campagne du Front de gauche, que nous avons été parmi les premiers à souligner sa dynamique et que nous sommes d'autant plus attentifs à ses propositions qu'elles recoupent des débats auxquels sont habitués les lecteurs de Mediapart (notamment sur les questions économiques et sociales, tout comme sur les exigences de refondation démocratique). 

5. Mais le principe des grands entretiens de nos soirées Mediapart2012 n'est pas de proposer aux candidats de redérouler leur programme, en se faisant le simple relais de leurs (légitimes) stratégies de communication. Dans les réunions préparatoires et collectives de l'équipe, nous cherchons des angles inédits, des questions oubliées, des interpellations nouvelles. Parmi ces problématiques, s'agissant de dirigeants politiques, et plus encore de politiques professionnels, les interroger sur leur parcours idéologique, leur cohérence politique, leur itinéraire partisan, etc., n'est en rien secondaire. La politique citoyenne, ce n'est pas l'oubli, c'est au contraire la convocation d'un passé plein d'à présent, d'une mémoire, d'une tradition, l'évocation des filiations et l'inventaire des héritages.

6. Il se trouve que, ce soir-là, l'équipe de Mediapart m'avait attribué une séquence autour du mitterrandisme, de son poids dans le bilan de la gauche au pouvoir et des alertes pour l'avenir que portait ce passé dont le candidat du Front de gauche fut un acteur et dont il s'affirme toujours solidaire, se réclamant de Mitterrand lui-même. Peut-être, dans ma démarche, l'ai-je trop personnalisée – ce que j'ai d'ailleurs suggéré, de façon autocritique, sur d'autres fils de commentaires  – et peut-être aurait-il fallu la confier à quelqu'un de moins impliqué. Reste qu'elle était absolument nécessaire. Dans toute la vie politique professionnelle de Mélenchon, le compagnonnage avec François Mitterrand et son soutien entier à ses deux septennats reste la période la plus importante, la plus longue et la plus consistante.

7. Il était donc normal que, face à Jean-Luc Mélenchon, nous confrontions ses engagements d'aujourd'hui à ses silences d'hier. Dans l'extrême personnalisation que suscite le présidentialisme français (et qui est une catastrophe récurrente pour la gauche), comment apprécier un dirigeant politique sinon en le confrontant à son itinéraire, à ses actes, à ses choix d'hier – et non pas seulement à ses paroles d'aujourd'hui?

8. Le malentendu avec certains abonnés (auxquel je veux bien admettre que ma maladresse ait contribué) recouvre une question plus fondamentale: l'acceptation par nos lecteurs, même (et surtout) quand elle dérange leurs convictions, d'une démarche journalistique indépendante qui est d'autant plus nécessaire et stimulante que nos interlocuteurs nous sont familiers ou proches par leurs problématiques ou leurs engagements. Depuis 2008, année de création de Mediapart, nous avons ainsi régulièrement connu des moments plus vifs, tendus et polémiques entre lecteurs, à chaque période de tension politique au sein de la gauche et de sa diversité, notamment quand elle est accentuée par des questions de personnes liées à l'incarnation présidentialiste de la vie politique française.

9. Dans ces moments, il se trouve toujours des lecteurs pour nous reprocher de ne pas faire suffisamment l'éloge de celui ou celle qui a leur soutien, d'être trop critiques, pas assez enthousiastes, etc. Ce fut le cas avant le congrès socialiste de Reims qui, en 2008, vit la défaite de Ségolène Royal et la victoire de Martine Aubry; après les élections européennes de 2009, aux scores mauvais pour le PS et bons pour EELV; à propos de nos révélations de 2010 sur la discrimination dans le football dont l'effet divisait toutes les familles de pensée au sein de la gauche; enfin pendant les primaires socialistes de 2011. C'est le cas aujourd'hui avec le débat de premier tour entre les deux gauches représentées par le candidat du Parti socialiste et celui du Front de gauche.

10. Au final, derrière ce débat, il y a la question de la place que l'on accorde ou non à un journalisme indépendant et critique. Et ce qui est évidemment apparu l'autre vendredi soir dans mon dialogue avec Jean-Luc Mélenchon, c'est notre vieux désaccord sur la fonction démocratique essentielle du journalisme, dont il accepte en théorie le principe mais dont il ne goûte guère la pratique. C'était tout le sens de mon interpellation à porpos des quatorze ans de mitterrandisme (1981-1995): nous avons alors connu une époque où, à gauche, nombreux étaient ceux qui jugeaient sacrilège le questionnement du pouvoir présidentiel sur ses dérives, ses renoncements, ses scandales ou ses fautes. Alors même que nous le faisions au nom des mêmes principes qui nous animaient quand la droite était au pouvoir et auxquels nous avons été fidèles sous les présidences suivantes, celles de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.

Voici maintenant ma deuxième mise au point, en réponse à Tierry Ternisien:

Cher Thierry Ternisien,

Abonné et soutien du premier jour, vous connaissez suffisamment Mediapart, les convictions de ses fondateurs et le fonctionnement de son équipe pour savoir qu'il n'y a pas de "ligne suivie par Mediapart" qui serait "le vote utile pour Hollande". Et c'est d'autant moins vrai que, dans la diversité des sensibilités (plutôt critiques du sarkozysme) de notre équipe, les votes favorables au candidat du Front de gauche ne sont pas les plus rares, pour rester dans un euphémisme qui avoisine la litote. 

Sur l'article concerné, celui sur le formidable rassemblement du Prado, l'un de ses auteurs, Stéphane Alliès a répondu de façon détaillée dans le fil de commentaires (c'est à lire ici), tandis qu'un abonné militant du Front de gauche a pris vigoureusement sa défense avec, pardonnez-moi, une argumentation un peu plus détaillée que la vôtre (c'est à lire ici sur le blog de Jean-Philippe Veytizoux). Pour ma part, je voudrais vous répondre au-delà de cet article précis car nous sommes devant un cas d'école sur les malentendus qui, régulièrement, peuvent s'installer entre un journal et certains de ses lecteurs et que, heureusement, la nouvelle presse participative peut aider à dissiper.

Depuis notre création en 2008, nous avons déjà connu deux phases de protestation vigoureuse d'une partie de nos abonnés contre ce qu'ils croyaient être un traitement partisan de Mediapart (autrement dit un traitement allant à l'encontre de leurs propres sensibilités partisanes). La première a concerné nos abonné-e-s ségolénistes qui nous ont, un temps, vertement reproché de ne pas soutenir Ségolène Royal dans sa bataille pour conquérir le Parti socialiste. La deuxième a mobilisé nos abonné-e-s bayrouistes qui nous en ont voulu de ne pas suffisamment mettre en valeur les combats de François Bayrou. La troisième, aujourd'hui, mobilise certains de nos abonné-e-s acquis à la candidature de Jean-Luc Mélenchon qui prennent tout article, toute tribune, tout angle qui se démarque de sa candidature, l'éclaire différemment, la discute ou la critique comme une campagne contre leur candidat préféré – ou un appel à peine subliminal à "voter utile".

Dans les trois cas, aujourd'hui comme hier, nous ne prenons pas ces alertes comme quantités négligables. Elles témoignent d'un décalage, d'un malentendu ou d'une incompréhension, entre émission et réception, entre nos intentions journalistiques et leur interprétation par nos lecteurs. Nous savons d'expérience que, parfois, des effets de sens peuvent nous échapper. Et l'avantage du participatif, c'est que, grâce à l'expression spontanée, immédiate et libre, des lecteurs, il nous permet d'en prendre conscience, d'y réfléchir et d'en débattre.

Par exemple, et sans que ce soit le résultat d'une quelconque décision concertée, encore moins verticale tant ce n'est pas notre fonctionnement, le hasard concommitant, dans la même semaine, d'une tribune que nous a adressé Stéphane Hessel en défense d'un vote Hollande dès le premier tour; d'un hommage mérité à Raymond Aubrac qui, lui aussi, avait pris la même position électorale; d'une quatrième séquence Mediapart2012 programmée de longue date avec François Hollande sur cette même période; et, enfin, de l'angle journalistique décidé par la rédaction elle-même, dans sa libre discussion, pour le rassemblement du Prado – bref, cette concommitance improbable, tant elle ne relève d'aucune programmation pré-établie, a peut-être pu induire des effets de sens que nous n'avons aucunement souhaités. 

Mais, si c'est le cas, c'est aussi que les lecteurs qui l'ont ressenti ainsi soit ne nous connaissent pas bien, soit ne s'en donnent pas ou plus la peine. C'est d'ailleurs ce que vous répond par avance l'abonné et militant du Front de gauche Jean-Philippe Veytizoux qui, dans son billet, rappelle cette vérité d'évidence: "Eh, les amis médiapartiens du Front de Gauche, l'outil de la campagne Mélenchon c'est le Front de Gauche et ses organisations.....pas Médiapart!!". Journal indépendant et participatif, permettant la libre expression critique de ses lecteurs et obligeant ses journalistes à leur rendre des comptes (ce que je fais ici même), Mediapart n'est évidemment pas le journal d'une famille politique, et ne le sera jamais. En période électorale, notamment présidentielle, il est encore moins le journal d'un candidat tant cette personnalisation de la vie politique, liée aux corruptions civiques du présidentialisme français, est à mille lieues de nos convictions démocratiques.

Mediapart a pour premier devoir d'informer, c'est-à-dire de traiter des réalités et des idées. Il rend compte des premières, il fait vivre les secondes. Si vous prenez la même semaine passée, vous pouvez en avoir une toute autre lecture. Vous dire, par exemple, que l'article de Martine Orange du 6 avril sur le troisième tour de la finance (à lire ici), suivi de celui du 11 avril sur la spéculation contre la dette française (à lire là) qui faisait suite à l'alerte d'une abonnée favorable à "une révolution citoyenne" (le retrouver ici), ont été pain béni pour la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Il s'est d'ailleurs immédiatement saisi de nos informations dans ses interventions médiatiques, tout comme la candidate écologiste, Eva Joly, se saisit de nos révélations sur les affaires qui concernent l'actuelle présidence.

Mais je pourrais aussi bien citer l'article du 12 avril de Ellen Salvi sur la question du logement (qui a donné lieu à l'un de nos entretiens vendredi soir dans Mediapart2012) ou les nombreux articles de Laurent Mauduit sur la question fiscale (également au cœur de l'interpellation de François Hollande vendredi soir, précédée d'un débat sur l'indépendance des économistes, y compris ceux qui l'entourent, par rapport à la finance). L'article de Ellen Salvi et l'un des articles de Laurent Mauduit ont des titres semblables dont la grille de lecture critique du programme du candidat socialiste ne vous aura sans doute pas échappé: Encadrement des loyers : Hollande recycle et Sarkozy change d'avis, pour le premier (à lire ici); Impôt : Sarkozy ment, Hollande bricole, pour le second (à lire là).

Vous pouvez même vous dire que notre interpellation, vendredi soir, de François Hollande sur la question de la démocratie, des institutions et de la Constituante, tout comme celle sur l'affaire Eurex et le troisième tour de la finance, l'ont amené à évoluer sur un positionnement dont le Front de gauche pourra se saisir et tirer argument (revoir ici notre entretien avec le candidat socialiste). En d'autres termes que nous lui avons posé les questions que portent la dynamique d'affirmation d'une autre gauche, dans sa diversité, face au Parti socialiste. Vous auriez même pu, au lendemain de cet entretien, écrire un billet ironique sur le thème: "François Hollande encore un effort…". De plus, la chanson de La Parisienne Libérée (à voir et entendre ici) qui, sous forme de portrait, concluait la soirée, comme les deux précédentes, ne manquait pas d'ironie moqueuse à l'égard de ces évolutions du candidat socialiste, sur le refrain d'un "tic tac" horloger qui évoquait irrésistiblement la tactique (tac tic…).

Tel est notre fonction sociale et démocratique: éclairer par nos enquêtes, reportages et analyses la réflexion de nos lecteurs. Ensuite, selon leurs cheminements, leurs raisonnements et leurs sensiblités, ils peuvent en tirer des conclusions partisanes différentes. Que, dès l'été 2010, j'ai moi-même appelé à une "insurrection civique" dans un parti-pris de Mediapart (c'est à lire ici) ou, plus récemment, à une "révolte nécessaire contre la dictature financière" (c'est à lire là), peut les inciter à soutenir un candidat qui emploie les mêmes mots et tient de semblables discours, Jean-Luc Mélenchon. Que notre ami et soutien aussi loyal que fidèle Stéphane Hessel, qui nous avait accordé ses "vœux de résistance" fin 2010 alors que Indignez-vous! prenait son envol et avait participé début 2011 à notre réunion publique de fraternité avec les révolutions arabes ait finalement choisi de soutenir le candidat socialiste dès le premier tour peut les convaincre de faire un autre choix, celui du vote Hollande.

Enfin que la candidate d'Europe Ecologie Les Verts soit la seule à faire explicitement et régulièrement référence au travail de Mediapart dans sa propre lutte contre la corruption, tandis que notre journal affirme des convictions écologistes informées et argumentées (par exemple dans cette enquête de Jade Lingaard et Michel de Pracontal, un an après Fukushima) peut parfaitement inciter certains de nos lecteurs à voter Eva Joly au premier tour. Sans compter nos lecteurs sensibles aux arguments de Philippe Poutou (lire ici) ou de Nathalie Arthaud (lire là), voire de Nicolas Dupont-Aigan (lire ici) tels qu'ils ont été développés dans des entretiens de fond avec ces candidats. Et je n'oublie évidemment pas la parole que nous avons donné, pas plus tard que ce week-end, à un soutien de François Bayrou, Jean-François Kahn, qui le met en garde contre toute tentation de ralliement au président sortant (c'est à lire ici).

Où veux-je en venir? A cette évidence que Mediapart se veut un lieu de rassemblement et de convergence, d'échange et de partage, plutôt que d'affrontement et de division. Clairement engagé depuis le premier jour dans le souci d'une refondation de la République qui la rende plus fidèle à sa double promesse démocratique et sociale, notre journal réunit ses lecteurs autour de valeurs et convictions communes, dans le respect de leurs sensibilités particulières. Et ce rassemblement suppose un respect réciproque: celui de nos valeurs professionnelles par les lecteurs. Je veux dire par là: du rôle indispensable d'une presse indépendante des pouvoirs non seulement économiques mais aussi politiques (parmi lesquels il faut évidemment compter les partis qui aspirent, légitimement, au pouvoir).

C'est une question très importante, décisive pour l'avenir en cas de victoire de la gauche à la présidentielle puis, surtout, aux législatives. Car la fonction critique de Mediapart ne va pas soudain s'arrêter, évidemment. Nous jouerons toujours le rôle d'aiguillon et d'interpellateur sous un pouvoir de gauche, et d'autant plus si cette gauche, dans sa diversité, contrôle tous les lieux de pouvoir. Il nous arrivera donc, demain, après-demain, de déranger certains de nos abonnés qui aimeraient que tout roule pour le mieux, qu'on n'insiste pas sur ce qui fait problème, qu'on ne dérange pas une alternance, voire une alternative, qu'ils auront, tout comme nous, si longtemps attendue. 

Dans cette déception que vous exprimez et que j'espère passagère, il y a donc, sans doute à votre insu, une question plus vaste: êtes-vous prêt à soutenir un journal indépendant qui, parfois, par les angles qu'il choisit, par les informations qu'il apporte, par les enquêtes qu'il mène, par les éclairages qu'il apporte, etc., vous dérange ou vous bouscule dans vos propres convictions, engagements ou certitudes? Dire que l'indépendance de la presse n'est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens, c'est évidemment obliger les journalistes à se mettre au service du droit de savoir du public, et non pas d'intérêts particuliers. Mais c'est aussi inviter les citoyens à comprendre qu'il ne suffit pas de penser politiquement juste (ou de croire qu'on le fait) pour informer vrai. 

Pardon de la longueur de cette mise au point, mais c'est aussi parce que j'ai pris au sérieux cette interpellation. Par ailleurs, je compte bien, d'ici le premier tour, revenir dans un parti pris sur ce qui nous rassemble tous: la radicale refondation d'une République démocratique et sociale au nom du principe d'égalité des droits.